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L’ascension de Jean-Louis Borloo : magicien ou bonimenteur ?

Publie le mercredi 15 septembre 2004 par Open-Publishing

de Claire Guélaud

Le ministre de l’emploi présente, mercredi 15 septembre, au conseil des ministres, son plan de cohésion sociale, doté de 12,7 milliards d’euros d’aides à l’emploi, au logement social et à l’égalité des chances. Quinze ans après ses débuts en politique, l’ex-maire de Valenciennes étonne et agace.

À quoi pensera-t-il, le si atypique Jean-Louis Borloo, à l’heure de présenter, mercredi 15 septembre, son plan de "cohésion sociale" au conseil des ministres ? Aux Valenciennois, dont il fut le maire de 1989 à 1992, auxquels il promit "du travail pour chacun, la prospérité pour tous" ? A la visite de Jacques Chirac sur place, le 21 octobre 2003, qui a consacré son statut d’homme écouté à l’Elysée, voire de premier ministrable ? Ou sera-t-il saisi par le trac comme cela arrive parfois à cette ancienne star du barreau ?

Après quinze ans de politique active, le ministre de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale reste, à 53 ans, une énigme.

"Zorro ou démago ?", questionnait à son propos la revue Vie publique, en avril 1990. Aux sceptiques, il peut opposer un bilan : le Valenciennois requinqué, avec un chômage en reflux et une croissance à la chinoise ; la politique de la ville et la création de l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) ; un combat vigoureux contre le surendettement. Mais l’homme dérange. Sa trajectoire inquiète, son aplomb agace, jusque dans les rangs de l’UMP. "C’est un ludion agité et un centriste-né ; la majorité ne le comprend pas", analyse Jean Le Garrec, député (PS) du Nord et ancien ministre de l’emploi.

Comme disent les politiques, M. Borloo est issu de la "société civile". Sa première vie est celle d’un avocat d’affaires, expert du droit des faillites et de la reprise d’entreprises en difficulté (Chaumet, La Chapelle-Darblay, etc.). Il fut, entre autres, l’un des conseils de Bernard Tapie. Il est encore trentenaire lorsque le magazine américain Fortune le classe, en 1980, parmi les cinq avocats les mieux payés au monde. "Ce fut une parenthèse, dit-il, à l’âge où les hommes sont un peu encombrés d’eux-mêmes." A 36 ans, il découvre Valenciennes. Par passion, il financera le club de foot, l’Union sportive Valenciennes-Anzin (USVA), avant d’enlever la mairie au nez et à la barbe des gaullistes locaux, avec 76 % des voix.

Ce score insolent le fait remarquer. Approché par Valéry Giscard d’Estaing, il a le culot de lui préférer la liste de Simone Veil aux élections européennes. Cofondateur de Génération Ecologie, il crée le mouvement Oxygène pour participer à la "recomposition du paysage politique français et européen". Trois fois député, il menace de se retirer de la vie politique, devient porte-parole de l’UDF en 2001 et conseiller spécial de François Bayrou. Avant d’accepter le poste de ministre délégué à la ville dans le premier gouvernement Raffarin et de rallier l’UMP : un revirement que n’aurait pas renié Edgar Faure - l’ancien président du conseil avait repéré, très tôt, ce jeune avocat prometteur et l’avait attiré dans son club Pour un nouveau contrat social.

La deuxième vie de M. Borloo, catholique et ancien scout, s’ouvre donc à Valenciennes. Il découvre une ville ravagée par la fermeture des mines et de la sidérurgie. "Psychologiquement, je suis devenu un autre homme, j’ai découvert des situations de vie que je n’imaginais pas", confie-t-il en 1993. En treize ans, le spécialiste de l’analyse financière, jadis auteur d’un guide intitulé Comment trouver aides et financements, réduit sur le terrain la fameuse "fracture sociale" : il réhabilite des milliers de logements, relance la vie culturelle et économique, convainc - avec d’autres - Toyota de s’implanter dans la ville voisine d’Onnaing.

Le nouvel élu est un homme ouvert. Il sait s’approprier les bonnes idées, au point qu’un adversaire socialiste le qualifie, en 1993, de "formidable récupérateur". Il a aussi le goût de convaincre : en pleine campagne pour les législatives de 1997, il part une semaine au Japon et en Corée pour y défendre le Valenciennois. Il aime la mise en scène. "Il est excellent dans ce registre", grince le député Gaëtan Gorce, spécialiste de l’emploi au PS, qui voit en lui "l’onguent social" d’un gouvernement usé. "C’est un homme de bonne volonté ; il a des idées, il a su en faire passer quelques-unes", tempère Didier Migaud, président (PS) d’un comité des finances locales plutôt favorable aux choix du ministre.

La gauche parle de lui plus volontiers que la droite. Le président de l’UDF, François Bayrou, avec lequel il fut très lié, refuse d’évoquer son ancien porte-parole, qui l’ouvrit pourtant aux sujets de société (du pacs au vote des immigrés). Président (UMP) de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Pierre Méhaignerie le décrit comme un "remarquable avocat" et un homme "immensément sympathique" ; mais s’il juge "très intéressants" les objectifs du plan de cohésion sociale, il pronostique que la partie n’est "pas gagnée d’avance".

Plus tranchés, les libéraux de l’UMP reprochent à M. Borloo une "approche compassionnelle" de la société, sans pour autant l’attaquer de front. "Quand j’ai présenté mon plan aux députés du groupe, on m’avait promis du goudron et des plumes !", s’amuse-t-il. Président dudit groupe UMP, Bernard Accoyer assure que ses troupes sont "acquises à l’idée d’une politique de réinsertion dans la vie active". Sous son côté dilettante, l’ancien avocat cache une "ténacité" qui séduit le rapporteur général du budget, Gilles Carrez. Les conseillers de l’Elysée et de Matignon, qu’il a harcelés pour décrocher des crédits sanctuarisés, en savent quelque chose.

M. Borloo se sait en contrat à durée déterminée, mais ne s’inquiète pas de sa reconversion. Officiellement, il ne s’intéresse qu’à la cohésion sociale. "Il éprouve un immense plaisir à faire bien ce qu’il a l’occasion de faire", assure son ami Jacques Dermagne, président du Conseil économique et social. Auteur, à la veille de la présidentielle, d’un livre-programme sur les atouts et faiblesses de la France qu’il avait intitulé, au cas où, Un homme en colère (Ramsay, 2002), il cultive aujourd’hui sa différence avec Nicolas Sarkozy. Dans l’éventualité où sa bonne fortune le conduirait à exercer d’autres fonctions.

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