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L’exception culturelle passée à la loupe

Publie le mercredi 29 octobre 2003 par Open-Publishing

La revue trimestrielle "En temps réel" rend compte de manière très détaillée de l’historique de ce concept et analyse la complexité de ses enjeux.

Les enjeux et l’historique de l’exception culturelle sont les thèmes choisis par le n° 11 du trimestriel En temps réel, édité par l’Association de débats et de réflexion fondée par des intellectuels comme Zaki Laïdi et des personnalités du monde économique (Gilles de Margerie, Denis Olivennes, Bernard Spitz...). Après avoir confié à Pascal Lamy puis à Tony Blair un cahier sur la gouvernance de la mondialisation pour le premier, sur les services publics pour le second, cette fois, c’est Jean-Michel Baer, directeur de la politique audiovisuelle et de la culture de la Commission européenne jusqu’à cette année, qui prend la plume. Il analyse en profondeur cette question à la fois diplomatique, culturelle et commerciale.

Il part de trois interrogations principales : "La mondialisation sera-t-elle source d’enrichissement mutuel et de développement des expressions culturelles ou bien d’homogénéisation et de banalisation des cultures ?" ; "Les Etats et les unions d’Etats garderont-ils la liberté de définir et de mettre en œuvre les moyens réglementaires et financiers pour promouvoir leur culture ?" ; enfin, "Comment favoriser et réguler le développement équilibré des échanges culturels à travers le monde, éviter les tendances à l’hégémonie culturelle, politique et économique et les risques de replis identitaires, sources de haines et de conflits ?"

Conseiller du président d’Arte France et du GIE Arte depuis mai, il retrace avec pertinence l’historique de l’exception culturelle depuis 1947, une notion "qui s’est progressivement affirmée comme une ligne de partage entre deux conceptions de la culture, dans le bras de fer entre Européens et Américains engagés dans les négociations internationales". Il revient sur la genèse, en 1989, de la voie européenne : "Je n’ai jamais su si, en affirmant avec la plus grande sincérité que "les biens culturels n’étaient pas des marchandises comme les autres", Jacques Delors pensait rappeler une évidence ou découvrir, comme Archimède, un principe."

Il décortique la directive "Télévision sans frontières" et rappelle à quel point les négociations de l’Uruguay Round furent pénibles. Il a fallu pas moins de 2 643 jours de lutte pour conclure "l’accord le plus ambitieux de l’histoire du commerce international", ratifié dans un palais de Marrakech le 15 avril 1994 par les ministres de 117 pays membres du GATT.

INQUIÉTUDE

L’auteur se plaît à démonter l’action diplomatique vigoureuse menée - dans le cadre de l’AMI, de l’OMC, à Doha... - par les Etats-Unis, notamment auprès des gouvernements des pays de l’ex-bloc soviétique. Il explique comment cette stratégie est renforcée par le puissant lobbying de la Motion Picture Association of America. Avec force détails, il souligne par exemple comment la Pologne, la République tchèque ou la Hongrie ont été invitées à prendre l’engagement de renoncer à instaurer tout quota de diffusion dans leur législation audiovisuelle.

Conscient de l’importance de la mise en œuvre d’une convention internationale sur la diversité culturelle sous l’égide de l’Unesco, il ajoute : "A l’exception des conventions sur les droits d’auteur dont l’articulation avec l’OMC renvoie aux accords sur la propriété intellectuelle, il n’existe pas, au regard des règles commerciales, un référent (valeurs, principes, objectifs) ni de textes normatifs. D’où le projet légitime de faire jouer à l’Unesco ce rôle et de disposer d’une convention internationale ayant force de loi."Il dessine des pistes, comme l’affirmation des droits culturels, la régulation de la diversité et le développement d’échanges culturels équilibrés. Ce qui est directement lié au degré de concentration des entreprises culturelles.

Jean-Michel Baer souligne enfin que "quand sept majors du cinéma - toutes américaines - se partagent 80 % du marché mondial, quand cinq majors de la musique (dont deux européennes, EMI et BMG) effectuent 80 % de la distribution mondiale de productions musicales, quand les éditeurs se concentrent au point qu’en France la même entité VUP-Hachette risque de contrôler 50 % des points de vente et 75 % de la distribution mondiale, il y a de quoi s’inquiéter pour le pluralisme culturel et l’avenir de la création indépendante". A contrario, le degré de concentration est faible "là où les gains en termes d’échelle sont limités (arts vivants, spectacles, bibliothèques classiques, festivals, patrimoine)".

Nicole Vulser

www.entempsreel.org

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