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"L’idée, c’est de virer les SDF d’ici à la semaine prochaine"

Publie le samedi 22 juillet 2006 par Open-Publishing
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Les campements sauvages provoquent l’ire des Parisiens. La mairie a missionné deux associations pour les inciter à quitter leurs tentes.

de Ludovic BLECHER

Hier soir, c’était soirée merguez sur les bords du canal Saint-Martin à Paris (Xe). Eclats de rires, gosses jonchés sur des tricycles, bavardages arrosés de bière autour des tables de camping : l’ambiance semblait à la fête devant la dizaine de tentes alignées le long des berges. Il y avait là l’attirail du parfait campeur : matelas gonflables, cannes à pêche et poubelles entassées à l’écart du terrain de jeu. On croirait un camping municipal bas de gamme s’il ne manquait les douches et les tentes dépareillées. Car, ici, la plupart des abris sont verts et siglés Médecins du monde. Sous ces tentes distribuées cet hiver par l’association pour « attirer l’attention des autorités », une quinzaine de SDF ont trouvé refuge.

Des campements comme celui-ci, il y en a un peu partout depuis le début de l’été : en bord de Seine, boulevards Richard-Lenoir et Jules-Ferry, sous certaines parties du métro aérien et jusque dans les quartiers huppés. Le long du périphérique, entre la porte d’Aubervilliers, au nord, et le XVe, au sud, des dizaines de personnes dorment dans des petits baraquements de bois et de cartons.

« Un verrou a sauté avec l’arrivée de l’été et la distribution des tentes, constate Patrick Rouyer, directeur des missions sociales chez Emmaüs. Les SDF qui s’installaient par groupe de deux ou trois se retrouvent désormais à huit, parfois douze personnes. » Ils seraient environ 2 000 à dormir ainsi dans les rues de Paris et le long de la petite couronne. « Le nombre de gens dehors a doublé par rapport à cet hiver, assure Rachid Cherfi, qui effectue des tournées de terrain pour l’association. On voit des gens arriver avec des enfants. Pour eux, c’est vraiment de l’installation. Ils créent en quelque sorte des camps de gitans. » Certains sont connus des services sociaux ; d’autres, des nouveaux venus. Tels ceux arrivés avec un visa touristique des pays de l’Est qui travaillent au noir le jour et dorment dehors.

Souvent bruyants, ces regroupements ont mis en colère pas mal de riverains. Dans les VIe, VIIe, XIIe et XVIIIe arrondissements, les élus reçoivent quotidiennement des plaintes . Hier, le préfet de police s’est rendu boulevard Richard-Lenoir pour étudier les solutions à apporter. « Pendant l’hiver, avec le froid et les volets fermés, la compassion s’exerce différemment, estime Graziela Robert, qui s’est occupée de la distribution des 300 tentes de Médecins du monde. En été, on ouvre les fenêtres et on voit la misère. Les gens n’aiment pas ça mais ce ne sont pas nos tentes qui ont installé la précarité. Les mêmes étaient là, allongés par terre, toujours alcoolisés. Simplement, ils étaient moins voyants. »

Avec l’apparition de ces campements sauvages, la situation a empiré. Ces derniers mois, la préfecture a noté une hausse des bagarres entre SDF. Lundi soir, après un échange de coups sous le métro Pasteur, deux personnes ont été interpellées. Et nombre d’associations craignent de voir les sans-abri s’enfermer encore plus. « Le groupe immobilise les gens, estime Patrick Rouyer. Un problème collectif s’ajoute aux difficultés individuelles. Quitter la rue signifie aussi quitter le groupe. Pour les associations, plus ils sont nombreux, plus c’est difficile de capter leur attention. » Parfois, les bénévoles ont même l’impression de « rentrer par effraction » dans des tentes qui ont donné un peu d’intimité à des gens qui en étaient privés.

Pressée par les riverains, la mairie de Paris a décidé en fin de semaine dernière de se saisir du dossier. D’autant qu’en pleine saison touristique et à l’approche de Paris Plages les campements sauvages en bord de Seine, ça fait désordre. Deux associations, Emmaüs et le Coeur des haltes, ont été missionnées. Objectif : inciter les SDF à troquer leurs abris de fortune pour des hébergements d’urgence. « L’idée c’est de virer les SDF d’ici la semaine prochaine, lâche un responsable associatif. On va leur demander s’ils veulent bien partir et ceux qui refuseront risquent d’être évacués. » « Les associations tenteront de les convaincre d’accepter les solutions d’hébergements proposées ou de se déplacer dans des endroits où les riverains sont moins gênés », tempère Mylène Stambouli, adjointe en charge de l’exclusion à l’Hôtel de Ville.

Un pont sous lequel vivaient trois SDF depuis dix ans, dans le XIIe, a tout de même été « nettoyé » hier matin par des policiers. Matelas, plantes : tout a été jeté. Autour de la gare du Nord, des contrôles d’identité ont été effectués sur des SDF venus de l’Est tandis que des matelas étaient emmenés par la voirie. « La pression monte sur ce sujet dans les commissariats d’arrondissement », selon la préfecture ; l’Unsa police a d’ailleurs dénoncé hier « une opération de nettoyage menée sur toute la capitale à l’encontre des sans-abri ».

Au cabinet de Catherine Vautrin, ministre de la Cohésion sociale, on assure qu’il n’y aura pas d’opération manu militari et que tout reposera sur la force de conviction des associations. Il faudra dès lors avoir plus à proposer qu’une chambre avec un lit pour la nuit. « Quitter une ambiance joyeuse pour un centre avec des règles basiques où on ne peut pas chanter à deux heures du matin, ça ne va pas être facile », prévient-on chez Emmaüs. L’association réclame la réquisition de locaux publics pour y héberger « momentanément et avec un encadrement » les SDF.

http://www.liberation.fr/actualite/societe/194167.FR.php

Messages

  • Dès les premières lignes, l’auteur de l’article révèle un talent certain avec la charmante expression "gosses jonchés sur des tricycles". Je pense à la phrase de la procureure dans un documentaire de M.Depardon " L’art rend le réel visible", effectivement, voilà qui renouvelle la vision habituelle.
    L’organisation Médecins du Monde a également mission de rendre le réel visible en éveillant les consciences à la misère, c’est rassurant car on entend sans cesse dénoncer l’absence de repères de notre société matérialiste.