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L’implication de l’ONU dans des crimes de guerre

Publie le mercredi 21 mars 2007 par Open-Publishing

Entretien avec l’ancien secrétaire général adjoint de l’ONU

Pour l’ancien secrétaire général adjoint de l’ONU, Hans Christof von Sponeck, les Nations unies, loin de veiller au respect du droit international et à la consolidation de la paix, sont devenues un facteur d’injustice. Ainsi, les sanctions mises en place contre l’Irak de Saddam Hussein ont provoqué un désastre humanitaire. Tandis que des Traités comme celui de non-prolifération nucléaire sont utilisés pour assurer la domination des uns et menacer les autres. Il est temps de changer complètement de système.

Hans-Christof von Sponeck

Le comte Hans-Christof von Sponeck, né à Brême en 1939, a travaillé durant 32 ans au Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Nommé en 1998 par Kofi Annan au poste de Coordinateur humanitaire des Nations Unies en Irak, avec le rang de Secrétaire général adjoint, M. von Sponeck a démissionné en mars 2000 en signe de protestation contre les sanctions qui avaient réduit le peuple irakien à la misère et à la famine. Il répond aux questions de Silvia Cattori pour le Réseau Voltaire.

Silvia Cattori : Dans votre livre « Un autre type de guerre : Le régime de sanctions des Nations Unies contre l’Irak », vous accusiez le Conseil de sécurité d’avoir trahi la Charte des Nations Unies. Pourriez-vous nous donner des exemples précis, où le Secrétariat des Nations unies s’est conduit de manière condamnable, selon vous ?

Hans von Sponeck : Le Conseil de sécurité doit se conformer à la Charte des Nations Unies ; il ne doit pas oublier la Convention sur les droits de l’enfant ainsi que les aspects généraux de ces conventions. Quand le Conseil de sécurité sait que les conditions en Irak sont inhumaines, que les gens de tous âges sont dans un profond malheur, non pas à cause d’un dictateur, mais à cause de sa propre politique d’accompagnement dans le cadre du programme « pétrole contre nourriture », à cause des exemptions humanitaires, et qu’il décide de ne rien faire —ou de ne pas en faire assez— pour protéger les populations des conséquences de sa politique, alors on peut aisément affirmer que le Conseil de sécurité est à blâmer. Il est à blâmer en particulier pour le très fort accroissement des taux de mortalité en Irak.

Pour preuve : dans les années quatre vingt, sous le gouvernement Saddam Hussein, l’UNICEF avait établi que 25 enfants sur mille, âgés de moins de cinq ans, mouraient en Irak pour diverses raisons. Durant les années d’application des sanctions, de 1990 à 2003, il y a eu un rapide accroissement : de 56 pour mille (au début des années 90) la mortalité des enfants âgés de moins de cinq ans a atteint 131 pour mille (dans les premières années du nouveau siècle). Chacun peut aisément comprendre que cet accroissement de la mortalité chez les enfants, était la conséquence des sanctions ; il est donc hors de doute que le Conseil de sécurité a préféré ignorer les conséquences de sa politique en Irak, sous la pressions des principaux intervenants y compris, en particulier, les États-Unis et le Royaume-Uni.

Silvia Cattori : Comment le Conseil de sécurité a-t-il pu négliger de prendre en compte les conséquences humanitaires des sanctions contre l’Irak, d’autant qu’il a adopté d’autres résolutions —la 1559 par exemple— qui ont ouvert la voie à des bombardements de populations civiles ? Cela reviendrait-il à dire que le Conseil de sécurité et le Secrétariat de l’ONU, sont devenus ces dernières années les premiers responsables des catastrophes humanitaires ?

Hans von Sponeck : Je dirais que seuls les ignorants, ou ceux qui ne peuvent accepter la défaite, continuent de prétendre que le drame humanitaire en Irak n’est pas dû, dans une très large mesure, à une politique erronée, à une politique de punition. Le peuple irakien a été puni simplement parce qu’il était sous la direction du gouvernement de Bagdad, donc en dépit du fait qu’il était totalement innocent.

Silvia Cattori : Nos responsables politiques, présents dans toutes les instances internationales, savaient parfaitement que ces sanctions avaient des conséquences désastreuses. Est-ce à dire que, en se taisant, ils ont accepté le fait que des civils soient affamés ?

Hans von Sponeck : On ne peut oublier qu’il y a eu, soit silence, soit connivence, soit soutien, ou encore un effort délibéré pour créer le genre de conditions qui ont prévalu en Irak durant les treize années de sanctions. Ainsi, il y a différents degrés de responsabilité politique. Il n’y a pas seulement le Premier ministre de Grande-Bretagne et le président des États Unis et leurs gouvernements qui sont responsables, mais il y en a d’autres aussi.

L’Espagne et l’Italie ont joué un rôle de soutien qui rend leurs gouvernements de l’époque responsables. M. Aznar à Madrid, M. Berlusconi en Italie, sont hautement responsables pour avoir contribué au désastre et au drame humain qui s’est déroulé en Irak. Ils n’accepteront pas cette responsabilité, mais l’évidence est là.

Silvia Cattori : Si la manipulation du Conseil de sécurité par les États-Unis est le problème majeur, et que ces derniers continuent à commettre des crimes en prétextant qu’ils ont un mandat des Nations Unies, que peut-on faire pour corriger cette situation ?

Hans von Sponeck : Je pense qu’il s’agit là d’une question très importante et particulièrement pertinente dans le cadre du débat sur le type d’Organisation des Nations Unies dont nous avons besoin pour protéger la communauté internationale, pour protéger les 192 gouvernements des États membres des dangers que certains gouvernements leur font courir en abusant de leur autorité, de leurs informations, de leurs finances, de leur pouvoir, pour servir leur propres intérêts, tout en allant à l’encontre des intérêts de la paix, des intérêts de la justice, des intérêts de l’humanité.

Silvia Cattori : Comment avez-vous réagi à l’exécution de Saddam Hussein et de ses co-accusés, condamnés à mort par un tribunal formé par les États-Unis ?

Hans von Sponeck : Je dirais tout d’abord que je n’ai pas été surpris. C’était l’objectif final de ceux qui sont au pouvoir à Bagdad et de ceux qui occupent l’Irak. On ne peut pas défendre Saddam Hussein, mais on peut s’élever contre le fait qu’il n’y a pas eu un juste procès, qu’il s’est agi d’une mascarade. C’était un tribunal qui, sous des airs de respectabilité, masquait la décision préétablie de condamner les accusés à la peine de mort. Saddam Hussein, comme toute autre personne, avait droit à un procès équitable, et ce procès équitable, il ne l’a pas eu. C’est pourquoi j’ai été bouleversé par cette évidence que, en dépit du fait que nous avons un droit international, en dépit du fait que les nations européennes, les États Unis et le Canada, ainsi que d’autres nations, prétendent sans cesse vouloir défendre la justice, en réalité elles ne protègent pas la justice.

Silvia Cattori : Vous êtes intervenu auprès de M. Bush pour demander la libération de M. Tarek Aziz. Avez-vous obtenu une réponse ?

Hans von Sponeck : Je n’ai pas obtenu de réponse. J’ai écrit cette lettre parce que j’ai connu M. Tarek Aziz. Mon prédécesseur et moi-même le considérions comme une personne avec laquelle nous avions une relation cordiale, comme une personne qui —malgré ce que l’on en a dit dans les principaux journaux— essayait de s’occuper du peuple irakien. Une personne donc disponible et disposée à prendre en considération des propositions visant à apporter des améliorations au programme d’assistance humanitaire.

De notre point de vue, de mon point de vue, c’était une personne correcte. Je ne peux pas juger de ce que M. Tarek Aziz a fait en Irak en-dehors de mon domaine de responsabilité mais, tout ce que je demande, est qu’une personne malade, ne serait-ce que pour des raisons humanitaires, soit traitée dignement ; elle devrait être autorisée à avoir un suivi médical et pouvoir bénéficier d’un procès équitable. M. Tarek Aziz avait droit, et a droit —tout comme Saddam Hussein du reste— à être traité conformément au droit international, conformément aux conventions de la Haye et de Genève. Je m’élève contre le fait que, trois ans après qu’il se soit volontairement livré aux forces d’occupation, il n’ait pas encore été inculpé et qu’il demeure en prison alors qu’il a le plus grand besoin d’un suivi médical.

Silvia Cattori : Alors que la situation créée par l’occupation de l’Irak est terrifiante, il y a fort à craindre que la résolution contre l’Iran ne soit utilisée par les États-Unis pour frapper ce pays. La marine allemande —formellement sous mandat de l’ONU— est déjà en place en Méditerranée orientale. Est-ce parce que vous savez combien votre pays est impliqué dans les projets de guerres des États-Unis que vous avez, dans une lettre ouverte, demandé à Mme Merkel de refuser tout recours à la force contre l’Iran ?

Hans von Sponeck : C’est exact. Je vois bien que, graduellement, l’Allemagne, et d’autres pays européens, sont poussés à aller dans le sens d’une politique de puissance définie à Washington par des gens avides de pouvoir. Et cela devient d’autant plus grave que, se rendant compte qu’ils ne peuvent pas, à eux seuls, mettre en œuvre leur politique de domination, ils cherchent à s’appuyer sur d’autres gouvernements ; or ces autres gouvernements semblent être des gouvernements d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, entre la Lituanie et la Grande-Bretagne. Aussi ils cherchent à politiser l’OTAN pour s’en servir comme d’un instrument qui est déjà, dans une large mesure, au service des États-Unis.

De ce fait, comme tout individu normal en ce monde, je ne puis accepter les tentatives —soutenues par la Chancelière Merkel lors du récent sommet de l’OTAN— visant à donner à cette alliance militaire une mission politique. L’OTAN est un instrument de la Guerre froide ; depuis de longues années, il se cherchait une nouvelle mission, un nouveau rôle. La seule chose que les tenants de l’Alliance savaient est que l’OTAN avait une responsabilité militaire mais, avec la fin de la Guerre froide en Europe, cette responsabilité n’existait plus, n’était plus nécessaire. D’où cette recherche désespérée d’un nouveau rôle.

Personnellement, je considère comme extrêmement dangereux que l’OTAN se présente aujourd’hui comme un instrument démocratique au service des démocraties occidentales alors qu’il s’agit, en fait, d’un instrument entre les mains des États Unis pour mettre en œuvre le Projet pour un nouveau siècle américain. Il s’agit de cette fameuse proposition faite par les néoconservateurs états-uniens dans les années quatre-vingt dix —que l’administration Bush a convertie en stratégie nationale de sécurité pour 2000 et les années suivantes— à la réalisation de laquelle l’OTAN est censée contribuer. Les responsables politiques réunis récemment à Munich devraient refuser cette thèse .

M. Vladimir Poutine, qui pour une fois n’a pas mâché ses mots, a exprimé ouvertement ce que beaucoup d’entre nous ressentent. Bien évidemment, ses propos ont été rejetés par ceux qui ont un autre agenda. Or, ce que M. Poutine a dit recouvre une réalité.
Je suis persuadé que, à cause de cette politisation militariste de l’OTAN, un grand pas aura été fait, non seulement vers un retour à une atmosphère de Guerre froide entre les principales puissances, mais également, et c’est cela le drame, vers un accroissement de dépenses en matière de défense, Chine, Russie et pays de l’Europe occidentale inclus. Dépense qui sont déjà extrêmement élevées dans de nombreux pays ; ce qui ne peut que contribuer à une escalade de la polarisation entre différents groupes dans le monde.

Le monde, en-dehors de l’Europe centrale et des États Unis, n’est plus disposé à accepter une voie occidentale à sens unique. Le public n’accepte plus les demandes des puissances politiques et militaires du siècle passé. Ces jours là sont révolus et, si l’on ne prend pas cela en compte, les choses ne feront que s’aggraver.

Pour moi, le mot clé du moment est : dialogue et diplomatie. C’est dans un esprit clairement multilatéral qu’il faut aller, et non dans l’esprit d’une superpuissance qui, dans les faits, n’en est plus une, ni économiquement, ni politiquement, ni moralement assurément, pour ne pas dire éthiquement.

Même s’il reste aux États Unis encore un peu de sa superpuissance grâce à la force militaire, cela ne suffira pas à sauver la Pax Americana. La Pax Americana est une chose du passé et, le plus vite nous le reconnaîtrons en Europe et plus vite nous nous préparerons à une coopération multilatérale —c’est-à-dire, autre chose qu’une coopération bilatérale ou du type OTAN— le mieux ce sera.

Réseau Voltaire - 2007-03-16

Mondialisation.ca, Le 21 mars 2007 /Réseau Voltaire - 2007-03-16

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Entretien

http://20six.fr/basta/cat/201087/0