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LA GUERILLA COLOMBIENNE N’EST QU’UNE CONSEQUENCE DE LA MISERE
Publie le lundi 28 novembre 2005 par Open-Publishing1 commentaire
UN ANCIEN GUERILLERO DE L’EPL (L’ARMEE POPULAIRE DE LIBERATION) A ACCEPTE DE TEMOIGNER DE FAÇON ANONYME AUPRES D’UNE ONG FRANÇAISE. Il livre un regard sans complaisance sur les groupes armés qui sévissent en Colombie. Une vision non politiquement correcte des rapports de forces, qui nuance la stigmatisation systématique de la guérilla entreprise par le gouvernement d’Alvaro Uribe.
L’ONG Solidaroad ( http://www.solidaroad.org/routes_co... ) promeut le commerce équitable dans le monde. Après avoir réalisé cette interview, qui constitue un document assez exceptionnel, l’envoyé de Solidaroad précise : "Nous ne divulguerons pas ici le nom de M. JX, ni le lieu où nous l’avons rencontré, pour des raisons de confidentialité évidentes. En effet, bien que M. JX n’ait plus aucune activité au sein des mouvements de guérilla, il reste étroitement surveillé par les forces spéciales du gouvernement et de l’armée colombienne pour ses activités passées dans l’EPL. Il doit garder le silence et ne plus s’investir dans quelque activité syndicale ou politique que ce soit. Nous tenons à préciser que cette interview est diffusée avec son accord."
Monsieur JX, quelles sont aujourd’hui les principales guérillas colombiennes ?
JX
Auparavant, il y avait en Colombie plus de trente factions différentes, mais aujourd’hui seules trois restent actives : l’EPL, d’influence maoïste mais qui a presque disparu, l’ELN (Armée de libération nationale) et les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), ce dernier mouvement étant incontestablement le plus puissant et le plus connu.
La géographie particulière de la Colombie a facilité le développement de ces mouvements armés.
En effet. Plus de 50 % du territoire, à l’est des Andes, est constitué de vastes étendues presque désertes et très difficiles d’accès. Il s’agit des Llanos, au nord, et de l’Amazonie, au sud. Les guérillas ont prospéré dans ces régions, contrôlant des zones immenses en offrant à la population des services publics que l’Etat était incapable ou ne souhaitait pas assurer.
Comment avez-vous intégré l’EPL ?
Croyez-moi, ce n’était pas par plaisir. A la fin des années 1970, je faisais partie d’un mouvement syndicaliste et j’ai été emprisonné, comme six de mes compagnons, pour mes activités syndicales. Finalement, nous avons tous été relâchés au bout de quatre mois. Mais, deux mois après notre libération, quatre de mes compagnons avaient déjà été assassinés. Avec mon dernier ami survivant, il ne nous restait pas d’autre solution que de prendre le maquis ou de mourir.
Nous sommes donc partis dans la région amazonienne située au sud-est de Florencia. Je suis resté pendant plus de deux ans dans la guérilla EPL, au sein de laquelle j’avais le commandement d’un groupe de quarante hommes. A l’époque, j’ai dû me séparer de ma compagne, que j’ai retrouvée depuis et qui est aujourd’hui ma femme et la mère de mes deux enfants. Ces années ont été extrêmement difficiles. Nous étions traqués comme des chiens par l’armée. Nous étions vraiment réduits à l’état de bêtes sauvages, nous ne mangions pas pendant des jours, nous ne dormions pas, nous ne nous lavions pas...
Vous avez donc été contraint de vous retirer de la vie publique, et c’est ensuite que vous avez intégré l’EPL ?
Absolument. Je suis parti dans la forêt pour sauver ma peau, et c’est une fois sur place que j’ai intégré l’EPL. De toute manière, je n’avais pas le choix. En Colombie, on fait taire l’opposition à la pointe du fusil. Un grand nombre de personnes ont pris les armes comme moi parce qu’elles n’avaient pas d’autre choix. Elles ne pouvaient pas s’exprimer librement dans la vie publique et leur vie était tout simplement menacée.
Quelle était l’idéologie de l’EPL ?
L’EPL était très clairement influencée par l’idéologie maoïste. A l’époque, nous disposions d’un fort soutien international et recevions des ouvrages en provenance de Pékin. Contrairement aux années 1970, les guérillas ont aujourd’hui perdu le soutien international de Moscou et de La Havane (Cuba). Elles comptent donc sur les vols et les kidnappings pour financer leur lutte. Par ailleurs, elles sont également de plus en plus impliquées dans le trafic de drogue.
Quel est le lien entre la guérilla et le narcotrafic ?
Certaines guérillas sont fortement impliquées dans le narcotrafic. Ce qui n’était pas spécifiquement le cas auparavant. Au départ, les guérillas travaillaient plus ou moins pour le compte des cartels de Medellín, de Cali, ou encore de Santa Marta et de Bucaramanga. Cependant, elles n’étaient pas à la tête du narcotrafic. Leur rôle était de protéger les cultures et les cargaisons de drogue. Petit à petit, elles se sont investies directement dans la culture et le trafic. Elles se sont mises à leur propre compte, si on peut dire. [D’autant que certains grands cartels ont été démantelés.] Elles se sont très vite rendu compte de la rentabilité d’un tel business.
La plupart des Colombiens souhaitent en finir avec la guérilla, car ils estiment qu’il n’y a plus aucune vision idéologique dans son combat, comme c’était le cas auparavant avec des mouvements [politiques de gauche] comme la M-19 ?
Ce sujet est extrêmement complexe. Les différentes guérillas ont effectivement perdu leur soutien populaire. Il est vrai que, ces dernières années, l’image donnée par les guérillas est très négative. Elle a été fortement affectée par l’importance du narcotrafic. Dire qu’elles n’ont plus aucune vision idéologique est à mon avis simpliste - bien que ce sentiment reste compréhensible, car il est le résultat escompté d’une stratégie d’isolement politique menée par le gouvernement colombien.
Aujourd’hui, la guérilla est complètement isolée du mouvement civil d’opposition. Ce fut une des réussites du gouvernement du président Pastrana [1998-2002]. Certes, elle s’était renforcée en obtenant un territoire de plus de 40 000 kilomètres carrés [accordé par Pastrana, puis réinvesti par le gouvernement du président Uribe]. Mais Pastrana avait réussi à alerter l’opinion internationale sur le sujet. A l’origine, les revendications des guérillas étaient représentées par des mouvements de gauche sur la scène politique. Au début des années 1970, différents mouvements politiques ont pris les armes afin d’en finir avec un système dominé par l’oligarchie traditionnelle. Il s’agissait d’un véritable mouvement populaire.
Aujourd’hui, les mouvements d’opposition [radicaux] sont uniquement représentés par la guérilla. Les mouvements civils, on les a fait taire à la pointe du fusil. On ne peut pas dire cependant qu’il n’y ait plus du tout de vision idéologique au sein des guérillas. Prenez l’exemple des FARC. Au sein de cette organisation, il y a deux courants. Le premier est représenté par Alfonso Cano, qui a une vision idéologique du combat et qui recherche la paix. Le second est représenté par Arnolfo Brizeno, alias Mono Jojoy, et ne recherche que le conflit. Cette branche des FARC soutient très clairement le narcotrafic, c’est la plus meurtrière et elle semble avoir perdu toute vision politique.
Une des principales faiblesses de la guérilla vient de son décalage avec la réalité. Trop souvent, le discours tenu par ses dirigeants dans les journaux internes est totalement obsolète. Il ne tient pas compte des circonstances actuelles.
Mais n’y a-t-il pas d’unité de commandement centrale entre ces deux branches au sein des FARC ?
En théorie si, mais chacun reste finalement indépendant et mène ses propres actions. Dans la pratique il n’y a plus aucune unité.
Qu’en pensez-vous personnellement ?
Je ne soutiens pas l’action violente mise en œuvre par ceux qui mènent des actions complètement fascistes. Ils pillent des villages entiers, ils violent et tuent et enlèvent de sang-froid. Cependant les paramilitaires, les AUC [Autodéfenses unies de Colombie, une milice d’extrême droite], sont également à l’origine de véritables massacres.
Mais ne croyez pas que dans cette histoire l’armée, et donc le gouvernement, soit totalement innocente. Eux aussi ont assassiné de nombreux innocents sous prétexte qu’ils soutenaient la guérilla. Imaginez la situation d’un paysan : lorsqu’il voit débarquer un bataillon de l’armée, il est obligé de lui offrir le gîte et le couvert. Si ensuite la guérilla arrive et se rend compte de cela, les représailles sont terribles. Si les paramilitaires apprennent que des paysans ont soutenu de quelque manière que ce soit la guérilla, ils mèneront également les mêmes représailles. C’est un cercle infernal.
Quelles sont les revendications du secteur représenté par Alfonso Cano au sein des FARC ?
Mettre en œuvre une véritable réforme agraire, lutter contre la dépendance économique du pays vis-à-vis des Etats-Unis, en finir avec la corruption des dirigeants, et construire un véritable Etat de droit. Cette branche des FARC est opposée au narcotrafic.
Qu’en est-il des autres guérillas ?
L’EPL ne s’adonne pas à des actes fascistes. Comme les autres, et souvent même les paramilitaires, ils récoltent l’impôt révolutionnaire destiné à financer la lutte. L’EPL se situe principalement dans le Magdalena Medio, le Sud-Bolivar, la région d’Antioquia et Uraba, au nord-ouest. L’ELN, fondée par le curé Perez, est également beaucoup plus propre, au niveau idéologique, que les FARC. L’ELN et l’EPL sont néanmoins beaucoup moins influentes et beaucoup moins puissantes que les FARC.
Au total, combien d’hommes comptent les différents mouvements armés colombiens aujourd’hui ?
Au total, cela doit représenter approximativement 35 000 personnes, alors que les FAC (Forces armées gouvernementales) disposent d’une armée de 350 000 hommes.
Qui sont les paramilitaires, et quels sont leur origine et leur rôle aujourd’hui ?
Le terme d’"autodéfense" représentait à l’origine les mouvements révolutionnaires armés que l’on appelle aujourd’hui guérillas. Ce n’est qu’en 1990 que les AUC ont été créées, sur l’initiative du gouvernement. Elles l’ont été pour être le bras armé et illégal du gouvernement et de l’oligarchie toute-puissante. En effet, après le tollé soulevé par la vague d’assassinats de syndicalistes et de militants de gauche, le gouvernement colombien a dû faire face à la pression internationale des différentes organisations de défense des droits de l’homme.
Son action de répression est devenue officieuse. La situation est ensuite devenue incontrôlable. Les AUC sont devenues indépendantes du gouvernement central. Elles représentent et défendent aujourd’hui les intérêts de la classe gouvernante et des entreprises. Cela ne les empêche pas, cela dit, de se financer également auprès des paysans et d’être largement impliquées dans le trafic de drogue. La guérilla n’est pas l’acteur exclusif, loin s’en faut, du marché des stupéfiants.
La guérilla se finance-t-elle aujourd’hui uniquement grâce au narcotrafic, au vol et aux kidnappings ?
En effet, elle a perdu le soutien des régimes communistes de Moscou, de Pékin ou de La Havane, mais elle dispose aussi d’autres sources de financement. Toutes ne sont pas liées au narcotrafic. C’est assez intéressant de voir, d’ailleurs, que ce sont parfois les entreprises multinationales américaines qui financent la guérilla !
Comment cela ?
Regardez par exemple ce qui se passe avec Exxon et l’oléoduc qui achemine le pétrole brut de la région pétrolière frontalière avec le Venezuela jusqu’à Covenas, sur la mer des Caraïbes. Entre janvier et juillet 2005, on a dénombré plus de 150 attentats contre cet oléoduc. La guérilla fait pression sur ces multinationales, qui se voient finalement contraintes de payer pour éviter les attaques, alors que le gouvernement de leur pays d’origine prétend vouloir lutter contre la guérilla à travers le Plan Colombia...
Mais on pourrait également citer certaines Eglises, certaines mouvances politiques sociales-démocrates en Europe, qui soutiennent ou ont soutenu par le passé, politiquement et militairement, la lutte armée des mouvements révolutionnaires. Lorsque j’étais au sein de l’EPL, nous recevions, en provenance d’Europe, des fusils de marque FAL fabriqués en Suède. Nous avions également le soutien politique de mouvements sociaux-démocrates aux Pays-Bas ou au Danemark. Quant aux Eglises, elles sont nombreuses à avoir aidé les différentes guérillas par le passé.
En France, nous avons beaucoup entendu parler d’Ingrid Betancourt, qui a été kidnappée par les FARC. Comment comprendre cet enlèvement, alors qu’Ingrid Betancourt suivait une politique résolument critique envers l’oligarchie colombienne, contre la corruption et en faveur d’un véritable dialogue avec les différentes guérillas ?
Cela s’explique par le manque d’unité de commandement au sein des FARC. Ingrid a été capturée par la branche la plus dure des FARC, menée par Mono Jojoy. Si elle était tombée aux mains de l’unité d’Alfonso Cano, elle n’aurait probablement pas été séquestrée de la sorte. Par ailleurs, elle aurait pu réaliser ce qu’elle était venue faire, à savoir négocier et parler ouvertement avec les rebelles. Je ne crois pas que des négociations soient possibles avec les hommes de Mono Jojoy.
Comment voyez-vous les choses pour les dix années à venir ?
Les deux prochaines années seront, je pense, extrêmement violentes. La stratégie d’Alvaro Uribe consiste à affaiblir la guérilla. La guerre civile va continuer à faire rage. Ce n’est qu’une fois qu’il aura réussi à affaiblir la guérilla qu’il essaiera de négocier, pas avant. Si la négociation n’avance pas au cours des premières années, les groupes économiques puissants feront tout leur possible pour en finir avec les FARC.
Quelles sont les chances de paix ?
Je souhaite que l’on puisse enfin, en Colombie, s’asseoir à une table et discuter sereinement d’une paix digne. Il faut éviter de reproduire ce qui s’est passé lors des négociations de 1990, au cours desquelles de nombreux guérilleros de toutes les guérillas se sont rendus : 60 % d’entre eux ont été assassinés et les 40 % restants sont repartis dans la montagne.
Il faut bien prendre conscience que la guérilla est une conséquence du problème colombien, et que ce n’est pas le problème d’origine. Les vraies causes sont liées à l’état du pays. La Colombie compte aujourd’hui près de 45 millions d’habitants : 70 % d’entre eux vivent au-dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 5 euros par jour ; 25 % appartiennent à la classe moyenne et survivent avec moins de 400 euros par mois en cumulant trois salaires ; les 5 % restants, qui ne représentent qu’environ 17 000 familles, contrôlent 85 % des richesses du pays.
– Source ( le site de soutien à Ingrid Betancourt) : http://www.educweb.org/Ingrid/index...
Les Farc et la droite colombienne unis contre ingrid Betancaourt et les verts. Ecouter le ministre (droite ultra-réac)de l’Intérieur et de la Justice... http://lipietz.net/article.php3?id_article=880]
COLOMBIE / LES VERTS ENTRE LE MARTEAU ET L’ENCLUME
– 20 juillet 2002 par Alain Lipietz
Le 11 juillet, El Tiempo rapporte les propos de Fernando Londoño Hoyos , ministre de l’Intérieur et de la Justice désigné par le nouveau président Alvaro Uribe Velez, lors de la présentation d’un de ses livres.
" Le Communisme est tombé, mais les communistes subsistent sous la forme de ces partis Verts, les partis écologistes, et ils se réunissent pour voir où frapper les coups les plus durs. Ils complotent contre la Colombie ". Écouter cette intervention :
http://lipietz.net/IMG/mp3/doc-16.mp3
Au même moment, on apprenait l’assassinat à San Vincente del Cagan de Gould Portneur Horvew, l’épouse du maire " mandaté " Noé Ortega. Le maire mandaté est un fonctionnaire désigné par le maire élu pour le remplacer en son absence
On se souvient qu’à San Vincente, alors capitale de la " zone de détente " des Farc, les électeurs avaient désigné comme maire un Vert, Nestor Leon Ramirez , que j’avais invité à un séminaire sur la crise colombienne. Nestor Leon avait enclenché à San Vicente un processus de budget participatif à la Porto Alegre, et développé infrastructures et services publics
Après la réoccupation de la zone par l’armée (et la destruction par l’aviation desdites infrastructures), les FARC ont ordonné à tous les maires de Colombie de démissionner sous peine de mort. Nestor Leon s’est réfugié à Bogota où il travaille à Fondo Paz, et a mandaté Noé Ortega, également Vert. Mais les FARC ont décidé par la suite d’assassiner aussi les fonctionnaires territoriaux, y compris ceux des services publics, qui ne démissionneraient pas ! San Vincente est désormais un chaos où s’entassent les ordures non ramassées. On estime que ce chaos, qui frappe durement la population civile, s’étend maintenant à 25% du territoire de la Colombie.
Les guerrillas des années 60-70 se voulaient, elles, au service du peuple ?
– source : http://lipietz.net/article.php3?id_...
Un reportage sur le narcotrafic en Colombie :« Un pays miné par la guerre civile » de Zone Libre :
http://radio-canada.ca/actualite/zo...
« La guerilla est corrompue, les paramilitaires sont corrompus, l’Église est corrompue, dans le journalisme aussi, il y a de la corruption, vraiment, c’est un cancer. »
Mauricio Vargas, rédacteur en chef du journal Cambío
Messages
1. > LA GUERILLA COLOMBIENNE N’EST QU’UNE CONSEQUENCE DE LA MISERE, 29 novembre 2005, 00:12
Merci beaucoup pour ce témoignage, si riche d’apprentissages...
Au passage, signez la pétition pour la libération d’Ingrid Betancourt et des 3000 otages sur http://www.ingridbetancourt-idf.com