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LA MÉTAPHORE DU *"TOURNANT SOCIAL"*

Publie le dimanche 13 janvier 2008 par Open-Publishing
2 commentaires

Selon l’édito du Monde du 12 janvier, l’accord du 11 janvier entre patrons et syndicats pour la "modernisation" du marché du travail constitue un *"Tournant social"*.
 http://www.lemonde.fr/web/article/0...

L’article illustre bien l’inversion des rôles – et donc du sens – que produit la pensée libérale. Car ce ne sont plus les patrons qui craignent d’afficher leur conservatisme en refusant les réformes, mais les syndicats qui veulent avant tout *"démentir l’image d’organisations plus attachées au statu quo qu’à des réformes bousculant les acquis sociaux"*.
*"Cet accord..." [où les patrons ont imposé sans problème la précarisation du contrat de travail en échange de... rien, ou d’une prétendue "sécurisation" de la précarité, ce qui est un oxymore] "...témoigne d’une maturité nouvelle des partenaires sociaux"*. Les représentants des salariés acceptent enfin de prendre en compte les *"revendications du patronat"*... (Notons au passage qu’il n’est question que des exigences du patronat puisque les revendications des salariés ne font pas partie de la "modernisation")

Mais que signifie cette métaphore du *"tournant social"* ?

Elle implique que la vie sociale suit un chemin. Les représentants des forces sociales sont des *"partenaires"* (donc des gens qui avancent côte à côte). Enfin parvenus à *"maturité"*, ils comprennent qu’on ne peut éternellement aller tout droit et qu’il faut savoir prendre un virage. Les syndicats savent que s’ils refusaient ce tournant, cela laisserait le *"champ libre au gouvernement"*. Si la société dans son ensemble suit un chemin sinueux, on peut dire de même des salariés pris individuellement. Chacun d’eux suit un *"parcours professionnel"* et, comme *"l’emploi est de plus en plus instable, voire précaire"*, leur chemin est de plus en plus accidenté, d’où la nécessité d’une *"sécurisation des parcours professionnels"*.

La logique de ce groupe de métaphores découle de l’assimilation de la vie sociale et individuelle à un espace, le chemin, qui possède en lui-même ses propres contraintes : sa direction, ses impasses, ses sinuosités, ses parties en mauvais état, ses lumières et ses ombres, sa pente plus ou moins dangereuse, etc. Or le fondement même de la pensée libérale, c’est la naturalisation de l’économie. Pour elle, les rapports sociaux ne se sont pas construits au cours d’un processus historique (donc temporel) mais au cours d’un parcours physique (spatial) sur le "chemin de l’Histoire". Les rapports économiques constituent un chemin naturel et accidenté qui existe en dehors de nous et que nous sommes bien obligés d’emprunter et d’accepter, hélas, tel qu’il est... Si l’on creuse bien toutes les métaphores libérales, elle peuvent se résumer à une spatialisation du temps. Or le temps étant la seule chose qui appartienne en propre à chacun d’entre nous, il est essentiel de nous en déposséder pour nous le rendre extérieur à nous-mêmes, le transformer en objet mesurable et échangeable, donc en travail.

La métaphore du "chemin" (ou du "sens") de l’Histoire est l’une des métaphores de base la philosophie des Modernes. Elle a servi et sert encore à justifier la supériorité de la civilisation occidentale sur toutes les autres. Elle avait pour emblème le "Progrès" (ce qui est tautologique puisque "progresser", c’est "avancer", ce qui ne nous dit pas vers où...) Le tour de passe-passe magique qui consistait à nous placer, guidés par la flamme du Progrès, sur le "chemin de l’Histoire" apparaît de plus en plus comme une tromperie si ce chemin était supposé conduire à un avenir radieux. Le discours libéral se voit donc contraint de sacrifier la partie messianique de son message au profit d’un catastrophisme mystificateur qui sauvegarde la partie essentielle de sa philosophie : alors que nous (les libéraux) avions les meilleures intentions du monde, il semble, malheureusement, que le "chemin" pourrait nous conduire à la catastrophe...

Cette conclusion serait impossible si la métaphore utilisée, au lieu d’être celle du "chemin", était par exemple celle du bâtiment. Car si un bâtiment menace de s’écrouler, c’est qu’il est mal construit et que ses architectes sont des nazes, voire de dangereux criminels.

Bernard Pasobrola, romancier

Messages

  • Je trouve ce texte extra. Oui, il faut sortir des PLATITUDES dominantes !… J’ai une expérience professionnelle de géomètre, et suis bien placé pour méditer sur « la Spatialisation-(spécialisation-aliénation) du Temps » !... Il y a bien un rapport entre la réduction de celui-ci à l’abstraction de la Mesure régulière, à l’abstraction quantifiable, et la vie, spatialement organisée sur un mode« circulaire » (classiquement : le « métro-boulot-dodo »)...

    La circularité est déjà présente... dans le commerce triangulaire faisant suite aux « Grandes Découvertes »…

    Il y a donc bien une « PRODUCTION DE L’ESPACE » capitaliste… (Titre d’un des livres d’Henri Lefèbvre), inséparable du traitement que le capitalisme fait subir au temps !... Inséparable des itinéraires obligés, par lesquels il fait passer celui-ci.

    Il s’agirait, bel et bien ; que le temps social cesse d’être, en quelque sorte, « otage d’une spatialisation », synonyme de sa chosification !... Que le temps social « s’autonomise » : si l’on peut dire, qu’il « vive sa propre vie » !...

    Aubert Dulac.

  • Romancier , romancier qui nous conte la romance du tournant social, et ne la traite pas en romance qui n’est pas comme on sait un sous-ordre du roman mais une amourette sans lendemain, vaine.

    Le compromis et la négociation ne sont pas dans la culture du patronat français, ou, du moins, elle relève de la relation de maitre à serviteur, le bon négociateur d’en face étant pour eux celui qui génuflexe au plus bas, c’est le hurlement de "malheur aux vaincus !".

    La négociation actuelle dans une ambiance terrible parle de chemins et de parcours, de sécurité sans que des moyens soient donnés pour éviter le dévissage matériel, social, sanitaire, affectif d’une vie sous le coup destructeur du chômage ou de l’angoisse du chômage.

    La liberté des chemins n’est pas au programme, la liberté de choisir n’est pas au programme. Toutefois, déjà rien que l’atténuation de l’angoisse et la réalité d’une exclusion sociale font partie des revendications légitimes.

    C’est comme la sécu, ce n’est pas la fin des fins, il y a à dire , mais c’est une conquête sociale. Je dénonce leur flexibilité imposée et celle-ci ne devrai pas être matière à négociation pour un syndicat de travailleurs, sauf à viser à ce qu’elle recule.

    La flexibilité imposée, objectif central du patronat, s’apparente à un chemin privatif de liberté, l’inverse du combat de toujours de libération des hommes et des femmes, de la bataille pour que ils et elles aient pouvoir sur leur destin.

    Bref un chemin de croix qui va d’ici jusqu’au sommeil éternel, ....

    Cette contrainte des bourgeois, qui eux ont droit à libertés, s’accommode mal de la sécurité matérielle nécessaire pour les travailleurs et les jeunes afin que la vie ne leur soit pas cauchemar, afin que la liberté de quitter un employeur soit une réelle liberté et non un saut dans une insécurité maximale aux enjeux décisifs et vitaux pour un être humain, risques d’ailleurs que n’ont pas les bourgeois et les patrons quand eux ils déchirent un contrat de travail, au légal comme à l’imagé.

    Chacun sa route chacun son chemin, le temps transformé en chemin, voilà qui nous transforme en passants, il y a t-il des bancs au bord de la route ou devra-t-on rester à mener marathon le nez dans les pots d’échappement ?

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