Accueil > LARZAC : (sur la route du...)
Larzac : je n’y étais pas. Ce n’est donc pas ce que j’y ai vécu qui me
permet d’en parler. Je ne peux pas le faire non plus si je m’en tiens aux
Unes et aux articles du Monde, de Libé, ou du Parisien, voire aux réactions
même favorables qui ramènent l’événement et son succès à celui de José Bové,
pour papoter sur son avenir et réinjecter une interprétation dans le droit
fil du bavardage médiatico-politique sur les partis, les syndicats, les
institutions à l’approche des élections. J’essaye par conséquent de le
replacer dans une approche des évolutions politiques avec des critères que
je pense nous pouvons ici partager. Synthèse de mon point de vue :
1) Sur une période longue, commencée avec 1968, plus visiblement depuis
1995, et dans une maturation accélérée dans les derniers mois, je retiens
comme un ENJEU important la RENCONTRE, le tissage, de ce que la politique
institutionnelle (partisanne/étatique/institutionnelle) a séparé : ce que
l’on nomme "social" et "politique", et qui ne se réduit pas à "mouvement
social" et vie politique au sens traditionnel.
2) Cette séparation comporte deux aspects contradictoires et complémentaires
(travail du négatif ?) :
– le DECLIN DE LA POLITIQUE TRADITIONNELLE (les partis, l’Etat, la
Nation...), sa crise (abstentionnisme, éparpillement...) qui est plus
profondément la crise des modes de représentation, de délégation, et par
conséquent CRISE DE LA DEMOCRATIE (cad de la démocratie représentative, cad
bourgeoise, et de sa règle du jeu acceptée par toutes les organisations
politiques, à l’exception des libertaires -je ne précise pas les différences
entre gauche et droite, entre plus ou moins radicaux, révolutionnaires ou
réformistes).
– l’EMERGENCE DE LA LIBERTE POLITIQUE, cad l’aspiration à la démocratie
véritable (au sens de "pouvoir du peuple"), qui passe par le refus de la
régle du jeu évoquée, et qui se pose autrement les questions de
pouvoirs/contre-pouvoirs, puissance constituante... toutes choses bien
connues ici, on l’on pourrait parler d’émergence du SUJET POLITIQUE des
multitudes. Si l’on pousse le bouchon, on peut même parler de l’émergence de
la liberté CONTRE la démocratie, dans son concept républicain bourgeois que
le mouvement ouvrier a fort peu contesté.
3) Ces deux mouvements -déclin/émergence- sont liés dans la mesure où le
second bouscule le premier pour occuper (certains) des terrains qu’il a
abandonné, aussi bien politiquement (les deux frères ennemis de l’étatisme
de gauche, PS et PCF, et leurs variantes écologistes ou
"gaucho"-trotskistes). Abandons qui ne sont pas dus à un mauvais management
de leurs dirigeants (qui auraient "trahis"), mais à l’épuisement historique
de leurs formes pour assurer résistances et alternatives : formes
d’organisation comme formes d’existences spectacularisées. Etatisme
politique dont l’envers est la définition du créneau revendicatif syndical.
La lutte révolutionnaire (qui n’est pas seulement politique) est abandonnée
dans le même temps où par exemple le syndicalisme abandonne les chômeurs, et
où la lutte féministe traverse des difficultés dans le contexte post-moderne
néo-libéral. Il faudrait bien sûr relier ces constats à l’analyse théorique
des erreurs ou incapacités conceptuelles du mouvement ouvrier à s’en prendre
au fondement du capitalisme (cf la critique situationniste, et plus
récemment Jappe et sa lecture de Marx, critique de la valeur, de la
marchandise, du travail).
On peut prendre quelques figures de cette entité contradictoire
déclin/émergence, auxquelles elle ne se réduit pas, mais qui permettent d’en
lire l’évolution depuis une dizaine d’années : le PCF, les Verts ou la LCR
d’une part, ATTAC, les "sans" et autres associatifs d’autre part (mais aussi
en partie, la Conf’, les Sud etc). Le fait que la LCR, fort de son succés
"colatéral" aux élections, aspire à remplacer le château prolétarien en
ruines, ne change rien au fait qu’ils appartiennent à la même culture
politique à l’ancienne, celle de la séparation Parti/peuple (ou masses),
militant et propagandisé/sympathisant/électeur à fidéliser etc... Mais le
plus emblématique est bien l’histoire post-moderne du PCF, qui n’a pas su
sortir du stalinisme sans entrer en social-démocratie, et qui ne pouvait
même pas y demeurer debout, puisqu’elle est devenue historiquement caduque
(sauf à rêver d’un retour de l’Etat keynésien) : gauche plurielle comme
maladie sénile des deux gauches d’Etat. Douloureuse et bien tardive prise de
conscience pour ce qui avait vocation au parti-Etat : crise existencielle
dont l’issue ne peut être qu’une transformation/dilution/remplacment dans
une forme future qui peut constituer un objectif commun. Où la forme
politique est bien la traduction du marxisme traditionnel dans son
accompagnement du capitalisme, entre "modernité" et post-modernité.
4) Ceux qui attendaient un événement majeur pour troubler le bon ordre de
cette crise n’ont pas été déçus par avril 2002, dont ils ont bien senti en
quoi cela activerait la reconstruction des espoirs. Cela n’a pas manquer de
se réaliser, d’abord dans le grouillement d’initiatives de rapprochements,
de constitutions d’entités "provisoires" de réflexion politique cherchant
une voix alternative (genre : pour une vraie gauche, états généraux du
communisme...), ensuite et surtout dans le réveil des luttes contre la
guerre et des luttes sociales dont toutes posent des questions de société :
dans quel monde voulons nous vivre ?... et qui se traduisaient par les
Appels à signer... avec le renvoi à la rentrée d’initiatives politiques
inédites.
5) Ce long détour pour dire d’où je parle sans trop d’ambiguité, et revenir
à l’événement Larzac. Le succès en nombre, et sans doute en diversité de
participants, doit s’apprécier en le sortant, d’une part à l’évidence du
"phénomène Bové", d’autre part de la tendance des uns et des autres à
considérer, depuis quelques années, que l’"autre" est hors jeu : ce
sectarisme est hors de saison. L’autre : je veux dire, le communiste parce
qu’"il n’a rien compris depuis trente ans", le militant associatif "radical"
ou "altermondialiste", parce qu’il n’est pas assez pppolitique ("il ne veut
pas prendre le pouvoir"). Je n’ai pas un avis tranché sur le démontage du
stand du PS, j’ai tendance à penser que ce qu’il en ressort, comme
discussion, comme merde à traîner, est plus gênant que productif, mais bon,
je ne suis pas choqué, et il me semble inutile d’en rajouter dans la
comparaison des "méthodes" etc.
J’analyse donc cet événement Larzac et ce qui l’a permis (les luttes de
mai), comme un tournant sur le chemin de la déconstruction/reconstruction de
modalités politiques anti-capitalistes (je dirais bien alter-sociétales, ou
alter-sociales...) : un tournant par le passage à un niveau supérieur, en
quantité et en quantité. Tournant qui, pour le meilleur, pourrait se
traduire par un changement majeur : car qui a pris l’initiative, depuis un
an, depuis 6 ans, 20 ans, trente ans... où qu’on remonte jusqu’en 1968 ?
c’est toujours l’"ennemi" (la parenthèse 1981 ne fait pas exception
fondamentale) : l’Etat du capital, le patronat lui-même (la finance), les
va-t-en guerre (contexte post 11 septembre, Empire etc). L’initiative peut
"nous" revenir, et il donc indispensable que le débat sur ses contenus et
formes soit à la hauteur des enjeux, pour des choix évitant une déconvenue,
non à l’échéance des élections, mais sur le chemin de la reconstruction
révolutionnaire dans son ampleur.
A ce stade, je ne m’avance pas plus, parce que cela n’a pas d’intérêt sans
discussion.
Patlotch