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LES DEBOUTS ET LES ASSIS

Publie le jeudi 23 mars 2006 par Open-Publishing
3 commentaires

de Le Yéti

Ce soir, je suis passé devant le lycée de ma petite ville. "Grève !" "Occupation des locaux !" "Merde au CPE !", proclamaient des banderoles sur la façade du respectable établissement. Ainsi donc, même là, dans cette bourgade paisible du bord de mer seulement agitée par les vents du large, ils s’y étaient mis.

"Ils", c’était eux, les minots, que certains avaient un peu trop vite enterrés. Ils étaient là, sur le trottoir, le nez offert aux rayons du premier soleil de printemps, presque étonnés de leur audace, à brailler leurs slogans entre deux éclats de grands rires et aux sons tonitruants des djembés.

En rentrant à la maison, je me suis précipité sur mes favoris du web, comme Bellaciao. Là aussi, la meute des jeunes volatiles enflammés occupaient le terrain.

Une Elsa survoltée, illustrée par un couple en herbe s’embrassant à bouche que veux-tu, appelait la jeunesse à "affronter (son) destin". Rien de moins. Elle cognait sec, Elsa, et sans trop de fioritures. Le système éducatif se prenait une dégelée de première et, dans les commentaires qui suivaient l’article, les profs bougonnaient un tantinet. Mais qu’importe, le cocotier était secoué et c’était plutôt revigorant.

J’ai jeté un coup d’oeil sur les sites des médias du microcosme. Je ne les achète plus depuis belle lurette, mais je passe de temps en temps faire un tour chez eux sur le web, histoire de voir où ils en sont. Eh bien, ils n’en étaient nulle part. Dans ses titres de une (édition du 22/03/06, 20h27), Le Monde trouvait le moyen de ne pas consacrer une seule ligne au CPE , aux universités et aux lycées occupés, préférant nous annoncer que "l’arbitrage vidéo fait son apparition en tennis". Le Nouvel Obs (même date, même heure) titrait sur l’inévitable Sarkozy, à la fois "différent" et "solidaire" (de Villepin sur le sujet du CPE). Libé se distinguait un peu, c’est vrai. Mais au total, on avait l’impression qu’aucun ne prenait la mesure de l’évènement, ou qu’ils se refusaient à admettre une réalité qui les dépassait, se contentant d’ânonner les mêmes banalités poussiéreuses dans le même cadre étriqué. La seule chose qui bougeait sur leurs sites, c’était les insupportables pop-up publicitaires.

À la télé, même topo. Vu aucune image des manifs de la journée, mais un long compte-rendu de l’après-midi à l’Assemblée Nationale : Hollande (rouge de colère) engueulait un Villepin bronzé aux UV, qui engueulait Hollande pendant qu’un Sarko blafard jouait les distants en lisant négligemment un papier. Interminable feuilleton oiseux sans cesse recommencé, avec ces représentants de l’État qui ne représentaient plus rien, ni personne.

Suis vite retourné me réchauffer sur les braises bellaciaoesques d’Elsa :

"Le Pouvoir est dans nos mains et dans nos pensées ! (...) Il y a une pure joie de lutter qui est l’ivresse de transformer le monde maintenant. (...) Le mouvement ne s’essouflera que si nous prenons peur de respirer trop fort !"

Je me sentais un peu impuissant, inutile. Comment pouvait-on les aider ? Où allait-elle aboutir, leur révolte, si on les laissait se dépatouiller tout seuls ? Et d’ailleurs avaient-ils besoin de nous ? Attendaient-ils quelque chose de notre part ?

Ce matin sur France Inter, Michel Onfray disait que le marché pouvait faire la loi dans l’économie, mais pas dans la société où le politique devait reprendre le dessus.

Justement, où étaient-ils ces derniers temps, nos politiques, je veux dire ceux qui prétendent représenter nos idées de gauche ? Terriblement inaudibles, hélas, donnant plus l’impression de suivre le mouvement que de canaliser les énergies pour offrir les solutions politiques qu’évoquait Michel Onfray. Faire de la politique ne consiste pas seulement à stigmatiser celle menée par les gouvernants en place, à réclamer la suppression de telle ou telle loi scélérate, à s’indigner d’une bavure policière inadmissible sur un syndicaliste. Debout, Messieurs, Mesdames. On attend de vous que vous soyez force de propositions. Ça urge !

Combien de temps pensez-vous qu’Elsa et ses copains vont

"attendre, attendre que les cours se finissent, que la journée s’achève, que j’ai l’âge de ceci ou de cela, que le ministre nous entende, que les profs nous soutiennent, que les parents nous comprennent" ?

Le Yéti

Messages

  • ON FAIT CE QU’ON PEUT YETI !

    Nos pieds marchent dans les manifs , nos mains travaillent la journée , nos tetes aussi , un peu .
    Dans nos orgas respectives , elles travaillent beaucoup plus , mais le temps n’est pas le meme à vingt ans ou à cinquante ans .
    A la rage de la jeunesse , à son desir de tout changer , à sa volonté d’aller vite , repond notre meme volonté matinée de prudence , pour avoir cru aussi intensément , pour avoir été déçu trop souvent , nous avançons plus lentement , c’est vrai !
    Apres mai 2005 et l’europe , aprés le feu du desespoir de nos banlieues , avec aujourd’hui ce refus immense de la casse sociale , nous n’avons pas le droit de nous tromper , de les tromper une fois de plus .
    Cela ne veut pas dire que nous ne faisons rien , et la jeunesse ne doit pas croire que notre rythme signifie abandon de leur lutte , de notre lutte .
    Je prefere gagner dans dix jours , que perdre demain .
    Je te salue mon ami , comme je salue jeunes et moins jeunes , c’est ensemble que nous gagnerons .
    claude de toulouse .

    • Bonjour Claude,

      Je comprends parfaitement tes arguments. Mais je voudrais qu’on nous dise que les partis dont nous parlons (le PC, la LCR and co) ont reçu ou recevrons une délégation de ses jeunes en colère. Qu’ils les ont reçus non pour leur livrer une liste de solutions clés en main, mais pour leur demander ce qu’ils attendent, discuter des moyens d’y parvenir.

      J’attends que ces partis invitentent pour les mêmes raisons ceux qui, dans la société civile s’engagent, connus (je citais Michel Onfray) ou moins connu.

      J’attends que les recevant, ils le fassent savoir, propose des compte-rendu de leurs discussions, afin que la masse de ceux qui ne pourront évidemment être reçus sachent que quelque chose se met en place.

      Bonne journée à toi (et merci pour ton article sur le Fou)
      _Le Yéti

    • LES ASSIS
      Rimbaud

      Toujours d’actualité le Yéti.
      Merci pour ton texte.
      Mata a ri

      Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues
      Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs,
      Le sinciput plaqué de hargnosités vagues
      Comme les floraisons lépreuses des vieux murs ;

      Ils ont greffé dans des amours épileptiques
      Leurs fantasque ossature aux grands squelettes noirs
      De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques
      S’entrelacent pour les matins et pour les soirs !

      Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges,
      Sentant les soleils vifs percaliser leur peau
      Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges,
      Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.

      Et les Sièges leur ont des bontés : culottée
      De brun, la paille cède aux angles de leurs reins ;
      L’âme des vieux soleils s’allume, emmaillotée
      Dans ces tresses d’épis où fermentaient les grains.

      Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,
      Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour,
      S’écoutent clapoter des barcarolles tristes,
      Et leurs caboches vont dans des roulis d’amour.

       Oh ! ne les faites pas lever ! C’est le naufrage...
      Ils surgissent, grondant comme des chats giflés,
      Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage !
      Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.

      Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves
      Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors,
      Et leurs boutons d’habit sont des prunelles fauves
      Qui vous accrochent l’oeil du fond des corridors !

      Puis ils ont une main invisible qui tue :
      Au retour, leur regard filtre ce venin noir
      Qui charge l’oeil souffrant de la chienne battue,
      Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.

      Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales,
      Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever
      Et, de l’aurore au soir, des grappes d’amygdales
      Sous leurs mentons chétifs s’agitent à crever.

      Quand l’austère sommeil a baissé leurs visières,
      Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés,
      De vrais petits amours de chaises en lisière
      Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés ;

      Des fleurs d’encre crachant des pollens en virgule
      Les bercent, le long des calices accroupis
      Tels qu’au fil des glaïeuls le vol des libellules
       Et leur membre s’agace à des barbes d’épis.

      Arthur Rimbaud