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La Coordination des intermittents s’impose

Publie le lundi 15 décembre 2003 par Open-Publishing

La CGT s’est fait dépasser par une nébuleuse de collectifs, qui ont
pris la tête de la contestation, comme dans la région parisienne.

A la veille de l’été, lors des premières protestations contre une
réforme du régime d’assurance-chômage des artistes et techniciens
intermittents, personne n’imaginait que la mobilisation resterait
aussi importante six mois plus tard. Dans la nuit du 26 au 27 juin,
l’organisation patronale du Medef, d’une part, et les syndicats CFDT,
CFTC et CFE-CGC, d’autre part, ont signé un protocole d’accord
modifiant le régime chômage qui concerne les 135 000 salariés
intermittents du spectacle vivant, de l’audiovisuel et du cinéma. Ce
protocole, qui devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2004,
restreint l’accès aux indemnités perçues entre deux contrats de
travail. Environ un tiers des allocataires actuels seraient exclus du
nouveau régime, estiment la CGT et plusieurs organismes d’employeurs,
tel le Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et
culturelles).

Si la CGT, syndicat majoritaire dans le milieu du spectacle et de
l’audiovisuel, a organisé les premières manifestations, elle a été
rapidement doublée par une nébuleuse de collectifs et d’associations
plus souples, plus réactifs, moins catégoriels. En région parisienne,
où vivent et travaillent la majorité des artistes et techniciens
français, la Coordination des intermittents et précaires d’Ile-de-
France (CIP-IDF) s’est imposée comme fer de lance de la protestation.
"Pour son nouveau lieu, la coordination recherche aspirateurs,
matériel informatique, vaisselle, lampes."En aménageant fin novembre
un nouveau local, les militants signifient une fois de plus leur
volonté d’inscrire leur mouvement dans la durée. Depuis leur première
adresse dans le 11e arrondissement, prêtée par la Mairie de Paris au
début de l’été, jusqu’à cette nouvelle installation près du parc de
La Villette, ils ont transporté dossiers, machines à café et affiches
humoristiques. Ici, l’une d’elles détourne la campagne publicitaire
de L’Humanité, "dans un monde idéal, le Medef n’existerait pas" ; là,
près de l’entrée, un panneau conseille : "Au-delà de cette limite,
pense d’abord à sourire."

On s’appelle par son prénom. On ne se présente pas en tant que
comédien, technicien, musicien ou cinéaste, mais comme membre d’une
des vingt commissions mises en place : juridique, Europe, relations
avec les syndicats, revendications et propositions, action... Ces
militants sont à la fois les héritiers des mouvements associatifs
originaux des années 1990, tels Act Up ou Agir contre le chômage !,
et les enfants d’Internet, créant leur site avant d’avoir une adresse
postale. L’animation du site a même précédé la constitution formelle
d’une association : pendant l’été, c’est l’association Bastille,
créée en 1996 par des techniciens du Théâtre de la Bastille lors de
précédentes mobilisations contre la réforme du régime des
intermittents, qui a servi d’interface administrative à la
coordination, signant le bail proposé par la Mairie de Paris et
récoltant des fonds de soutien.

Depuis les premières semaines du mouvement, la coordination allie
"agit-prop" et réflexion de fond sur le travail précaire, formes
classiques - manifestations, grèves - et initiatives spectaculaires,
recours juridiques et cabarets festifs. L’analyse, ligne à ligne, du
texte du protocole d’accord a donné lieu à des textes, à une vidéo et
à un DVD, Nous avons lu le protocole, réalisé avec des cinéastes
comme Pascale Ferran.

"Nous ne sommes pas seulement une force de blocage, mais aussi une
force de propositions. Nous ne nous battons pas pour le maintien du
régime en l’état", assure la coordination, qui a rédigé un "contre-
modèle" d’indemnisation des intermittents. La précarité étant
désormais la norme dans un nombre croissant d’emplois intellectuels
et culturels, l’intermittence permet d’"introduire une continuité de
revenu dans la discontinuité de l’exercice de nos métiers". "N’est-il
pas symptomatique qu’au moment même où l’emploi continu devient
l’exception et l’emploi discontinu la règle, ce régime-des
intermittents- qui aurait pu constituer un modèle de référence pour
d’autres corps de métiers et catégories de précaires, soit battu en
brèche par le Medef, les syndicats signataires et le gouvernement,
plus occupés à gérer la dérégulation du travail et de la protection
sociale qu’à offrir des garanties face à la discontinuité de l’emploi
 ?"

Présents, avec leur accord, dans plusieurs institutions de la
capitale - le Théâtre de la Ville, le Théâtre de l’Odéon -, les
militants ont développé depuis l’été des actions plus musclées à
l’encontre de sociétés de l’audiovisuel, secteur qui emploie de façon
abusive un grand nombre d’intermittents, y compris sur des postes
sans caractère artistique, tels ceux des standardistes...
Interruptions d’émission, interventions lors de tournages, le moment
phare de ces actions coups de poing reste l’intrusion sur le plateau
de Star Academy le 18 octobre.

De même, pour protester contre la "marchandisation des esprits, de la
culture et du monde", la coordination organise depuis l’automne des
vendredis "antipub" et explique dans ses tracts et sur ses affiches :
"Face à la mainmise sur nos services publics, nous allons attaquer le
carburant de cette marchandisation : la publicité. Résistons avec des
moyens créatifs, pacifiques et légitimes." L’action consiste à
recouvrir de peinture noire des panneaux publicitaires dans plusieurs
points stratégiques - les gares Saint-Lazare et Montparnasse, la
place de la République...

Alors que le gouvernement a clairement refusé toute renégociation du
protocole, la coordination poursuit ses trois à quatre rendez-vous
quotidiens - débats, réunions, actions... Pour la première quinzaine
de décembre, plusieurs manifestations sont prévues. Celle de la place
de la Madeleine, avec la CGT, s’intitule "Le Père Medef est une
ordure", et les militants sont appelés à s’y rendre "en colère, mais
pas sinistres".

Catherine Bédarida