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La " Paix " de l’occupant ... Oslo, dix ans.
Publie le dimanche 14 septembre 2003 par Open-PublishingLe conflit israélo-palestinien était miné par le "statu quo", bloqué dans une "impasse". Après la décision prise le 11 septembre par le gouvernement israélien de "se débarrasser", le moment venu, du chef de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat, il est désormais menacé de "retour en arrière", et la parenthèse prometteuse du processus de paix d’Oslo, ouverte il y a tout juste dix ans, le 13 septembre 1993, déjà condamnée à être "refermée". Toutes ces images sont justes en apparence.
Une expérience politique s’achève dans le sang et la fureur. Deux peuples en lutte pour un espace national en font l’amère expérience, chacun rejetant sur l’autre la responsabilité du fiasco. Les Israéliens concentrent sur la seule personne du chef de l’Autorité palestinienne tout le poids de la culpabilité et de l’opprobre. Guerrier obstiné aux desseins ambigus, Yasser Arafat serait incapable de mener les siens sur un chemin apaisé.
Les Palestiniens en ont autant à leur service. Le processus de paix, brièvement ranimé par la "feuille de route" proposée par le mentor américain, vient de recevoir, selon eux, le coup fatal, porté par la coalition gouvernementale la plus à droite sans doute jamais installée en Israël, et dominée par la personnalité controversée d’Ariel Sharon.
Le problème est que ni l’"impasse" ni le "retour en arrière" ne semblent tout à fait pertinents. La succession des intifadas, de décembre 1987 à septembre 2000, et de leurs images de souffrance est trompeuse, tout comme l’effroyable banalisation des attentats-suicides, qui éprouvent la société israélienne depuis bientôt une décennie. La situation qui prévaut aujourd’hui en Israël comme à Gaza ou en Cisjordanie n’a rigoureusement rien à voir avec celle qui pouvait être décrite il y a dix ans.
Tout semble s’être modifié en profondeur, les territoires comme les hommes. Et malheureusement, ces dynamiques et ces transformations portent en elles d’incontestables dangers.
La première de ces modifications, la plus évidente, concerne la terre. Le processus d’Oslo se sera paradoxalement accompagné d’une emprise décuplée d’Israël sur les territoires palestiniens. En l’espace d’une décennie, le nombre des colons installés en Cisjordanie et à Gaza (le cas des quartiers orientaux de Jérusalem mis à part) a doublé. Que les nouveaux résidents aient été attirés par des considérations économiques, le prix modéré de maisons bâties sur des surfaces considérées comme disponibles et situées à proximité des métropoles israéliennes, Tel Aviv ou Jérusalem, ou motivés par des considérations ultra-idéologiques qui leur font proclamer aujourd’hui la fin d’un sionisme jugé essoufflé au profit d’un judaïsme de conquête ne change pas grand-chose.
L’objectif des pères de la colonisation, l’obtention d’une "masse critique", est en passe d’être réalisé. Avec 400 000 colons (les nouveaux quartiers de Jérusalem-Est inclus), on est bien loin, déjà, des 5 000 "pionniers" du Sinaï, évacués dans la douleur en 1982, ou des 15 000 Israéliens installés sur le Golan.
L’agrandissement des colonies existantes et la création de nouvelles ont également été accompagnés par la construction en Cisjordanie, tout au long des années d’Oslo, d’un réseau sans précédent de routes dites "de contournement", qui évitent les agglomérations palestiniennes isolées dans des poches et qui permettent, lorsque la situation l’exige, d’assurer une continuité sécurisée entre les points de colonisation, les positions militaires et Israël. A Gaza, l’Intifada a été accompagnée par une sanctuarisation identique des voies d’accès aux colonies enclavées aux dépens des mouvements de la population palestinienne qu’illustre la construction du pont enjambant l’artère principale de l’étroite bande de terre reliant le bloc de colonies du Goush Katif à Israël, doublé au sol d’un barrage.
Depuis un an, une nouvelle forme de grignotage territorial a vu le jour. L’idée, née à gauche, d’une séparation unilatérale d’avec les Palestiniens se traduit aujourd’hui par la construction d’une "clôture de sécurité" destinée à interdire les infiltrations, mais implantée en territoire palestinien et dont le tracé tortueux, pour englober des points de colonisation, entraîne de nouvelles confiscations de terres.
De même, la ceinture fortifiée prévue, officiellement, pour protéger Jérusalem conduit à la séparation de fait entre les quartiers arabes de la ville et leur hinterland palestinien. Les Israéliens ont beau assurer que la "clôture de sécurité" n’est pas une frontière, on voit mal pourquoi des sommes gigantesques seraient englouties dans un projet de court terme.
Plus insidieuses, les évolutions touchent également les hommes. Les populations israéliennes et palestiniennes n’ont plus rien à voir avec celles qui s’étaient retrouvées aux prises au cours de la première Intifada. Conséquence imprévue du processus de paix, à partir de 1994, l’économie palestinienne a été découplée de celle de son puissant voisin sans disposer pour autant des conditions essentielles d’un développement : la liberté de circulation des hommes et des biens. Cette coupure induite par les bouclages a fait regretter à de nombreux Palestiniens, d’un point de vue matériel, l’occupation israélienne et sa continuité territoriale qui permettait à n’importe quel habitant de Gaza de se rendre librement en Israël, à Jérusalem, ce qui est rigoureusement impossible aujourd’hui.
Pendant plus de deux décennies, les uns et les autres, du fait de contacts permanents, avaient appris à se connaître, à se parler dans leurs propres langues. Pour les Palestiniens employés - certes à bas prix - dans l’agriculture ou le bâtiment, Israël avait cessé d’être une "entité" fantasmée mais une réalité concrète et accessoirement une source appréciable de revenus.
La moitié de la population palestinienne, âgée de moins de 15 ans, ne peut faire aujourd’hui cette expérience incomparable de l’autre procurée par les circuits économiques. Ses expériences d’Israël, limitées au minimum pendant des années de bouclages, se réduisent à présent à deux figures emblématiques et honnies, le colon et le soldat.
Dans le même temps, pour les Israéliens qui ont remplacé cette main d’œuvre par des travailleurs émigrés venus d’Asie ou d’Europe centrale, le Palestinien n’est plus que le porteur de bombe qui se fait exploser dans les bus ou dans les cafés.
La conséquence de ces deux dynamiques, territoriale et humaine, est paradoxale. L’Intifada avec son cortège d’horreurs et de morts (plus de 800 pour les Israéliens, plus de 2 500 pour les Palestiniens, deux fois moins nombreux) a porté le coup de grâce au projet de cohabitation harmonieuse porté par les accords d’Oslo. La séparation unilatérale, sinon définitive, est aujourd’hui l’unique horizon, avec pour résultat théorique les deux Etats qui constituent la base des résolutions des Nations unies et qui ont été la matrice de tous les plans de paix depuis trois décennies.
Mais cette issue semble s’imposer sur tous les autres modèles alors qu’elle est de moins en moins réaliste. Plus l’emprise territoriale se prolonge, moins l’Etat palestinien "viable"souhaité par le président des Etats-Unis George Bush, mais réduit en fait à des cantons disjoints, ne devient possible, et certainement pas acceptable pour de nouvelles générations radicalisées. Aujourd’hui, la solution des deux Etats est tout simplement en péril.
Gilles Paris