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La Résistance que Pera veut classer

Publie le mercredi 17 décembre 2003 par Open-Publishing


Du 8 Septembre 1943 au 25 Avril 1945 j’ai vécu dans un mythe.
La nuit du 19 Septembre 1943 je croyais suivre Duccio Galimberti
(commandant partisan : N.d.T.) à Boves incendié par les SS
du major Peiper et, au contraire, j’étais dans un mythe, inventé
par les communistes, comme dit le professeur Pera qui - en
tant que Président du Sénat - est lui aussi dans le mythe :
il appartiendra aux historiens, dit-il, d’établir s’il existe
ou non une République fondée sur la Résistance. 45.000 partisans
tombés, 20.000 mutilés et invalides, le plus fort mouvement
de résistance en Europe après celui en Yougoslavie, les ouvriers
et les paysans participant pour la première fois à une guerre
populaire sans feuille d’appel, une formation partisane dans
chaque vallée des Alpes et des Apennins, la gestation sanglante
et douloureuse d’une Italie différente, mais le professeur
Pera nous avertit enfin qu’il ne s’agissait que d’un mythe
discutable à confier aux historiens. Les balles qui sifflaient
dans ce mythe seront-elles aussi validées ou non par les historiens.

La confiance montrée par le président du Sénat, deuxième personnage
de l’Etat démocratique fondé sur un mythe, est vraiment singulière :
il refuse le mythe de la Résistance, il regrette d’avoir subi
une histoire partiale et en confie la révision aux historiens,
séparés de la politique. C’est-à-dire à un autre mythe, celui
de l’histoire scientifique. Le professeur Pera dit d’avoir
été trompé par le mythe de la Résistance inventé par les communistes
et il le déplore encore. Nous voudrions le rassurer : ce mythe
n’est pas né de la fantaisie ni même de la propagande politique
mais des faits que racontent les plaques et les monuments
qui en gardent la mémoire dans chaque ville et village.

Nous aussi, qui avons étés personnellement dans ce mythe,
voudrions que les torturés, les pendus et les carbonisés de
Boves, de Meina, du Grappa, de la Benedicta, de Piazzale Loreto,
des grands combats dans les vallées du Stura ou du Chisone,
n’aient étés que des inventions, de la propagande, de la partialité
politique. Mais il y a bien du y avoir quelque chose de vrai,
en témoignent les bulletins de la Wehrmacht quand les divisions
allemandes "se sont frayé un chemin en direction des cols
vers la France occupés par les rebelles". C’était le mois
d’Août 1944 dans la réalité et non dans le mythe, les bandes
de Giustizia e Libertà, des Garibaldiens ed des Autonomes
participaient à la grande opération du débarquement allié
en France.

Quel mythe concret que celui de la Résistance ! On y croirait
presque. La Résistance comme la Toison d’Or, comme le voyage
d’Enée de Troie au Collines latines ? Pourquoi pas ? Même les
mythes peuvent fonder les Etats, créer des sociétés, des cohésions
nationales. Mais ici aussi il y a eu, au delà du mythe, pas
mal de concret. Soit dit que sans la Résistance l’Italie serait
encore un royaume, en serait encore au Statut de 1848. Ce
fut la Résistance, fût-elle mythique, qui força le Lieutenant
Umberto de Savoie à signer l’engagement pour le référendum.


Vous, président Pera, dites que l’antifascisme est dépassé,
que la Résistance n’est plus le fondement de l’Etat. Mais
c’est de la Résistance et pas de son mythe que naissent les
règles démocratiques. Même M. Gianfranco Fini, apostate du
néofascisme, l’a reconnu : il a dit et écrit que sur les valeurs
de la Résistance est fondée notre démocratie et vous et Paolo
Mieli (directeur du quotidien La Stampa : N.d.T.) voulez les
renvoyer aux jugements des vrais historiens ?

Les déclarations du deuxième personnage de l’Etat, son distinguo
entre l’antifascisme et la démocratie, son adhésion au révisionnisme
réactionnaire qui est en train de submerger non seulement
notre pays mai tout l’Occident appartiennent à ces cycles
historiques, inexplicables mais irrésistibles, à cause desquels
ce qu’on croyait mort et enterré renaît irrationnel et impératif
comme avant. La liberté a ses saisons, ce qui semblait un
don pour lequel il valait la peine de risquer sa vie devient
un poids, un risque intolérable parce que le besoin d’avoir
un patron revient en force.

Votre distinguo entre histoire et politique, cher professeur,
est inexistant, ce qui existe et qui monte est la grande vague
autoritaire, et le transformisme séculaire à cause duquel
on tend toujours à sauter dans le char du vainqueur. Ne faisons
pas trop les difficiles, les nobles, les malins. Le refus
de l’antifascisme est en pratique l’adhésion au régime autoritaire
en train de prendre corps, est l’acceptation de son insolence
et de ses hautes fonctions, de ses postes-clé dans l’information,
dans la bureaucratie, dans le système bancaire, de partout.


La dénonciation de la quasi-dictature communiste est un autre,
énorme canular : la démocratie italienne a été un demi-siècle
durant un coexistence des différents qui, pourtant, acceptaient
les règles communes constitutionnelles. Maintenant, grâce
aussi aux intellectuels comme vous, elle est en train de glisser
vers la pensée unique de l’affairisme et d’un désengagement
de consommation, vers une dictature douce.

Il y a une chose sur laquelle vous et vos compagnons de révisionnisme
avez raison : la Résistance a été une anomalie de notre histoire,
dans laquelle la norme est celle d’une unanimité résignée
et humiliante, d’une majorité silencieuse qui a besoin d’un
patron ou de jongleurs de mots, qui appellent paix la guerre,
aide humanitaire les occupations, histoire la propagande.
Jouissez de vos petites hautes fonctions et de leurs apanages
mais ne les faites pas passer pour la recherche de la vérité.


Giorgio BOCCA La Repubblica

Traduction G.R. et MC.R.

17.12.2003
Collectif Bellaciao