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La Révolution Bolivarienne, la Commune du XXIème siècle !
par Nicolas JR
Publie le vendredi 21 février 2014 par Nicolas JR - Open-Publishing2 commentaires
En ce moment même, le Venezuela fait objet, avec l’Ukraine, d’une attention toute particulière de la part des principaux médias du « monde libre ». C’est avec indignation qu’il nous faudrait penser à la politique répressive d’un gouvernement présenté comme illégitime, face auquel se dresserait, tel David face à Goliath, un sympathique mouvement luttant à armes inégales pour la démocratie, la liberté d’entreprendre et la sécurité, valeurs clés, comme chacun le sait, de la bonne gouvernance.
Pourtant, comme l’indiquait un article de l’Humanité du 17/02/2014, l’objectivité journalistique se perd souvent dans les rues de Caracas. C’est ainsi que Renée Frégosi, directrice de recherche à l’IHEAL, écrit dans Le Monde peu avant les élections présidentielles de 2012 : « Difficile d’analyser ce pays polarisé à l’extrême et qui polarise bien au-delà de ses frontières. C’est le propre du populisme que d’hystériser les gens, de refuser la complexité du réel et de donner dans le manichéisme. Henrique Capriles Radonski, le candidat de l’opposition unifiée de centre gauche au sein de la Mesa Unitaria Democrática (MUD), a pourtant tenté de ne pas donner prise au populisme tout au long de sa campagne. » Tout est dit dans ces trois phrases.
Au-delà du fait que le néolibéral Henrique Capriles Radonski ait été qualifié de candidat de centre-gauche (ce qui constitue une erreur plus que flagrante), Renée Frégosi met très justement l’accent sur deux aspects fondamentaux de la révolution bolivarienne :
Elle polarise à l’intérieur des frontières nationales.
Mais elle polarise également à l’étranger, autant pour les profanes que chez ceux qui cherchent à l’analyser et la comprendre.
Comment expliquer cet étrange phénomène ? A première vue, de nombreux journalistes et chercheurs font le choix de se centrer sur la figure d’Hugo Chávez, ce "mystérieux tyran". C’est notamment le cas de Javier Corrales et Michael Penfold, pour qui le Comandante était un dragon, lequel présente une double figure :
Au sens classique du terme dragon, une créature surnaturelle aux longues ailes, qui vole haut et vite, ce qui lui permet de couvrir dans son pays tout le champ du politique, à niveau micro comme macro.
En Chine, le dragon est vu comme une figure positive, car il apporte avec lui la pluie qui permet les récoltes. Ce serait le cas d’Hugo Chávez, puis de Nicolas Maduro, qui distribuent la manne pétrolière arbitrairement. Cette vision est extrêmement simpliste, car tout est ramené au seul Hugo Chávez, sans prendre en compte les forces sociales qui ont permis le chavisme, et qui seules font qu’il puisse se maintenir. L’histoire, et surtout l’histoire révolutionnaire n’est pas une simple série d’évènements et de situations voulus et crées par de grands hommes manipulant des masses affamées. Le Venezuela n’est pas un cirque que le changement de gérant aurait plongé dans le chaos.
Que se passe-t-il alors à Caracas et ailleurs dans le pays d’Ali Primera ? Qu’est ce qui s’y joue ? Tout simplement, l’avenir de la gauche anticapitaliste, car c’est sa crédibilité en tant qu’alternative au modèle dominant qui est en jeu. Il semblerait qu’au-delà de l’avenir d’une Nation, c’est une bataille décisive pour les travailleurs du Monde entier, tout comme ce fut le cas à Paris en 1871, en Espagne dès 1936, à Stalingrad en 1942. L’une de ces luttes à mort dont le résultat détermine l’avancée ou le recul mondial des luttes prolétaires, et qui, même en cas de défaite ou d’enlisement, « serviront pour la prochaine », pour construire enfin « la sociale », la cité des égaux. C’est dans ce contexte de lutte de classe aigues et de transition au capitalisme que décède Hugo Chavez dans des circonstances plus que suspectes, le 5 mars 2013. Lui succède Nicolas Maduro, élu « à la loyale », mais à une courte majorité. Immédiatement après l’élection, Henrique Capriles conteste le résultat des élections (malgré leur vérification par des observateurs internationaux), une manœuvre prévue de longue date, et envoie ses partisans « décharger leur rage », selon ses propre mots, dans la rue. Les troupes de choc de la droite vénézuélienne vont alors semer le chaos pendant des semaines, attaquant aussi bien les locaux des dispensaires que ceux des écoles et des missions, allant chercher les chavistes jusque chez eux pour les lyncher : près d’une dizaine de militants proches du PSUV seront ainsi assassinés et une soixantaine blessés avant que l’ordre ne soit rétabli .
La guerre contre la Révolution est aussi économique : au Venezuela, elle se manifeste à travers l’inflation et les pénuries. Comme nous l’avons évoqué précédemment, à chaque moment potentiellement difficile que traverse la Révolution, les produits de base disparaissent des supermarchés et magasins privés qui alimentent les quartiers populaires. C’est ce qui se passe actuellement, depuis l’élection de Nicolás Maduro. Les prix augmentent quant à eux de manière démesurée, en parfaite violation des mécanismes de contrôle instaurés par le gouvernement Hugo Chávez (l’INDEPABIS), alors même que les distributeurs et intermédiaires organisent la spéculation comme un véritable sabotage. Le scénario chilien de 1973 est, de ce point de vue, en train de se reproduire. Face à une telle réalité, l’Etat bolivarien n’a comme alternative que la socialisation accrue des moyens de production et de distribution, via l’extension de l’autogestion, de la cogestion et de la nationalisation, un processus largement entamé sous la présidence d’Hugo Chávez. Le Parti Communiste Vénézuélien a également suggéré fin 2013 que le commerce extérieur soit nationalisé afin de mettre fin aux abus des importateurs, mais cette mesure n’a toujours pas été adoptée. Il y a peu, Nicolas Maduro a validé une « Ley de precios justos », la loi du juste prix, qui limite les marges des capitalistes à 30% (sachant qu’elles pouvaient précédemment atteindre 2 à 3.000%). Mais il ne s’agit pas uniquement d’une guerre, mais des contradictions internes au capitalisme : étant donné la situation actuelle, c’est-à-dire celle de la tentative de consolidation d’un ilôt de résistance, la fugue de capitaux est quasi-inévitable, ce qui, pour la théorie économique libérale de l’économie ouverte, engendre nécessairement une chute du taux de change (d’où le problème posé par la question du dollar parallèle, qui atteint 10 fois la valeur du dollar réel) et une hausse spectaculaire du taux d’intérêt qui décourage l’investissement et la croissance. Face à une telle situation, que faire ? Les solutions aux contradictions du capitalisme ne se trouvent pas dans le capitalisme, mais au dehors : c’est en dépassant un tel système d’oppression sociale qu’il est possible de sortir des mécanismes par lesquels il se maintient. Les contradictions inhérentes au Capital ayant été poussées jusqu’à leur limite, il est temps qu’elles éclatent.
C’est dans un tel contexte qu’est surgi le fameux « mouvement étudiant », qui pour nos médias défend la liberté contre la « dictature » de Nicolas Maduro (mais de quelle liberté s’agit-il ?). Voyons concrètement ce qu’il en est en comparant le programme de l’opposition vénézuélienne lors de l’élection présidentielle de 2013 aux revendications actuelles des bandes armées de droite.
Renée Frégosi, dans le même article que celui cité dans l’introduction écrit lors de la campagne électorale qui suit la mort d’Hugo Chavez : « Face à un Hugo Chávez affaibli par la maladie, Capriles Radonski fait maintenant figure d’homme de l’avenir. Il transmet son enthousiasme sincère et la crédibilité de son programme à une population lasse des désordres, de l’insécurité, du désastre économique malgré la rente pétrolière facteur de corruption à grande échelle. » Henrique Capriles revêt la tenue de sauveur du pays, un sauveur de centre-gauche, tout comme Lula, c’est-à-dire un leader fréquentable.
Qu’en est-il vraiment ? Le sociologue français Romain Migus, basé à Caracas répond à la question en analysant le programme de la MUD dans un ouvrage largement distribué au Venezuela. Il considère que la MUD a pour but le retour à l’Etat néolibéral, lequel est, dans sa matérialité propre, la version la plus limitée de l’autonomie relative de l’Etat capitaliste. Ainsi, on peut observer pêle-mêle que :
Sur le plan de l’hégémonie, la MUD veut imposer l’idéologie capitaliste de la fin des classes sociales. « Otra maravilla de la retórica y de la semántica : la unidad de grupos partidarios de oposición se transformó en la « unidad de todos los venezolanos ». “El pueblo es uno solo (…) El nuevo gobierno practicara ese respeto universal”, dice el apéndice del programa de la MUD. Desaparecen los intereses antagónicos entre los obreros y el patrón, entre los campesinos explotados y el terrateniente, entre los acaparadores de tierras urbanas y los pobladores, entre el dueño de una clínica y un paciente sin recursos.” Ce passage est particulièrement intéressant, car il met en évidence l’absurdité des accusation des opposants envers le chavisme, qu’ils accusent d’avoir diviser le pays. Comment en effet diviser un pays déjà fractionné par la lutte des classes ?
Le programme de la MUD a pour but de rendre à la bourgeoisie financière Vénézuélienne la haute main sur l’économie nationale, via notamment l’indépendance de la Banque Centrale du Venezuela (BCV).
La pétrolière PDVSA serait redeviendrait une entreprise purement commerciale, ce qui ouvrirait la porte à une future privatisation et mettrait fin aux programmes sociaux financés par les devises du pétrole. Il en irait de même pour le système de pensions, qui serait transformé en un système par répartition, ainsi que pour l’éducation et la santé.
Mais le mouvement « étudiant » n’est pas la MUD, bien qu’il utilise les mêmes méthodes : il se caractérise en effet par un vide total en termes de propositions politiques. Il s’agit en effet de contester :
La corruption, qui est une réalité certes, mais en aucun cas propre à la Révolution bolivarienne. Auraient-ils oublié les leçons de Punto Fijo ? A cette époque, pour accéder au statut (privilégié) d’étudiant, il était quasi-indispensable de recourir à des moyens extra-légaux tant le trafic d’entrées à l’université (cupos) était florissant.
La délinquance : Caracas est l’une des villes les plus violentes du monde, certes, loin devant certains pays pourtant en guerre. Quand Nicolas Maduro affirme que l’augmentation de la violence au Venezuela est en grande partie le produit d’une entreprise de déstabilisation US, on peut être sceptique et penser à une théorie du complot bien pratique pour éluder certaines responsabilités. Pourtant, il n’en reste pas moins étrange que cette même violence se soit complètement déchainée depuis la mort d’Hugo Chavez. Pourquoi pas avant ?
Ces revendications restent secondaires par rapport à la demande de démission du président. Comment donc pouvoir négocier face à un interlocuteur qui nie la légitimité démocratique même du gouvernement, légitimité qui lui vient des urnes et non pas d’une ingérence étrangère ?
Attachons nous maintenant à étudier la question des techniques employées : il s’agit avant tout d’un procédé appelé guarimba, qui consiste à bloquer les rues et à semer le chaos dans les zones mêmes habitées par les manifestants. L’Ouest et les hauteurs de Caracas, là où habitent les travailleurs, restent calmes. C’est à l’Est, zone occupée par la bourgeoisie et les couches moyennes que la jeunesse dorée de la capitale s’en donne à cœur joie, l’arme au poing. Jusqu’à présent, les sources qui me sont parvenues sont sans appel : toutes les victimes ne sont pas de "pacifiques étudiants". Il y a aussi des partisans du président Maduro, mais aussi et surtout, des citoyens victimes de la violence fasciste dont le seul tort était de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Mais jamais CNN, le Monde, El Pais, ne mentionneront leur sort. Dans l’Etat du Táchira, des paramilitaires colombiens ont traversé la frontière pour exporter la terreur, notamment dans la localité de Cardenas.
Il est difficile de ne pas voir la main de Washington derrière tous ces évènements, d’autant plus que Caracas fait l’objet de ce point de vue là d’une double offensive :
De la diplomatie US, pour qui les responsables des violences sont des prisonniers politiques, à relâcher immédiatement. Certaines personnalités n’hésitent pas à réclamer l’invasion, parmi lesquelles John McCain (lequel, rappelons-nous, pensait il y a quelques années que le Venezuela se trouvait au Moyen-Orient). Parmi les manifestants « pacifiques » circule une pétition réclamant une telle intervention. Trois fonctionnaires de l’ambassade étatsunienne ont été récemment expulsé par Nicolas Maduro, pour avoir fait la tournée des universités sous prétexte de distribuer des visas, en fait dans le but de promouvoir et financer l’opposition de droite et d’extrême droite.
Des principaux médias internationaux, parmi lesquels CNN est en bonne place, menant un véritable « siège de l’information » contre la jeune République Bolivarienne, lequel passe notamment par la distorsion de l’information et le manque total de possibilités d’expression du point de vue du chavisme.
Les raisons de cet intérêt de l’Empire pour le Venezuela sont bien connues et nous n’allons pas les détailler ici : il faut simplement préciser qu’en plus de son intérêt envers le pétrole vénézuélien, l’oncle Sam ne souhaite pas s’embarrasser d’un foyer de partageux dans ce qu’il considérait autrefois son pré carré.
Mais le Venezuela n’est pas isolé : il bénéficie de l’appui d’autres pays progressistes du continent comme l’Argentine, la Bolivie, de l’Equateur. A travers le monde, de nombreux travailleurs, isolés ou organisés, savent ce que représente la Révolution Bolivarienne pour eux. C’est une lutte qui ne concerne plus le seul peuple vénézuélien, mais qui traverse les frontières d’un continent pour irriguer le monde tout entier. En cas de défaite de nos camarades vénézuéliens, les forces de droite n’hésiteront pas à écraser l’espoir dans des stades, comme cela s’est déjà vu au Chili. Mais si la Révolution triomphe, alors il aura été démontré qu’un autre monde est possible, ici et maintenant, ce qui constituera un précédent à suivre pour nous tous.
La Révolution Bolivarienne est la Commune du XXIème siècle !
Messages
1. La Révolution Bolivarienne, la Commune du XXIème siècle !, 23 février 2014, 18:14
habites tu au venezuela ?
2. La Révolution Bolivarienne, la Commune du XXIème siècle !, 24 février 2014, 08:13, par Nicolas JR
J’y ai passé pas mal de temps, et maintient des liens très proches avec ce pays, ce qui m’a été très utile et l’est toujours afin de recueillir des données de première main. Une des choses qui m’a frappé, alors que je me trouvais sur place, et que je ne précise pas aussi bien que je l’aurais du dans cet article, c’est l’absence de publicité du programme de la MUD en 2013. Bien que ce programme existait (il a été rendu public dans un premier temps, puis désavoué), les militants de droite savaient qu’il s’agissait de propositions néolibérales qui exprimées telles qu’elles n’auraient aucun succès, et donc, en conséquence, s’abstenaient de distribuer tout tract comportant des propositions concrètes (a chaque fois que je leur demandait un programme, et ce, quel que soit le secteur de Caracas ou je leur posais la question, ils me disaient "on l’aura plus tard", mais je n’en ai finalement jamais vu aucun distribué dans la rue). Pendant ce temps, les chavistes, eux, étaient très clairs sur ce qu’ils voulaient, et disposaient d’un programme clair et surtout accessible, largement diffusé. De ce point de vue là, on voit bien la continuité entre la campagne électorale de 2013 et le mouvement social mené par la droite en ce moment. Ce qui les fait marcher, c’est, avant même les problèmes rencontrés par la Révolution en ce moment (inflation, insécurité), la peur et le rejet du rouge. Attitudes particulièrement flagrante au sein de nombreuses familles vénézuéliennes ainsi que de certains liens d’amitié, qui implosent au sens propre du terme en raison de l’intolérance d’une grande partie de l’opposition qui ne voit pas le chavisme comme un adversaire contre lequel une compétition via l’élection est possible, mais comme un ennemi à abattre, au sens propre du terme.