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Les voyages forment la jeunesse. Dans mon cas, ce n’est plus trop l’heure, mais cela reste très instructif.
Mon épouse et moi venons de traverser la France dans le sens de la longueur, aller et retour. Et j’en ai appris de bien bonnes.
Tout d’abord que la SNCF n’existe plus. D’où les guillemets de mon titre.
Ce grand service public a été découpé en rondelles, nationales et régionales, si bien que lorsqu’on voyage dans un train estampillé Teoz on n’est plus véhiculé par la SNCF. Ce sera, techniquement, un jeu d’enfant pour un dirigeant “libéral” (ils le sont presque tous actuellement) de privatiser totalement cette ancienne grande entreprise publique. Pas sûr que surgira alors un Ken Loach français pour décrire la jungle inefficace et coûteuse que seront devenues nos voies ferrées et ce qui roulera dessus.
SNCF.com, l’entreprise, j’imagine juteuse, qui s’occupe des réservations, des commandes en lignes, n’est pas la SNCF ; alors, comme les données de l’une et de l’autre ne sont pas forcément identiques, il est fréquent de réserver et d’acheter des places sur des trains qui n’existent pas.
Étant sexagénaire, j’ai droit, pour 55 euros, à une carte senior (vous connaissez la chanson de Jacques Brel : « Les seniors ne parlent plus, ou alors seulement parfois du bout des yeux »). Mon épouse n’a pas ce bonheur. J’ai donc, par curiosité, comparé les prix de nos deux billets. Le mien coûtait 16 euros de moins que celui de ma compagne. Pour un trajet de 1600 kilomètres. Pensant que la différence était bien minime, je demandai à un contrôleur comment il expliquait un cadeau aussi mesquin. Le contrôleur m’informa que le billet de mon épouse bénéficiait d’une ristourne d’environ 20%. « Quelle ristourne ? », demandai-je. « Aucune en particulier ; elle a gagné cela à la loterie de la billetterie. » « Quant à vous », ajouta-t-il, « vous avez bénéficié d’un rabais d’environ 30%. » Comme je le cuisinai davantage sur ces mystères, je finis par comprendre que le pourcentage de réduction est fonction de trois paramètres : le nombre de seniors qui ont pris le même train que vous, le nombre de places réservées à ceux qui bénéficieront d’un rabais (comme dans les compagnies aéronautiques), enfin le moment de la réservation : plus on réserve loin du départ et plus on a la chance de bénéficier d’une ristourne élevée (si le train est maintenu, bien entendu).
Ce contrôleur me dit qu’il conseillait à tous les passagers qui voulaient bien discuter avec lui de ne pas s’établir dans la région de Montluçon, cette ville allant être très bientôt sinistrée en termes de chemins de fer. Comme, pas très loin de là, du côté de Nevers, des zones entières sont déjà sinistrées en matière d’hôpital, le centre de la France a des jours sombres devant lui.
La SNCF, ou ce qui en tient lieu, ne vend donc plus des billets de trains à des passagers, mais des tarifs à des joueurs de hasard.
Ma femme, qui devait se rendre à un colloque quelques jours plus tard et qui avait réservé bien à l’avance, s’était aperçue, par chance, qu’une collègue ayant réservé pour le même train avait un billet avec le même numéro de train, mais avec un horaire différent. Si elle s’était présentée en gare de Toulouse à l’heure prévue, elle aurait eu la désagréable surprise d’apprendre que son train pour Avignon était parti depuis vingt minutes. Elle fit changer son billet dans la gare d’Amiens où nous nous trouvions alors. Le guichetier ne put absolument pas expliquer le pourquoi du comment, mais nous dit, las et écœuré par ce qu’il voyait quotidiennement, que « cela n’allait pas s’arranger et que les clients allaient souffrir de plus en plus dans les mois et les années à venir. »
Je n’insiste pas sur le fait qu’à la gare du Nord, à Paris (vous connaissez, cette petite gare de cette ville perdue), nous dûmes attendre vingt minutes qu’on veuille bien accrocher à notre train une locomotive en état de marche.
Je préfère évoquer, pour finir, le combat de citoyens qui luttent contre toutes les petites saloperies de cette “ SNCF ” qui nous tond la laine sur le dos et nous pourrit la vie.
À trente kilomètres au nord de Cahors, se trouve la jolie petite ville de Gourdon. Le site est magnifique mais ne nourrit pas son homme. Les habitants doivent donc se rendre à Cahors ou à Brive pour travailler. La ville se trouve sur la ligne Paris-Toulouse. La “ SNCF ” a supprimé quinze arrêts par semaine aux habitants de Gourdon. Depuis neuf mois, les citoyens obligent chaque jour le train du soir à s’arrêter quelques minutes dans leur ville. Ils lutteront jusqu’à satisfaction de leurs revendications. Comme l’exprime très bien le “client” de la “SNCF” sur la photo qui illustre cette note, la liberté c’est aussi de pouvoir prendre le train de manière décente, pour se rendre à son travail, ou pour toute autre raison.
Je n’avais jamais entendu parler de cette jacquerie. Je doute qu’elle soit isolée.