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La Turquie et la droite européenne

Publie le jeudi 23 décembre 2004 par Open-Publishing


de Guido Caldiron

Il n’y a pas d’évènement plus éclairant, pour découvrir de combien d’âmes, souvent
en contradiction ouverte ou en conflit les unes avec les autres, se compose la
droite continentale, que celui que représente l’annonce de l’entrée de la Turquie
dans l’Europe politique.

On connaît le cas italien, il n’en est pas moins significatif. Le ministre des
Affaires étrangères, et vice-premier ministre, Gianfranco Fini, est prodigue
d’ouvertures vers Ankara, pour ne pas parler de Berlusconi, qui est même un ami
intime du premier ministre turc Erdogan. Tout cela tandis qu’à Milan la Ligue
amène dans la rue des milliers de personnes pour crier son "non" à l’entrée d’un
pays musulman dans le continent berceau de la Chrétienté.

Et ce n’est pas tout, trois ministres de la Ligue - Calderoli, Maroni et Castelli - partagent un podium érigé à Milan pour marteler à quel point le danger est vraiment grand, comment les racines mêmes de "notre" identité sont en jeu. Et pour ceux qui n’auraient pas encore voulu comprendre de quoi il s’agissait, l’eurodéputé de la Ligue Mario Borghezio a jugé bon de marcher en portant un large drapeau vendéen.

Mais des divisions qui traversent aujourd’hui la droite européenne sur ce thème, l’Italie ne montre que l’aspect le plus paroxystique, mais certainement pas isolé. Par exemple, il a suffi à Nicolas Sarkozy, leader nouvellement élu de l’UMP, parti de gouvernement qui réunit en France les héritiers du gaullisme et de la tradition libérale, d’une visite de quelques jours à Jérusalem, - où, soit dit en passant, il a été reçu avec des honneurs dignes d’un chef d’Etat qui, il y a quelques semaines, n’avaient même pas été rendus au ministre des Affaires étrangères de Paris - pour rectifier la ligne de forte modération qui a caractérisé jusqu’ici l’attitude de l’Elysée envers Ankara. De facto, Sarkozy a dit à Chirac que l’idée d’un référendum qui déciderait de l’entrée de la Turquie ne suffit pas : "Les Turcs peuvent être nos partenaires, mais ils ne peuvent pas devenir nos frères". Et Sarkozy est l’homme politique que beaucoup désignent déjà comme le candidat possible du centre-droit aux Présidentielles françaises de 2007.

Mais l’Italie et la France ne sont pas seules à illustrer combien de divisions ce thème est en train de produire à droite. Si, par exemple, dans la coalition entre les démocrates chrétiens de Schüssel et les national libéraux de Haider, aux affaires en Autriche, ces derniers et leur intransigeance vis-à-vis de l’entrée d’un pays musulman semblent déterminer la politique nationale, en Allemagne il n’aura pas fallu aux chrétiens-démocrates de poussées de la droite pour parvenir aux mêmes conclusions. En effet, le congrès de la CDU, qui s’est achevé il y a quelques jours à Düsseldorf, a mis au centre de l’agenda politique du parti dirigé par Angela Merkel cette idée de "culture partagée", sous-entendant la tradition chrétienne du pays (étrangère aux immigrés musulmans, notamment turcs pour la plupart, qui ont soutenu pendant le demi-siècle dernier le sort de l’économie du pays) qui avait déjà suscité d’âpres polémiques dans le passé et avait fait parler ouvertement certains observateurs de "dérive xénophobe et intégriste" du centre-droit allemand.

Mais la caractéristique fondamentale du positionnement différent des rassemblements de la droite européenne face à ce thème on doit la rechercher, plutôt que dans les simples querelles nationales, de leadership ou de perspectives électorales, dans la crise qu’on commence à entrevoir dans la famille politique qui dans la dernière décennie n’a fait que s’étendre dans tout le Continent. En résumé, la capacité de gérer les diversités à leur intérieur, qui a fait les fortunes de coalitions qui ont mis ensemble, au moins tendanciellement, des extrémistes et des modérés, des post-néofascistes et des régionalistes, semble aujourd’hui en passe d’imploser. Cela parce que l’émergence d’une nouvelle et puissante droite d’outre-Atlantique qui est en train de bouleverser les jeux traditionnels de la politique européenne impose de nouvelles alliances, détermine de nouvelles priorités, crée l’espace pour une nouvelle identité de droite.
C’est pourquoi l’enjeu de la question turque est important : déterminer qui sera dorénavant le centre propulsif des droites plurielles. Faudra-t-il, cette fois, rechercher les racines dans le renvoi aux traditions chrétiennes ou plutôt à l’idée d’un Occident fondé sur une alliance solide entre les deux rives de l’Atlantique ?

Traduit de l’italien par Karl & Rosa de Bellaciao

http://www.liberazione.it/giornale/041221/default.asp