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La cause féminine prise en otage

Publie le lundi 9 novembre 2009 par Open-Publishing

Mohammed VI a toujours affirmé vouloir émanciper les femmes. La « nouvelle ère » est bien celle de la nouvelle Moudawana et du Code de la nationalité. Pourtant, ces réformes trouvent du mal à conquérir le coeur des Marocains. Et pour cause : le Pouvoir semble plus occupé à instrumentaliser cette cause pour soigner son image à l’international qu’à s’engager à appliquer des réformes pourtant essentielles pour la construction d’un pays plus égalitaire, donc forcément plus démocratique.

Par : Hicham Houdaïfa

Les dix dernières années ont été les années des femmes. Cette phrase revient chez bon nombre de nos concitoyens depuis que le chantier des réformes visant le statut de la femme a été engagé. La plus importante, mais également la plus médiatisée reste la réforme du Code de la famille. D’autres réformes ont ciblé les manuels scolaires réputés sexistes et permis aux mères marocaines mariées à des étrangers de transmettre la nationalité à leurs enfants. Des réformes qui avaient pour but, en principe, de faire du Maroc un pays plus égalitaire et rendre ses lois plus, en harmonie avec les conventions internationales. Le dénominateur commun de ces réformes, c’est d’avoir été imposées par le haut. Ce qui explique les résistances rencontrées lors de leur mise en application.

Des résistances qui sont en partie dues à la mentalité conservatrice d’une bonne partie de la population marocaine, mais aussi de ceux qui sont censés les appliquer : les juges pour la Moudawana, l’instituteur pour l’Enseignement.

Priorité à l’international

Ce qui nous ramène au principal : une loi tient certainement sa force dans sa capacité d’application. Au Maroc, on se retrouve avec un arsenal de lois avant-gardistes, en comparaison avec nos voisins, mais qui sont, dans le meilleur des cas, partiellement appliquées. Une armada de lois qui place le royaume, sur le papier du moins, au diapason des pays arabes et musulmans, mais qui ne s’avère être qu’une vitrine pour l’étranger en l’absence de politique de sensibilisation et de mécanismes d’application. Les associations féministes ne cachent plus leur frustration vis-à-vis du double jeu de l’Etat marocain. Dans son dernier communiqué daté du 10 octobre dernier, une des associations féministes les plus influentes et les plus actives, l’Association Démocratique des Femmes du Maroc (ADFM) pointe du doigt le coeur même du problème. L’association revient sur la décision royale du 10 décembre 2008 annonçant la levée des réserves sur la Convention internationale sur l’élimination de toutes les discriminations à l’égard des femmes (CEDAW). « Depuis cette date, nous n’avons cessé de recevoir des messages de félicitations de la part de personnalités et organisations nationales et internationales à propos de la nouvelle étape franchie par notre pays en matière de consécration du principe de l’égalité », précisent les responsables de l’association. Et de préciser : « Nous sommes confrontées à un dilemme. En effet, à ce jour, 10 mois après, aucune information officielle n’a filtré sur les mesures opérationnelles prises par le gouvernement marocain pour la mise en œuvre de cette déclaration. »

A l’occasion du 30è anniversaire de la Cedaw, l’ADFM, qui milite dans des domaines aussi variés que le droit des femmes soulaliyates à bénéficier, au même titre que les hommes, des opérations de cession des terres collectives ou encore dans la problématique de l’intégration de l’approche des genres dans les manuels scolaires pose la question en des termes clairs : Faut-il prendre en considération le discours adressé à l’extérieur qui laisse supposer un engagement total de l’Etat marocain en matière de levée de toutes les réserves ? Ou alors, faut-il plutôt croire au discours dirigé vers l’intérieur qui renvoie, selon toute vraisemblance, à une levée limitée et sans réelle portée de certaines réserves ? Ce communiqué trahit le ras-le-bol d’une bonne partie des associations féministes : de cette instrumentalisation qui a pour unique objectif de donner une image d’un Maroc respectueux des droits des femmes à l’international au détriment d’un véritable travail de promotion de ces mêmes lois à l’intérieur du pays. Devant ce décalage entre les lois et la réalité, des femmes ont pris les devants pour défendre ces mêmes textes. Elles se sont substituées aux pouvoirs publics et ont joué le rôle de relais chez le citoyen afin que ces règles puissent être comprises, acceptées et même adoptées. Elles se sont également élevées contre les manquements sur le terrain fruit de l’absence de campagnes de sensibilisation ciblant les citoyens marocains.

La fillette flkouzina (dans la cuisine)…

Et c’est dans l’Enseignement, la base de toute politique de promotion des valeurs universelles que l’on retrouve des manquements majeurs à l’esprit même de ces réformes. Une des plus grandes promesses de la Charte de la Commission spéciale Education Formation (COSEF), qui a été élaborée durant les dernières années de Hassan II, mais qui a vu le jour avec le début du règne de Mohammed VI, est l’introduction de l’approche des genres dans les manuels scolaires. L’objectif est de former des générations futures sensibles aux valeurs égalitaires. Pour preuve l’article N°1 des principes fondamentaux de la charte : « Le système éducatif marocain assure une interaction dynamique entre le patrimoine culturel du Maroc et les grands principes universels des droits de l’homme et du respect de sa dignité. Seront respectés, dans toutes les prestations de services d’éducation et de formation, les principes et les droits reconnus à l’enfant, à la femme et à l’homme en général, tels que le stipulent les conventions et les déclarations internationales ratifiées par le Royaume du Maroc ». Or, certains manuels scolaires, dans des matières comme l’éducation islamique ou l’arabe, sont en totale contradiction avec l’esprit de la charte. On se retrouve alors avec des images stéréotypées de fillettes voilées, assignées à des tâches ménagères, confinées dans des rôles traditionnels. « Les manuels scolaires doivent répondre à un cahier de charges qui respecte l’esprit de la charte. Ce qui malheureusement n’est pas toujours le cas », souligne Zahra Ouardi, secrétaire générale de la section Casablanca de l’Union pour l’action féminine (UAF). Cette association a réalisé une étude sur les manuels scolaires de l’arabe et de l’éducation familiale des niveaux collèges et lycées. « Le rôle de la femme dans ces manuels ne sort pas du cadre traditionnel : éducation des enfants, allaitement, préparation des repas. Ce qui est en contradiction avec la place actuelle des femmes marocaines dans la vie active et politique ainsi qu’avec l’esprit des lois en faveur de plus d’égalité entre les deux sexes. J’estime qu’il y a un véritable problème surtout chez ceux qui sont censés appliquer ces mêmes lois », ajoute Mme Ouardi. On retrouve chez ces femmes militantes de l’UAF le même sentiment que tout reste encore à faire tant que les mentalités ne sont pas conquises. « L’Etat marocain est félicité pour ses efforts pour établir l’égalité des sexes. Ce même Etat s’arrête au stade de l’application. Alors que cette étape est la plus importante », martèle Mme Ouardi.

Ce décalage s’applique également au Code de la famille, dont on célèbre d’ailleurs le sixième anniversaire de son annonce. En effet, le 10 octobre 2003, le roi prononce un discours devant les représentants de la Nation annonçant le nouveau Code de la famille. Fruit de longues années de lutte du mouvement féministe et du courage d’un Saïd Saâdi secrétaire d’Etat à la Famille du temps du gouvernement de l’Alternance, très vite « remercié », la nouvelle Moudawana a marqué une avancée considérable pour la cause de l’égalité au pays. La répudiation a été abolie et remplacée par le divorce. Elle a instauré la responsabilité commune entre les époux par rapport à la gestion des affaires du foyer alors que par le passé, les épouses étaient considérées comme mineures. Le nouveau texte a également relevé l’âge légal du mariage de la fille à 18 ans. Des avancées qui ont été alors acclamées par l’ensemble des associations féministes et des partis politiques. Et surtout par une communauté internationale ravie de voir un pays arabo-musulman promouvoir la situation de sa gent féminine. Six ans après, la Moudawana n’est pas encore ancrée dans les moeurs.
De l’avis même de la ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité, Mme Nouzha Skalli qui avoue que « des défaillances persistent au niveau de son application, surtout en ce qui concerne le mariage des mineurs et l’octroi de la pension alimentaire aux femmes divorcées. »

Le nombre de mariages des mineurs (moins de 18 ans) est en constante augmentation : autour de 35 000 pour le compte de l’année 2008, soit plus d’un mariage sur dix. Les différentes études réalisées par les associations féministes montrent d’ailleurs des résistances à l’application du Code de la famille même si « on assiste cinq après à une évolution au niveau de l’appropriation par les Marocaines et les Marocains du Code de la famille », souligne Malika Benradi, enseignante à la Faculté de Droit à Rabat et qui a participé à des études sur le sujet.

Femmes hors la loi !

Une de ses études réalisée en 2007 pointe du doigt les insuffisances de l’action de l’Etat. « Afin de rendre la Moudawanna plus accessible et mieux appliquée, il faut organiser de larges campagnes d’information et de sensibilisation, renforcer les formations des juges pour qu’elles soient plus ouvertes sur les sciences sociales et humaines et orientées vers le renforcement de l’indépendance de la justice. Il faut également allouer moyens matériels et de ressources humaines : juges, psychologues, sociologues, médiateurs, assistants sociaux… », peut-on lire dans cette étude. Mais aussi de faire accompagner cette réforme de mesures concrètes, parmi lesquelles : la création du fonds de garantie, la mise en place d’un corps de médiation, l’ouverture des centres d’hébergement pour femmes victimes de violences conjugales ; l’ouverture d’espaces de dialogue et de médiation… « Ces actions sont en encore d’une brûlante actualité », précise la chercheuse.

Dans le milieu rural, la situation est encore plus dramatique. La Fondation Ytto présidée par Najat Ikhich a fait de la région d’Azilal, l’une des plus pauvres du Maroc, son terrain de bataille. Et pour cause : la région est celle qui abrite le nombre le plus élevé de mariages de mineurs. Des mariages hors la loi qui se font dans l’indifférence totale de l’Etat. Dans son dernier rapport sur la région qui date de juillet 2009, on apprend par exemple que dans la localité d’Aït Abbas, une des plus marginalisées de la préfecture d’Azilal, neuf filles sur dix se marient avant l’âge de 18 ans et que 99 % des mariages sont coutumiers (sans actes de mariage). Dans ces contrées où il n’y a pas d’égouts, pas d’électricité et pas d’eau potable et où un enfant sur deux meurt avant l’âge de cinq ans, 91% des femmes sont analphabètes et 93% d’entre elles ne connaissent pas c’est quoi une pension alimentaire ! Avant l’arrivée d’Ytto, une bonne partie des habitants de Aït Abbas, Aït Mhammed, Aït Bougemmez et bien d’autres patelins du Maroc profond ignoraient même l’existence d’un nouveau Code de la famille ! C’est grâce au courage des militantes et militants d’Ytto, de l’Association démocratique des droits des femmes (ADFM), de la Ligue démocratique des droits des femmes (LDDF), de l’Association Ennakhil pour la femme et l’enfant, de l’Union de l’Action Féminine, des associations des droits humains présidées toutes les deux par des femmes (AMDH, OMDH) et bien d’autres associations féministes que les batailles pour l’égalité entre femmes et hommes et pour le respect de la dignité de la Femme sont encore engagées. Le Pouvoir, lui continue, d’instrumentaliser indignement une cause vitale pour le développement du pays.

Le Journal hebdomadaire