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La colère des "recalculés", ces chômeurs privés d’indemnités
Publie le jeudi 15 avril 2004 par Open-PublishingQuatre associations organisent, jeudi 15 avril, une journée nationale
d’action pour protester contre la réduction de la durée d’indemnisation. En
janvier, 265 000 personnes ont perdu leurs allocations. Deux mille ont
assigné l’Unedic et l’Assedic en justice, s’estimant victimes d’une "rupture
de contrat".
Depuis le début de l’année, des dizaines de milliers de demandeurs d’emploi
ne sont plus couverts par le régime d’assurance-chômage. Leurs allocations
ont cessé de leur être versées plus tôt que ce qui leur avait été annoncé
lorsqu’ils signèrent un plan d’aide au retour à l’emploi (PARE) avec l’ANPE.
Pourquoi ? Parce que, en décembre 2002, les partenaires sociaux - excepté la
CGT et FO - avaient décidé de raccourcir la durée d’indemnisation des
chômeurs, de manière à combler le déficit de l’Unedic. Résultat : en
janvier, quelque 265 000 personnes ont perdu leurs indemnités plusieurs mois
avant la date prévue. Aujourd’hui, 2 000 d’entre elles contestent cet état
de fait. Elles ont saisi les tribunaux, avec l’aide de quatre associations
de chômeurs (AC !, Apeis, MNCP, CGT-Chômeurs), qui organisent, jeudi 15
avril, une journée nationale d’action. Le tribunal de grande instance de
Marseille doit d’ailleurs se prononcer sur l’un de ces recours jeudi.
Annie, Eric, Sylvie et Yves figurent parmi ces demandeurs d’emploi qui
n’acceptent pas que leurs droits aient été recalculés, au mépris de la
parole donnée. Ils retracent leur parcours, confient leurs doutes et leur
colère. "Avant", Yves, 43 ans, travaillait dans "l’édition publicitaire".
Journaux d’entreprise, plaquettes, "direction éditoriale"... Son emploi lui
assurait un salaire confortable : environ 3 000 euros par mois. Quelques
semaines après "le 11 septembre", coup dur. Yves fut licencié : "Les budgets
consacrés à la communication marquaient le pas. Toutes les sociétés du
secteur ont été touchées." Lorsqu’il signa un PARE à la fin 2001, les
Assedic devaient le couvrir pendant deux ans et demi. Mais ses droits furent
amputés de sept mois, à la suite de la réforme de l’Unedic. Pour lui, c’est
comme si "une sorte de pacte républicain" avait été bafoué. Même son père,
"UMP bon teint, gaulliste de la vieille école", a été scandalisé.
Depuis le mois de janvier, Yves n’émarge plus aux Assedic. Il perçoit
désormais l’allocation de solidarité spécifique (ASS). Montant : environ 420
euros, qui servent "à payer la pension alimentaire de ma fille". Yves ne se
plaint pas : "Je fais partie des nantis. J’avais de l’argent de côté, je vis
sur ma réserve." Et puis il possède son logement. Pas de loyer à régler.
Mais tout de même. "Si j’avais pu imaginer un jour que je vivrais sur les
minima sociaux... C’est un choc psychologique. Surtout quand on est en
pleine force de l’âge sur le plan professionnel."
"UN VIEUX CROÛTON"
D’ailleurs, le fait de rester sur le carreau, après avoir cherché du travail
avec "assiduité", le laisse songeur. "J’évolue dans un milieu où le
"jeunisme" fonctionne à plein." La preuve ? Sur leurs offres d’emplois,
nombre d’entreprises précisent qu’elles recherchent des candidats âgés de 28
à 35 ans, d’après Yves. Jusqu’à présent, ajoute-t-il, c’est à partir de la
cinquantaine que les demandeurs d’emploi étaient jugés "trop vieux".
Maintenant, les obstacles se dressent dès que "l’on a 40 ans". "C’est quand
même terrible."
Annie, 48 ans, trouve, elle aussi, que l’âge est devenu un paramètre de
sélection impitoyable. Au début du mois d’avril, alors qu’elle passait un
entretien d’embauche pour un poste de responsable des ressources humaines,
une "recruteuse odieuse" l’a traitée comme "un vieux croûton". "Elle m’a
charcutée dans tous les sens et a dit : "Vous savez, le marché est atone. Il
y a de jeunes diplômés d’écoles de commerce qui poussent derrière.""
Instants pénibles. D’autant plus que, la nuit précédente, Annie n’avait pas
fermé l’¦il tellement l’anxiété la rongeait. "Je me suis foutu une pression
folle."
Stress, culpabilité, sentiment de "honte"... Après deux années de chômage,
Annie se sent "moralement détruite". "Je prends des antidépresseurs et un
"truc" pour dormir." Elle a parfois des "heurts" avec son mari et se
"replie" sur elle-même. Le jour où les Assedic lui ont appris que ses
indemnités-chômage étaient coupées sept mois plus tôt que prévu, elle a
"très très mal réagi". Et pour cause : "Je n’ai droit à rien du tout." Ni au
RMI ni à l’ASS, compte tenu de la paye de son époux (toutes les ressources
du ménage sont prises en considération pour accorder ou refuser l’un de ces
minima sociaux). Du coup, la famille vit sur un seul salaire depuis le 11
avril. "Et je continue à payer "plein pot" la cantine de nos deux enfants.
Sans parler du crédit à rembourser pour l’appartement."
"CE FUT LA PANIQUE"
Malgré le "découragement", Annie affirme rechercher "activement" du travail.
Elle a suivi une formation dans un "institut de gestion sociale" pour
étoffer son CV et se dit prête à faire des concessions sur le salaire.
"Mais, dans un cabinet de recrutement, on m’a dit qu’un tel comportement
était suspect." A terme, elle craint de devoir se rabattre sur des "boulots
alimentaires", comme "gestionnaire de paye". "C’est un peu raide. Je viens
d’un milieu ouvrier très très simple. J’ai voulu m’élever, socialement. Et
je me retrouve dans les bas-fonds."
Sans emploi depuis décembre 2001, Eric, 44 ans, songe également à se
reconvertir, mais dans une profession qui le passionne : vitrailliste. Un
changement de carrière complet pour cet ancien analyste-programmeur qui a
accumulé les contrats précaires dans "toutes les boîtes de SSII" (société de
services et d’ingénierie en informatique). En octobre 2003, il avait
commencé à prendre des cours chez un maître verrier. La formation était
certes coûteuse - 17 000 euros -, mais Eric pensait être en mesure de la
payer, grâce à ses indemnités-chômage ("1 200 euros" par mois) et à l’aide
du conseil régional. Et puis patatras ! Les Assedic se tarirent. "Ce fut la
panique. Je donnais quelque chose à ma mère, qui m’héberge chez elle. Je
versais aussi une pension alimentaire." Désormais bénéficiaire du RMI, Eric
ne peut plus assumer toutes ces charges. Il a dû également suspendre sa
formation, le temps de trouver d’autres "financeurs". Des soucis qui
n’auraient pas surgi si son PARE avait été respecté. "J’aurais dû être
indemnisé jusqu’en mai. C’est une rupture de contrat. Je réclame ce que les
Assedic ne m’ont pas versé."
Car il est nécessaire d’avoir des allocations-chômage "correctes" pour
rechercher un emploi, enchaîne Sylvie, 50 ans. "Si l’on vous sucre vos
droits, c’est une condamnation à mort." Pendant des années, elle s’est
investie, corps et âme, dans la logistique de transports internationaux.
C’était une passion, qui structurait son "identité". Privée de ce "boulot",
Sylvie a le sentiment de subir "une spoliation". Et la "descente aux Enfers"
continue : à la mi-janvier, elle a basculé sur l’ASS. "Il est impossible de
vivre avec 400 euros par mois. Une fois que vous avez payé l’électricité, le
téléphone, les "choses vitales", il ne vous reste plus rien." Au fond,
conclut-elle, mi-provocatrice mi-désabusée, "si nous sommes considérés comme
un poids, qu’"ils" aient au moins le courage de nous donner une capsule de
cyanure et qu’on nous laisse nous euthanasier".
LE MONDE