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La contestation n’est pas une marchandise

Publie le samedi 12 juillet 2003 par Open-Publishing

" Le monde n’est pas une marchandise " est un slogan qui connaît diverses
déclinaisons. Puisque je dois vous parler d’Uzeste, j’en rappellerai une : "
la culture n’est pas une marchandise ". Sur ce registre, de nombreux acteurs
culturels (organisateurs de festivals, directeurs artistiques,
programmateurs) se sont fait entendre.

La formule est même devenue une
sorte de label qui range certaines manifestations culturelles du côté de "
l’alter-mondialisme ". On y affiche ses intentions de donner à voir et à
entendre des productions culturelles menacées de disparition du fait de
l’uniformisation de la culture qu’engendre sa marchandisation.

Une telle posture peut paraître courageuse : elle donne l’impression d’un
engagement de ces acteurs culturels du côté de la contestation d’un ordre
social inique. Mais à y regarder de plus près, y a-t-il vraiment prise de
risque ? Cette question me semble importante, car sans prise de risque, il
n’y a pas d’engagement. Il n’y a que simulacre ; en l’occurrence, on
pourrait parler de mise en scène.

L’attitude de ces mêmes acteurs culturels en cette période de conflit des
intermittents du spectacle nous éclaire. Car aujourd’hui, avec la menace de
grève qui pèse sur de nombreux festivals, la prise de risque devient
concrète : l’annulation de festivals est à l’ordre du jour. L’engagement
n’est plus une parole en l’air : il devient prise de position suivie
d’effets. Rideau ! Or, il semble que cette perspective affole. La forme
d’engagement que constitue la grève ne serait plus la bonne. En réalité, le
passage à l’acte dérange. Or, sans lui, la contestation n’est qu’illusion,
virtualité. La " cyber-contestation " ne coûte pas cher, il semble même
qu’elle peut rapporter beaucoup.

Mais le plus grave, c’est qu’ainsi marchandisée, la contestation se trouve
intègrée au système qu’elle prétend combattre. En la mettant en scène dans
des lieux de " consommation culturelle ", on neutralise sa fonction critique
et transformatrice. Le pouvoir peut dormir tranquille : le risque de sa
remise en cause est circonscrit. Il ne débordera pas de la scène et de
l’enceinte des festivals.

Ainsi domestiquée, la contestation n’est plus ce ressort imprévisible de la
transformation sociale, mais devient l’exutoire inoffensif de toutes les
frustrations, une soupape qui évacue nos désirs de changement dans
l’illusoire satisfaction consumériste.

L’Hestejada d’Uzeste ne peut se prêter à une telle mystification. La fête
des arts à l’oeuvre sera, dans ce contexte, de lutte ou ne sera pas.
Or, une lutte, ça ne se programme pas. C’est la première différence avec un
festival. Ca s’organise, certes, mais en ayant bien conscience de toute la
part d’improvisation qui caractérise toute véritable expérience créatrice,
car la lutte est création des conditions d’émergence d’un autre horizon,
élargissement du champ des possibles. Chacun y amène ses idées, sa part
d’engagement, ses convictions, ses incertitudes, sa confiance et ses
inquiétudes. Et de leur confrontation au collectif résulte un mouvement dont
on dit qu’il est social.

Dans ce collectif, il y aura des artistes, des techniciens, des
syndicalistes, des salariés en vacances, peut-être des artisans, sûrement
aussi des paysans. Certains amèneront leur expérience de grève, de manif,
d’autres amèneront leur film (Marcel Trillat, Agnès Poirier, Gilles
Balbastre, Luc De CasterS). D’autres amèneront leurs instruments, leurs
textes, ou leurs revendications. Et d’autres encore, simplement leur colère,
leur sensibilité, leurs espoirs. C’est tous ensemble que nous déciderons ce
que nous en ferons, ce qui n’empêche pas que chacun y vienne avec ses
propositions. Nous en avons sous le coude : Débats, forums, manifestations,
barricades trans-artistiques : notre répertoire est varié.
Autre différence avec un festival : une lutte ça ne se vend pas non plus.
Pour y participer, on n’achète pas son billet, on paie de sa personne, et ça
n’a pas de prix.

Vous l’avez compris, ce rendez-vous, comme tout moment de lutte, sera
imprévisible. Y participer, ce sera prendre un risque : d’être déçu, de n’y
rien faire, ou bien de s’y perdre, de s’y faire déborder. C’est seulement à
ce prix que peuvent advenir les vraies surprises, comme celle qui consiste à
s’inventer un autre avenir.
Pour ma part, je prends le risque de ne rien vous promettre en pariant que
vous serez quand même nombreux à y venir.

Luc Paboeuf, Secrétaire Général du l’UD CGT

Uzeste Musical, visage village des arts à l’oeuvre - 12 juillet 2003
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