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La culture, une idée neuve en Europe, par Renaud Donnedieu de Vabres

Publie le jeudi 8 juillet 2004 par Open-Publishing

LE MONDE

Le 8 juin, de très grands artistes, écrivains et responsables d’institutions
culturelles s’engageaient dans ces colonnes "pour une Europe fondée sur sa
culture".

Le 8 juillet, le Festival d’Avignon s’ouvrira dans la cour du Palais des
papes avec le Woyzeck de Georg Büchner, joué en allemand, dans une mise en
scène de Thomas Ostermeier. Cette pièce sera précédée d’un débat ouvert à
tous sur l’Europe de la culture, avec des artistes européens, en présence
des ministres allemands de la culture. L’Europe de la culture avance. Mais
nous, nous savons, en Europe, que l’histoire est tragique.

Nous gardons la mémoire de ces conflits qui ensanglantèrent le monde, surgis
entre des peuples qu’unissait pourtant la conscience d’appartenir à une même
civilisation, ces conflits qui nous apparaissent à présent comme de grandes
guerres civiles européennes.

Aujourd’hui, nous sommes placés devant des choix cruciaux qui façonneront
notre histoire, des choix qui risquent néanmoins d’être pris, ou manqués,
dans l’indifférence des opinions publiques.

Nous avons le choix de construire notre avenir en dotant l’Europe des moyens
politiques qui lui permettront d’exister dans le monde.

Nous pouvons aussi renoncer, nous laisser aller à la poésie des ruines,
écouter les prophéties lancinantes du déclin, les chantres nostalgiques des
replis identitaires.

Les chefs d’Etat et de gouvernement des vingt-cinq Etats membres de l’Union
européenne viennent d’adopter un traité constitutionnel dont la devise,
"Unie dans la diversité", contient à elle seule toute la tension et la
richesse du projet européen. Un projet qui n’a de promesse que s’il est
fondé sur la culture.

Je crois que la valeur suprême de l’Europe, ce qu’elle a offert au monde de
plus généreux, c’est le pluralisme. Ce respect du pluralisme est intimement
lié à notre héritage culturel, à ce dialogue mystérieux entre des cultures
qui se sont construites les unes par rapport aux autres, au fil des siècles,
en exprimant chacune à leur façon une même conscience d’être au monde.

Au-delà d’une ambition collective qui répond, bien sûr, à la sauvegarde
d’intérêts bien compris, ce qui unit les Européens, ce qui les fait se
reconnaître comme tels, ce qui suscite l’élan de l’âme, c’est la culture.

"La culture, comme l’a dit André Malraux à New York en présentant La Joconde
pour la première fois hors d’Europe, c’est notre émotion devant La Ronde de
nuit, la représentation de Macbeth ou l’exécution d’Orfeo".

Dans une Europe de 450 millions d’âmes qui se construit depuis cinquante ans
dans le domaine économique, seule la culture peut donner un sens, provoquer
une émotion, entraîner l’adhésion au projet politique le plus extraordinaire
de notre temps : unir tout un continent dans la paix et la démocratie, par
la volonté libre de ses peuples.

Paradoxe tragique : alors que nous n’avons jamais eu autant besoin de la
culture pour faire avancer l’Europe, la diversité culturelle n’a jamais été
autant menacée.

Elle est menacée de l’extérieur par les méfaits d’une mondialisation mal
maîtrisée qui conduit à traiter les biens et les services culturels comme
des marchandises ordinaires et risque ainsi, tôt ou tard, de réduire l’offre
culturelle à ce que produira l’industrie la plus puissante.

Mais elle est aussi menacée par l’Europe elle-même. Parce que cette
dernière, en privilégiant l’intégration des marchés, risque, sans même
l’avoir voulu, d’imposer l’uniformité à nos cultures nationales, que ce soit
par une mise en ¦uvre sans discrimination de la politique de la concurrence
ou au détour de l’harmonisation du marché intérieur. Dans cette mort lente
de nos cultures se dissoudraient nos identités nationales.

Nous devons lutter contre cette dérive. Nous devons faire advenir l’Europe
rêvée du poète portugais Fernando Pessoa, "une Europe qui parle d’une seule
et même voix mais dans toutes ses langues, de toutes ses âmes."

Il est temps de bâtir l’Europe de la culture.

Il est temps que les Etats et les peuples d’Europe signent avec les
institutions de l’Union un pacte par lequel ils s’engageront à faire vivre
l’héritage culturel dont nous sommes les mandataires pour les générations
futures, un pacte par lequel une culture européenne de notre époque puisse
exercer une influence lumineuse dans le monde et retrouver le meilleur, le
plus généreux, de ce que la civilisation européenne a su créer.

Alors, comment ? Recherchons ensemble un instrument juridique collectif qui
assurera un traitement spécifique des questions culturelles dans toutes les
négociations communautaires et qui appuiera le rayonnement culturel de
l’Europe. Ce pacte, compte tenu de son importance, pourrait être approuvé
par tous les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Europe à vingt-cinq.

La France a d’ores et déjà proposé d’adopter une stratégie commune à
vingt-cinq lors du premier conseil des ministres européens de la culture
auquel j’ai participé.

C’est donc avec enthousiasme et avec un sens partagé de l’urgence que je
réponds à l’appel de juin en faveur d’une Europe fondée sur sa culture, qui
place chacun d’entre nous devant ses responsabilités.

Je prends les miennes en tant que responsable politique. J’invite de tout
c¦ur les signataires de cet appel à rejoindre le débat qui se tiendra
pendant le Festival d’Avignon. Et je souhaite que l’un et l’autre forment le
point de départ d’un vaste mouvement d’opinion pour la naissance d’une idée
neuve : l’Europe de la culture.
Renaud Donnedieu de Vabres est ministre de la culture et de la
communication.