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Éditorial Par Michel Guilloux-
La farce d’un maître patelin
Libéralisme effréné et repli sur soi pour le spectacle, Popstars
comme modèle d "ouvre audiovisuelle ".
Jean-Pierre Raffarin a des lettres. Dans le point de vue qu’il a
signé hier dans le Monde, le premier ministre convoque Molière en
soutien de sa politique de décentralisation. " Souvenons-nous que
Molière a d’abord été rejeté à Paris, avant de trouver sa vraie
identité à Lyon, puis dans le Languedoc. Il a forgé son génie avec la
confiance d’un public attentif jouant le rôle de miroir et
d’inspirateur, et c’est fort de cette expérience qu’il est reparti à
la conquête de la capitale et de l’histoire. " Faudrait-il que les
saltimbanques du XXIe siècle réapprennent à vivre comme à l’époque,
d’aumônes le plus souvent, de soumission docile au mécène, royal
hier, " sponsor " privé ou édile local aujourd’hui ?
Que le chef du gouvernement soit amené à prendre sa plume en plein
mois d’août, le jour même de la journée nationale d’action des
intermittents du spectacle, est certes à lire en creux. C’est là une
reconnaissance du vice à la vertu, d’un mouvement dont on voudrait
taire la force et qui a surpris par son ampleur, sa détermination et
ses exigences.
Comment disserter sur l’avenir de la culture en France, reprendre le
gaullien " Je vous ai compris ", l’enrober de la guimauve d’une "
grande tristesse de ces rideaux trop vite tombés " et de la "
déception " des artistes et du public, en faisant un silence
assourdissant sur le fond de l’affaire ? Deux faits peuvent le
résumer. Le premier est que 35 000 personnes seraient exclues de
toute indemnisation chômage, alors que beaucoup ne touchent déjà qu’à
peine 15 euros par jour. Voilà un plan social qui ne dit pas son nom
et qui n’a rien à envier à la longue liste dont peut tristement
s’enorgueillir le premier ministre depuis qu’il est au pouvoir. Des
plans dont on sait, à chaque fois, les conséquences humaines et
sociales qu’ils entraînent sur les " territoires locaux " chers à son
cour, ou du moins à ses discours. Le deuxième est que devant la
réaction à l’agression, une des plus larges dans les professions de
la création culturelle et au-delà, jusque dans le public qui n’oublie
pas être descendu dans la rue avant l’été, les signataires originels
de l’accord ainsi que le gouvernement se sont enfoncés dans une
logique visant à modifier à la marge le texte initial, jusqu’à le
rendre de plus en plus difficilement applicable en l’état. Ce que
mêmes les intéressés finissent par reconnaître du bout des lèvres.
Alors pourquoi faire montre d’une telle obstination ? On ne peut
s’empêcher de songer si ce n’est constater que le siège du
gouvernement dans ce pays a déménagé à celui du MEDEF. Les
attaques actuelles que subit la culture dans notre pays sont en
parfaite cohérence avec la " refondation sociale ", prônée par
l’organisation d’Ernest-Antoine Seillière et à prendre au pied de la
lettre comme volonté de remodelage de l’ensemble de la société
française. Le vrai projet politique du premier ministre et de sa
majorité est là. Jean-Pierre Raffarin ne fait pas que " communiquer
". On ne peut penser qu’il s’agisse d’hasard ou de simple oubli
lorsqu’il fait sciemment silence sur les conséquences de
l’application de l’accord du 26 juin. Ni pour proposer non pas une "
loi sur la culture " mais sur " le spectacle vivant ", excluant
l’audiovisuel et le cinéma. Ni pour ne concevoir les festivals que
par la lorgnette du tiroir-caisse et comme ferments d " identité
locale". Libéralisme effréné et repli sur soi en somme pour le
spectacle, Popstars comme modèle d " ouvre audiovisuelle " à
subventionner. Mais même sur ce point, ces annonces, suivant d’autres
faites par son ministre sur le " statut de l’artiste ", montrent en
creux là aussi le bien-fondé et la portée de ce qui se joue dans
l’Hexagone cet été et qui ne peut qu’être sources d’exigences encore
plus affirmées pour la rentrée.
Article paru dans l’édition du 6 août 2003.