Accueil > La fiction malsaine de l’union

La fiction malsaine de l’union

par Munïn

Publie le dimanche 11 janvier 2015 par Munïn - Open-Publishing
1 commentaire

Le 7 Janvier, douze personnes ont été exécutés au siège de Charlie Hebdo. Cet événement m’a rempli d’effroi, moi aussi, comme une multitude de gens. On a buté des mecs pour délit d’opinion. Ça me débecte.

Mais la grande réaction d’indignation collective qui s’élève depuis me met plus que mal à l’aise.

Je refuse de plonger la tête la première dans l’unité au nom des valeurs républicaines. Dans nos institutions, dans nos rapports sociaux pouvez-vous me dire ce qui produit aujourd’hui réellement de la liberté, de l’égalité, de la fraternité ?

Les dernières grandes avancées allant dans le sens de l’émancipation et de la justice sociale ont presque trente cinq ans. C’est le temps qui nous sépare de l’abolition de la peine de mort, des dernière vagues de nationalisations, de la retraite à 60 ans, de la cinquième semaine de congés payés, des radio libres...
Ces conquêtes sociales et politiques furent le chant du cygne institutionnel d’une longue phase de notre histoire nationale ouverte à la fin du dix neuvième siècle pendant laquelle « la République » constitua un champ de luttes qui pouvait déboucher sur de réelles avancées démocratiques et sociales. Pour reprendre la formule de Jaurès : la République offrait la possibilité de « dépasser la démocratie en ouvrant la voie au socialisme » parce qu’elle posait un cadre politique, légitime, légal et institutionnel minimal permettant l’expression et la résolution de la conflictualité sociale.

Pour mener leurs combats, les classes populaires avaient la possibilité de s’approprier ce cadre et d’utiliser les « valeurs républicaines » comme une matrice portant potentiellement en son sein des conquêtes futures bien réelles.
Congés payés, réduction du temps de travail, droit de vote pour les femmes, conventions collectives, socialisation d’une part grandissante des richesses produites via la cotisation sociale et les services publics, droit à l’avortement.... pendant plus d’un siècle, en luttant pour leur émancipation, en dénonçant les écarts entre les valeurs républicaines et la « république réellement existante » et en œuvrant au dépassement de celle-ci, des forces sociales dominées ont permis à la « République » et à ses valeurs de se « réaliser ».

Depuis les années 1980, cette dynamique conflictuelle et contradictoire est brisée. Le rapport de force a changé de camp. Les puissants ont la situation bien en main...et la « République » avec.

La grande roue de l’histoire tourne à l’envers et charrie en masse les mesures liberticides, les lois antisociales et les coups de forces antidémocratiques. Conséquence de ce grand mouvement rétrograde (pour ne pas dire réactionnaire), en 2015, Le triptyque « Liberté – Égalité – Fraternité » est bien plus prégnant dans le granit des frontons institutionnels que dans la substance objective de nos rapports sociaux. La République n’est plus que l’ordre républicain prôné par Valls, un ordre immuable auquel il n’y aurait plus rien à changer puisque seule compterait la défense des valeurs.

On nous demande de faire unité au nom de ce qui s’avère être pour une grande part une fiction et qui ne constitue assurément pas le fondement réel de la société dans laquelle nous vivons.

Mais il y a plus. Ceux qui nous exhortent à embrasser cette foi républicaine sont ceux-là même qui imposent jour après jour un monde bien réel de domination, d’oppression et d’aliénation.

Fraternité – Faire unité avec Valls qui pourchasse et exclus des roms à tour de bras ?

Liberté – Faire unité avec Hollande qui sait si bien défendre la liberté d’expression en interdisant des manifestations de solidarité avec le peuple palestinien noyé sous les bombes ?

Egalité – Faire unité avec tous ceux au PS et à L’UMP qui font la guerre aux classes populaires, ceux pour qui le travail est un coût, ceux qui feignent de ne pas reconnaître la violence ni l’insécurité lorsqu’elle se fait sociale ?
Il y a quarante ans, le « terrorisme islamiste » était-il sur les feux de la rampe ? Non. Pourquoi ? Parce que le monde de cette l’époque était différent. Pas parfait, non, mais bien différent : autres dynamiques, autres rapports de forces, autres enjeux de luttes et de pouvoirs. Ce « terrorisme islamiste » est donc un produit historiquement et socialement construit. Et il n’est certainement pas anodin qu’il soit contemporain du règne universel du capitalisme le plus sauvage et de la disparition durable de tout mouvement puissant d’émancipation humaine capable de produire, vraiment, dans la vie réelle, de l’émancipation. Le carnage du 7 janvier est la déclinaison française de ce qui se joue au niveau international et en ce sens, il est aussi le produit de cette république frelatée qu’on invoque pourtant pour le conjurer.

La situation n’est pas nouvelle. Avant le drame du 7 janvier 2015, « La République » avait déjà été appelée à la rescousse pour conjurer la menace du Front National. C’était il y a 13 ans, après le 21 avril 2002. Vu la place que le F.N a aujourd’hui dans la société française, on jugera à quelle point la parade a été efficace. On pourra toujours dire qu’il est parvenu « à récupérer » la « République » et que c’est pour cela qu’il faut continuer de ce battre en son nom.

Et on aura tort. On aura tort car le FN est justement le rejeton naturel de cette république en tant que forme politique et ensemble institutionnel qui permet l’explosion des inégalités, des pratiques discriminatoires légalisées, la relégation sociale, la confiscation de pouvoir à grande échelle par une élite, et qui contribue à produire du même coup les individus qui ont sévit le 07 janvier dernier.

Cet énième sursaut au nom des valeurs républicaines montre à quel degré d’absurdité nous sommes parvenus.

Car pour sortir de l’impasse, on invoque justement ce qui est le fond du problème.

Soit on le fait par calcul, pour que l’ordre existant reste ce qu’il est, comme le font aujourd’hui Valls, Hollande et tous ceux qui incarnent la classe dominante au pouvoir. Soit, ce qui est le cas de la grande majorité des gens qui se mobilisent depuis le 7 janvier, on brandit les valeurs républicaines en toute honnêteté, sans se rendre compte qu’on s’attache à des idées abstraites qui n’existent plus que dans les têtes et qui n’ont rien à voir avec l’essence de la « république réellement existante » dans laquelle nous vivons. C’est alors le symptôme de l’impuissance collective d’un peuple qui se réfugie dans l’illusion et dans le déni. C’est la marque d’une incapacité commune à saisir et à comprendre réellement le cours des choses, l’enchaînement des causes et des effets qui ont produit cette situation. Enfin c’est peut-être le signe d’une grande peur de reconnaître que nous n’avons aucune prise collective sur la réalité, que nous n’avons pas la capacité de peser sur elle, ni de la transformer.

Sur le forum de discussion du site de « arrêt sur image », un internaute parlait d’anomie pour caractériser cette situation.

Allons plus loin. On se trouve ici au paroxysme de ce que Marx appelle l’aliénation : ce processus qui fait que les puissances sociales produites par les individus en viennent à leur échapper et à devenir des puissances étrangères qui leurs font face et les dominent.

« La liberté d’expression contre l’obscurantisme », « les valeurs républicaines contre le fanatisme et les radicalismes », « la lutte contre le terrorisme ». Nous ne sommes pas confrontés à des événements tangibles qui ont des causes réelles. Nous assistons à une guerre qui fait rage dans le ciel, au dessus de nos têtes, entre des grands principes abstraits et éternels. Tout ce que nous aurions à faire, c’est de nous placer sous les ailes protectrices des bons principes et des valeurs justes pour devenir les fantassins de cette guerre. On est fortement inviter à user de nos sentiments et de notre capacité d’indignation comme munition à condition de les mettre au service de la défense de ces idées invariantes, éthérées et indéfinies et de se fondre dans l’unanimisme sans trop se demander ce qui fait au juste l’unanimité. Est-ce que quelqu’un sait au juste ce que veut dire : « je suis Charlie » ?

Désapprouver le meurtre et la violence comme moyen de régler un conflit d’opinion ?

Affirmer le fait qu’on est solidaire des victimes ?

Se reconnaître dans la ligne éditoriale de Charlie Hebdo (qui se vendait jusqu’à maintenant à 73000 exemplaires seulement) ?

Les gens se seraient-ils promenés aussi spontanément avec des pancartes « je suis le Figaro ! » si c’est la rédaction du journal de droite qui avait été décimée le 07 janvier dernier ? L’absurdité de l’unanimisme émotionnel se démontre facilement par l’absurde.

C’est bien cette guerre des valeurs que va mettre en scène la marche (le mot « manifestation a été bazardé pour un terme plus neutre...et qui ne renvoie à aucun but et qui montre bien la passivité qu’on attend des participants) du dimanche 11 janvier. La volatilité des principes invoqués atteste d’ailleurs à quel point ceux-ci se trouvent déconnectés du réel. En trois jours on est passé de « l’union républicaine », à « l’union nationale ». Avec la présence des représentants des puissances occidentales et de leur alliés, c’est la « lutte contre le terrorisme » qui est à l’ordre du jour. Aucun d’entre nous n’a eu de prise sur ce glissement. L’aliénation grandit et prospère toujours sur une confiscation de pouvoir, sur une séparation du plus grand nombre d’avec les moyens d’agir sur le réel. On sait donc à quoi s’en tenir concernant le rassemblement du 11 janvier. Il sera l’événement fondateur qui légitimera des décisions qui seront prises sans nous, mais pourtant en notre nom, car nous auront accepté de marcher, guidés par de belles valeurs virevoltants dans la stratosphère... et en prise directe avec des intérêts qui ne sont pas les nôtres.

Restons chez-nous le 11 janvier. Essayons de comprendre ensemble l’enchaînement et l’imbrication réel des causes et des effets qui nous ont conduit à un tel merdier et à partir de cela, attelons nous à agir en commun pour transformer la réalité et lui faire prendre un autre cours. On peut invoquer des valeurs pour orienter nos actes (communiste, militant pour l’émancipation individuelle et collective, je suis fermement attaché à la liberté, à l’égalité, à la coopération, à l’exercice collectif du pouvoir, à l’anti-autoritarisme et je donne à ces mots un contenu précis...) mais veillons bien à ce que celles-ci restent de manière permanente en prise directe avec nos manières d’agir et plongent leurs racines à même le terreau de la réalité.

https://www.facebook.com/235401953166701/photos/a.235409549832608.60828.235401953166701/902729986433891/?type=1&fref=nf

Portfolio

Messages

  • je partage.

    A nous de reprendre la main pendant le temps politique qui va succéder rapidement au temps émotionnel de "l’union nationale".

    Le réel ne disparaît pas. En France, s’appuyer sur l’effet de choc pour exiger du gouvernement qu’il rende des comptes pour ses choix de répression policière contre les manifestations (Sivens, mort de Rémi, Notre Dame des Landes...) et d’indigence dans le contrôle des sectes djihadistes, austérité et loi Macron à combattre, soutiens à la gauche radicale et aux mobilisations en Grèce et en Espagne, agir pour un syndicalisme lutte de classes....

    Reprendre la rue par nos mobilisations sociales enfin !!!