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La flexibilité de Villepin inquiète les économistes

Publie le jeudi 16 juin 2005 par Open-Publishing

de Alain Guédé

Villepin fera-t-il du Raffarin ? Depuis le 10 juin, les paris sont
ouverts dans les états-majors syndicaux. Lesquels se demandent si les
valses-hésitations de Raff n’ont pas fait un adepte.

Ainsi, lors de son discours de politique générale, le nouveau Premier
ministre présentait sont contrat de nouvelle embauche (un contrat de
travail à durée indéterminée avec une période d’essai de deux ans)
comme l’arme fatale pour réduire le chômage. Mais devant le tollé
syndical il a laissé entendre, au matin du 10 juin, à une délégation de
l’Unsa, qu’il n’était "pas fermé" à une évolution de son projet. De
même, ses conseillés assuraient à la CFDT que cette réforme n’était
pas bouclée. Matignon "confirme" son intention. Jusqu’à sa prochaine
entrevue ?

Les proches de Borloo ne cachent pas, eux, leur scepticisme. Le
ministre de la cohésion sociale a fait connaître urbi et orbi son
hostilité à cette "période d’essai" inventée par Villepin, qu’il trouve
particulièrement hypocrite. Il estime en effet qu’il aurait été plus
franc de présenter ce nouveau contrat pour ce qu’il est, c’est-à-dire
un CDD de deux ans. Plus gênant : les fonctionnaires du ministère,
appuyés par des instituts de prévision plutôt sérieux, accordent peu de
chances au bébé de Villepin.

Contrefaçons malvenues

L’un des "penseur" du ministère du Travail émet un doute en forme de
théorème : "A 1, 5 % de croissance, l’économie ne crée pas d’emplois
dans le secteur marchand (note personnelle : je vous rappelle que des
articles en fin d’année dernière donnaient actuellement un taux de 3 %
de croissance). On aura beau inventer le meilleur contrat de travail du
monde, la réalité est là." Constat que reprend, avec une certaine
cruauté, Xavier Timbeau, directeur de l’analyse et de la prévision de
l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). "La
flexibilité ne fait pas baisser le chômage, affirme-t-il au "Canard".
C’est, au contraire, la baisse du chômage qui permet la flexibilité."

Mais que valent donc les fameux modèles danois et espagnols dont
Villepin s’est inspiré selon cet expert en conjoncture ? Dans le
premier cas, l’amélioration de l’emploi est, d’après lui, le fruit
d’une politique de dévaluation forcenée (le Danemark n’a pas adopté
l’euro) et les dépenses colossales de l’État. Dans le second, la
flexibilité ne fait qu’accompagner une croissance historique, due,
notamment, à un effondrement des taux d’intérêt et à une politique de
grands travaux. Défense de le rappeler à Villepin, il en serait peiné.

Toujours selon Xavier Timbeau, l’exemple à suivre en aucun cas est
celui de l’Allemagne, qui, après son virage libéral, a vu sa masse
salariale fondre régulièrement depuis trois ans. Résultat : la
consommation s’effondre et le taux de croissance est inférieur de
moitié à la moyenne européenne.

Usine à dégazer

Plus ennuyeuse est la comparaison franco-française risquée par certains
fonctionnaires, à savoir les avantages et inconvénients de ces contrats
de nouvelle embauche par rapport aux multiples formules d’emploi
existantes. Pour faire passer la pilule, l’homme de Matignon devra
accompagner cette mesure de quelques douceurs. Notamment celle-ci :
tout salarié viré au cours de cette fameuse période d’essai de deux ans
pourra - Villepin s’y est engagé - bénéficier aussitôt d’allocations
chômage.

Autre grain de sable repéré par le directeur à l’OFCE : propriétaires
ou banquiers ne se bousculeront pas pour faire des affaires avec des
clients dont l’emploi est menacé. Bref, comme "Le Canard" le prévoyait
la semaine dernière, il ne restera plus qu’à donner un grand coup de
balai dans les statistiques.

Le Canard Enchaîné daté du 15 juin 2005