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La guerre "invisible" des Etats-Unis en Colombie

Publie le dimanche 8 mai 2005 par Open-Publishing
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de Jacobo Quintanilla Journaliste de l’Agencia de Información Solidaria

Des millions d’Américains ont été émus par l’histoire de la soldate Lynch, capturée en mars 2003 par les troupes irakiennes. Après sa libération, quelques jours plus tard, Jessica Lynch est retournée chez elle en Virginie occidentale convertie en héroïne et en icône de la lutte des Etats-Unis pour la libération du peuple irakien.

Cependant rares sont ceux aux Etats-Unis qui ont entendu parler de Thomas Howes, de Marc Gonsalves ou de Keith Stansell, trois Américains qui sont séquestrés depuis déjà plus de deux ans dans la forêt colombienne par les rebelles des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC). Le relatif anonymat de ces trois séquestrés n’est pas surprenant.

Ils n’étaient pas des membres actifs des Forces Armées des Etats-Unis, mais des personnes travaillant pour deux sous-traitant de l’entreprise Northrop Grunman - une entreprise privée qui loue ses services au Département d’Etat des Etats-Unis dans la lutte contre la drogue en Colombie et en Afghanistan. Le petit avion dans lequel ils se déplaçaient le 13 février 2003 au-dessus du département de Caquetá, dans le sud du pays, a été abattu.

« Comparez l’impressionnant déploiement médiatique lors de l’épisode Jessica Lynch avec la couverture de ces trois hommes en Colombie, enfermés depuis des mois », signale Peter Singer, analyste du centre d’études Brookings Institution et auteur de l’ouvrage « Corporate Warriors » (« Guerriers Privés »). « Cela illustre tout à fait clairement pourquoi les gouvernements apprécient d’employer ces entreprises qui travaillent sous contrat ; parce que si les choses tournent mal, la presse ne fait guère de bruit », explique Singer.

Le nombre de civils qui travaillent dans les programmes de lutte contre la drogue en Colombie a été multiplié par deux ces deux dernières années. Lorsque le financement du Plan Colombie a été approuvé en juillet 2000, le Congrès des Etats-Unis avait fixé une limite au nombre d’Américains, militaires et personnels civils sous contrat, qui pourraient être impliqués dans le Plan Colombie. Mais, vu l’excellent travail de ces personnels sous contrat, Washington avait décidé de faire passer de 400 à 500 le nombre des effectifs militaires américains en Colombie, et d’éliminer la limite pour le nombre de personnel privé sous contrat. Le saut qualitatif dans l’implication américaine en Colombie est donc clair.

Dans le pays andin il y a plusieurs entreprises privées, certaines d’entre elles intimement liées aux circuits du pouvoir de Washington, travaillant pour le gouvernement des Etats-Unis (Lockheed Martin, ARINC, Northrop Grunman, MPRI, etc.) ; mais Dyncorp s’impose comme l’entreprise la plus importante. Ses personnels sous contrat effectuent les fumigations sur les champs de coca, ils pilotent des avions et des hélicoptères qui appartiennent au Département d’Etat, ils organisent des programmes de développement alternatif, ils réparent les avionnettes et ils conseillent le Ministre colombien de la Défense dans les questions d’intelligence. Cette mini-armée américaine fournit en plus des pilotes, des techniciens ainsi que tout type de personnel nécessaire pour la guerre en Colombie, y compris du personnel administratif.

Dyncorp Aerospace Technologies a des contrats avec plus de 37 agences fédérales américaines, et cela lui rapporte près de 98% de son budget. En 2001, cette entreprise a signé un contrat de 600 millions de dollars avec le Département d’Etat des Etats-Unis pour la réalisation des fumigations en Colombie, en Bolivie et au Pérou.

Dyncorp a travaillé dans de nombreux endroits du monde. En Colombie, selon Peter Singer, les gens de cette entreprise ont acquis une réputation « d’arrogance et de disponibilité à combattre ». Peu importe le caractère moral de ces « professionnels » dans le cadre de leur fonction, mais par contre il est important de prendre en compte les accusations qui leur ont été portées durant la Guerre des Balkans, où plusieurs employés de cette entreprise ont été impliqués dans un scandale de trafic sexuel, de prostitution de mineures et de trafic illégal d’armes en Bosnie.

En Afghanistan, Dyncorp a également reçu sa part de gâteau. Et durant la guerre, la CIA a chargé certaines personnes privées sous contrat de piloter ses avions Predator. Mais une fois le conflit officiellement achevé Dyncorp -qui par ailleurs assure la maintenance de l’avion présidentiel, le Air Force One- a obtenu un contrat pour la protection privée du président afghan Hamid Karzaï et un autre contrat pour entraîner l’armée afghane une fois que les bérets verts quitteraient le pays. Cette entreprise est allée jusqu’en Mésopotamie pour faire des affaires : elle va recevoir 40 millions de dollars pour préparer la police irakienne.

En raison de l’utilisation massive de personnel sous contrat, au lieu des militaires, peu d’Américains connaissent le niveau d’implication de leur pays dans le pays andin, et l’escalade de cette implication -au point que la Colombie est le troisième récipiendaire d’aide militaire américaine, après Israël et l’Egypte. Cela montre que, tout comme pour le secteur énergétique, de nombreuses entreprises militaires privées ont des intérêts en Colombie et des accords qui se chiffrent en millions avec le gouvernement Bush.

Privatisation de la défense

Cette « guerre invisible », menée par les « Entreprises Militaires Privées » et financée par le Pentagone, provoque un conflit entre les affaires privées et les ressources publiques. Aujourd’hui plus de 48% du budget de la Défense est distribué à des entreprises privées ; il s’agit donc d’un transfert direct des impôts des citoyens américains à ces entreprises.

Les familles des trois séquestrés de Northrop Grunman, détenus par les FARC, assurent ne pas avoir reçu d’explication à propos de ce qui s’est produit. Les familles demandent des négociations. Washington refuse de négocier avec une guérilla qui est portée sur la liste des organisations terroristes. Pour régler la crise Washington a offert 340 000 dollars de récompense et un visa pour les Etats-Unis en échange d’informations qui conduiraient à la libération des otages.

L’utilisation de militaires privés sous contrat, contrairement à l’emploi des forces officielles, est préférable pour Washington - pour les politiciens américains, cela écarte tout risque politique en cas d’implication plus forte dans le conflit colombien.

Les militaires privés sous contrat ne sont soumis à aucun code de conduite strict, Washington n’a pas à répondre directement pour eux, et en cas de mort ou de capture on ne fait pas grand bruit. « Lorsque les privés sous contrat sont tués, nous pouvons simplement déclarer qu’ils ne font pas parti de nos forces militaires », admettait Miles Frechette, ambassadeur à Bogotá à l’époque de William Clinton.

« L’opinion publique nord-américaine est susceptible de compter les morts », affirmait le général colombien Néstor Ramírez, attaché militaire à Washington entre janvier 2002 et janvier 2003. « Imaginez que 20 militaires américaines meurent en Colombie, ce serait la fin du Plan Colombie ». Depuis 1998, plus de vingt militaires privés sous contrat sont morts en Colombie, et c’est à peine si leur mort à été rendue publique.

Adresse : www.anncol.org/side/1307 (en espagnol)

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