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La liberté très surveillée des anciens prisonniers palestiniens
par Emmanuelle Talon
Publie le lundi 9 janvier 2012 par Emmanuelle Talon - Open-Publishing
Les détenus palestiniens libérés par Israël dans le cadre de « l’échange Shalit » font face à de multiples contrôles.
Hasan Slameh venait d’être libéré
« sans condition », dans le cadre de l’accord conclu entre Israël et le Hamas pour
la libération du soldat Gilad Shalit. Petit homme mince au grand veston, qui a
passé 29 années dans les prisons israéliennes, il savoure une liberté à
l’arrière-goût de sursis :
« Ils sont venus à une heure du matin. C’était
début novembre. Ils ont tambouriné à la porte et m’ont emmené à la prison
d’Ofer (ndr : près de Ramallah). J’ai
attendu trois heures mais l’interrogatoire n’a duré que dix minutes : ils
m’ont montré des photos satellitaires de mon quartier et m’ont demandé de désigner
ma maison. Ils m’ont aussi demandé le nom de mes voisins et où vivait
chaque membre de ma famille. Mais ils ont déjà toutes ces informations. »
Ancien activiste du Fatah emprisonné
en août 1982, à l’âge de 24 ans, alors qu’il était encore étudiant en physique
à l’université de Bir Zeit, Hasan Slameh est l’un des plus vieux prisonniers
politiques palestiniens - un de ceux que l’on surnomme ici « les généraux de la
patience ».
Selon Ziad Abu Ein, vice-ministre
palestinien en charge des Affaires des Prisonniers, le cas de Slameh n’est pas
un cas isolé :
« La grande majorité des anciens
détenus reçoivent des “visites” de l’armée à leur domicile, la maison est
fouillée de fond en comble, ils sont interrogés. C’est une façon de leur
dire : “Nous savons où vous êtes. Restez tranquilles.” »
Le 16 octobre, Emi Talmor, directeur
du département des Pardons au ministère de la Justice israélien déclarait pourtant au site Al Jazeera que les prisonniers libérés « sans condition » dans le cadre de
l’échange Shalit « devront signer une déclaration dans laquelle ils
s’engagent à ne prendre part à aucune activité terroriste. Après cela, il n’y
aura aucune surveillance ».
Entraves à la liberté de circulation
Sur l’ensemble 1.027 prisonniers
palestiniens libérés en deux phases contre le retour du soldat Shalit, le 18 octobre et le 18 décembre 2011, 767 sont rentrés chez eux « sans condition ». 55 sont rentrés chez
eux « sous conditions de sécurité », 164 ont été transférés à Gaza et 41 ont été
exilés à l’étranger (vers la Turquie, le Qatar, la Syrie ou la Jordanie).
Pour la plupart d’entre eux, c’est
le bannissement sans limitation de durée. Ils ne pourront très probablement pas
retourner à leur domicile avant l’avènement d’un Etat palestinien souverain
jouissant du contrôle de ses frontières. Quant aux prisonniers rentrés chez eux
« sous conditions de sécurité », ils ont obligation de se présenter tous les deux
ou trois mois au poste militaire le plus proche, et ne sont pas autorisés à s’éloigner
de leur domicile de plus de quelques dizaines de kilomètres.
Enfin, de nombreux prisonniers
officiellement libérés « sans condition » sont de facto interdits de
sortie du territoire : le 4 novembre, un bus transportant 86 anciens prisonniers
partis faire le pèlerinage à La Mecque à l’invitation du roi d’Arabie Saoudite n’a pas pu franchir la frontière séparant la Cisjordanie de la
Jordanie. Il a été contraint de faire
demi-tour à la demande de l’armée israélienne, au motif que les voyageurs ne
disposaient pas de papiers en règle.
Parmi eux se trouvait Daoud
Al-Shaouish, résident de Jérusalem-Est condamné à 24 ans de prison en décembre
2000, et libéré « sans conditions » le 18 octobre dernier. D’après Ziad Abu Ein, « les
autorités israéliennes, qui considèrent ces hommes comme des terroristes,
craignent qu’ils ne profitent du pèlerinage pour nouer des contacts ». A Gaza, par contre, d’ex-prisonniers ont pu faire le pèlerinage en
quittant le territoire via la frontière avec l’Egypte.
Dans certains cas, les restrictions
mises à la liberté de circulation des anciens prisonniers s’appliquent également
à leur famille : le réseau européen pour la défense des droits des prisonniers
palestiniens Ufree a ainsi publié
une information selon laquelle, en novembre dernier, alors que les proches
d’une vingtaine de prisonniers exilés s’apprêtaient à quitter la Cisjordanie
pour aller leur rendre visite, ils ont été refoulés pour « raisons de sécurité ».
L’ONG palestinienne Addameer, qui se
consacre à la défense des droits des prisonniers, confirme l’information dans
un échange de mails : « A de nombreuses reprises, les familles de prisonniers
libérés ont été empêchées de voyager, même si nous ne sommes pas en mesure de
fournir une liste précise de leurs noms ».
Mise à prix 100.000 dollars
A Jérusalem, une milice composée de
citoyens israéliens a été créée à l’initiative d’Aryeh King, directeur de l’Israel
Land Fund, organisation visant à faciliter
l’achat de terres ou de biens immobiliers en Israël et en Cisjordanie. Composée
d’une quinzaine de volontaires, la « Capital guard » a vocation à suivre les
mouvements des ex-prisonniers résidant à Jérusalem-Est, et à avertir les
citoyens israéliens de leur présence éventuelle dans un lieu public.
« Israël a relâché des terroristes
qui ont tué des civils, explique
Aryeh King. Ils sont libres de bouger, marcher, conduire, entrer dans un
café. Et certains ont même déclaré qu’ils comptaient reprendre du
service ! Il est normal que nous souhaitions protéger les gens. Les
arabes doivent savoir que nous gardons un œil sur eux ».
Pour ce faire, Aryeh King a notamment
diffusé un poster comportant la photo de 15 ex-prisonniers :
Il insiste sur le fait que les
membres de la Capital Guard ne font « rien d’illégal ».
A Hébron, pourtant, les évènements
ont pris un tour plus violent le 19 novembre dernier, lorsque des colons ont pris
d’assaut la boutique de la famille d’Hani Jaber, un Palestinien de 36 ans - dont 18
passés en prison pour le meurtre d’un colon.
Précédemment, sa tête avait été mise
à prix pour 100.000 dollars. Un reportage diffusé sur la deuxième chaîne israélienne montrait des habitants de la colonie de Kiryat Arba accrocher des
posters à son effigie dans les rues d’Hébron.
Quant aux cousins Ramadan, Nizar et Khwailid,
condamnés en 1998 pour le meurtre de deux jeunes colons israéliens, leur tête a
également été mise à prix pour 100.000 dollars via des posters rédigés en
hébreu, turc, anglais et arabe et diffusés sur Facebook. L’administration du
site a finalement fait fermer la page.
Si seule une minorité de colons en
vient à ces extrémités, les menaces, arrestations, fouilles au domicile ou interdictions
de voyager ne sauraient, de fait, être exceptionnelles dans une société où 20%
de la population a été emprisonnée au moins une fois depuis 1967. Dans un communiqué publié le 15 décembre sur son site internet, l’ONG Addameer soulignait également que depuis la libération de
Gilad Shalit et des 477 premiers prisonniers palestiniens, 470 nouvelles
arrestations avaient déjà eu lieu.
http://www.slate.fr/story/48395/prisonniers-palestiniens-shalit