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La perte de confiance a inspiré Ben Bernanke

Publie le mercredi 23 janvier 2008 par Open-Publishing

La perte de confiance a inspiré Ben Bernanke

POLITIQUE MONÉTAIRE - La banque centrale américaine a réduit hier son taux directeur de 75 points de base à 3,5% avant sa réunion prévue la semaine prochaine.

Mercredi 23 janvier 2008
mathilde farine

« L’économie américaine pourrait être à un choc près de la récession, affirmaient les économistes de Lehman Brothers hier matin. Et ce choc pourrait être la chute des marchés mondiaux. »

Comme en écho, la Fed a annoncé hier une baisse drastique de son taux directeur de 75 points de base à 3,5%, de même qu’une réduction similaire de son taux d’escompte à 4%. Une annonce qui a largement soulagé les places financières européennes. En soi, le message de la Réserve fédérale n’a pas surpris les analystes. Ben Bernanke avait laissé entendre qu’une décision pouvait être prise avant la réunion de la semaine prochaine. « La Fed est une banque centrale très réactive, elle l’a à nouveau prouvé », note Jérôme Schupp, responsable de la recherche à la banque Syz & Co. « Elle montre ainsi qu’elle n’agit pas de manière moins préemptive avec Ben Bernanke et que ce dernier n’est pas aussi prudent que certains avaient cru », ajoute Jean-Marc Lucas, économiste chez BNP Paribas. Les craintes sur l’économie se renforcent

Si la baisse était attendue de pied ferme, son ampleur et son timing ont surpris certains. Cela peut signifier que la Fed craint une récession sans le dire, laisse entendre l’économiste. De tel mouvement de taux n’ont jamais été vus sans une situation de récession, poursuit-il. De fait, la banque centrale américaine a effectué le plus important desserrement depuis 1990, date à laquelle le taux d’intérêt est devenu l’instrument principal de politique monétaire. Outre le geste d’hier, l’expert souligne que la baisse cumulée de 175 points de base depuis le début de l’assouplissement monétaire est également significative. Une action qui a surtout eu pour effet de soutenir les marchés. « Ce n’est pas de la panique, mais cela y ressemble », reconnait Jan Amrit Poser, chef économiste à la banque Sarasin.

Pourquoi agir maintenant, à une semaine de la prochaine réunion ?, se demande l’expert. « Le Comité a pris cette décision à la lumière de l’affaiblissement des perspectives économiques et des risques accrus pesant sur la croissance », indique le communiqué de la Fed. En réalité, c’est surtout pour la consommation que craignent les gouverneurs. « La banque centrale ne veut pas prendre le risque de voir les marchés baisser sur une trop longue période car cela détruirait une partie de la richesse financière des ménages, note Nathalie Dezeure, économiste chez Natixis. Son accroissement avait permis de compenser la chute de la richesse immobilière, évitant ainsi un effondrement de la consommation. Qui pèse pour plus de deux tiers du PIB. L’assouplissement n’est pas terminé

« Le Comité va continuer à évaluer les effets qu’ont les événements financiers notamment sur les perspectives économiques, et elle agira en temps voulu, et si besoin est, pour contrer ces risques », a poursuivi le communiqué. Pour les experts, aussi brutale que soit la baisse d’aujourd’hui, l’assouplissement de la politique monétaire n’est pas terminé. Ils divergent en revanche sur son timing et sur son ampleur.

Pour ce qui est de la réunion du 29, les spécialistes s’en remettent aux marchés. Une dégringolade forcera la Fed à lâcher entre 25 et 50 points de base. Mais peu s’aventurent à faire des pronostics sur ce sujet. Pour Jan Amrit Poser, à moins de fortes turbulences boursières, l’institut attendra ensuite sa réunion de mars pour prendre une nouvelle décision. D’ici là, de nouveaux indicateurs nous éclaireront sur l’état de santé de l’économie américaine. Une poursuite de la baisse de l’indice ISM autour de 45 points déclencherait par exemple une baisse de 50 points de base le 18 mars selon l’économiste.

Le geste de la banque centrale américaine n’a pas empêché Wall Street de céder à la panique à l’ouverture. En début de séance, le Dow Jones chutait de 3,45% tandis que le Nasdaq dégringolait de 4,07% , alors que Bank of America et Wachovia annonçaient des résultats tout aussi mauvais que ceux de leurs concurrents. Des pertes qui ont toutefois été réduites en cours de journée. En fin de soirée, l’indice industriel ne perdait plus que 1,07% et celui des valeurs technologiques 2,33%.

Le communiqué intégral de la Réserve fédérale

Voici le texte complet du communiqué publié mardi par la Réserve fédérale à l’issue de la réunion imprévue de son comité de politique monétaire, qui a décidé une importante baisse de son taux directeur. « Le Comité de politique monétaire a décidé de baisser de 75 points de base à 3,50% son objectif pour le taux interbancaire au jour le jour. « Le Comité a pris cette décision à la lumière de l’affaiblissement des perspectives économiques et des risques accrus pesant sur la croissance. Même si les tensions sur les marchés du financement à court terme se sont quelque peu calmées, les conditions ont continué de se détériorer sur l’ensemble des marchés financiers et le crédit a continué de se resserrer pour certaines entreprises et certains ménages. De plus, les dernières informations font état d’une aggravation de la contraction immobilière et d’un certain affaiblissement des marchés du travail ». « Le Comité s’attend à ce que l’inflation se modère dans les trimestres à venir, mais il faudra continuer de surveiller de près les développements concernant l’inflation. Des risques importants continuent de peser sur la croissance. Le Comité va continuer à évaluer les effets qu’ont les événements financiers notamment sur les perspectives économiques, et elle agira en temps voulu, et si besoin est, pour contrer ces risques ».

Ont voté pour la décision du comité de politique monétaire : Ben Bernanke, président ; Timothy Geithner, vice-président, Charles Evans, Thomas Hoenig, Donald Kohn, Randall Kroszner, Eric Rosengren et Kevin Warsh. A voté contre : William Poole, qui ne pensait pas que les conditions actuelles justifiaient une action de la part de la banque centrale avant la réunion programmée pour la semaine prochaine. Frederic Mishkin était absent et n’a pas voté. Dans une décision apparentée, les gouverneurs ont décidé une baisse de 75 points de base du taux d’escompte, à 4%. En prenant cette décision, le conseil a approuvé les demandes soumises par les conseils d’administration des banques fédérales de réserve de Chicago et Minneapolis.

Canada : taux abaissé à 4%

La Banque du Canada a abaissé mardi son taux directeur d’un quart de point, à 4%, et annoncé qu’une ou d’autres baisses seraient « probablement » nécessaires pour contrer les effets du ralentissement américain sur l’économie canadienne.

La banque centrale canadienne a fait connaître sa décision peu de temps après la décision imprévue de la Réserve fédérale américaine (Fed) d’abaisser fortement son taux directeur de trois quarts de point à 3,50%. La décision de la banque d’Ottawa n’a pas surpris les analystes, qui l’avaient prévue et qui anticipent déjà une nouvelle réduction d’un quart de point de son taux directeur à sa prochaine réunion du 4 mars. « C’est certain qu’on ne s’attendait pas à une baisse de la même ampleur qu’aux Etats-Unis, parce qu’essentiellement, notre économie ne ralentit pas autant », a déclaré Pascal Gauthier, économiste à la banque TD à Toronto. La banque centrale d’Ottawa a surtout insisté sur « les perspectives d’évolution de l’économie américaine pour 2008 (qui) sont aujourd’hui nettement plus sombres » que lors de la publication, en octobre, de son dernier rapport de politique monétaire.

Au Canada, ajoute-t-elle, « les effets de la détérioration des perspectives économiques aux Etats-Unis contribueront à accentuer les pressions à la baisse exercées sur la croissance des exportations ». Les Etats-Unis absorbent les trois quarts des exportations de leur voisin du Nord, contribuant ainsi pour environ 25% du PIB canadien.

Le réglement de la crise financière a pris du retard jean-pierre petit*

Toute l’histoire des crises bancaires et financières du type actuel montre que l’efficacité du traitement de la crise est liée à la célérité avec laquelle les décisions sont prises. Aussi, force est de reconnaître aujourd’hui, presque 6 mois après le déclenchement de la crise, que beaucoup de retard a été pris. Ceci moins par les banques, y compris les plus touchées (Merrill, City,...) dont la transparence aura été assez bien gérée dans le temps et dont les premières orientations (extériorisation des provisionnements, appel aux fonds souverains, baisse des dividendes, ajustement des coûts...) sont adaptées à la situation. Le reproche peut en revanche plus s’adresser aux autorités publiques. La Fed est d’abord clairement « behind the curve », comme cela est illustré par le spread négatif entre le taux des Fed Funds et le rendement à deux ans.

Intoxiquée par la thématique de l’aléa moral vers août / septembre, puis par celle de la soi-disant inflation en fin d’année 2007, les deux derniers communiqués de la Fed ont d’ailleurs été très confus. Il est désormais évident que les enchaînements déflationnistes dus au dégonflement de la bulle immobilière et de la crise du crédit sont aujourd’hui prédominants. On peut considérer aujourd’hui que la Fed a d’une certaine manière capitulé. Le prochain communiqué sera donc certainement plus clair à cet égard. Naturellement, la Fed n’a pas été bien épaulée par les autres banques centrales occidentales qui ont été encore plus lentes à réagir.

Manque « d’assurance de crise » des autorités

L’attitude de la Banque d’Angleterre et de la BCE apparaît et apparaîtra encore plus ridicule. La première a tenu une posture orthodoxe durant l’été pour ensuite s’aligner sur la Fed et consentir à la quasi nationalisation de la septième banque du pays.

Quant à la BCE, obsédée par les moulins à vent de l’inflation, elle est d’ores et déjà dans un corner. Elle subira les effets du ralentissement américain ainsi que de la crise financière et immobilière mondiale et finira par s’aligner sur la Fed comme cela est le cas depuis 25 ans (par la Buba puis par la BCE elle-même).

Même remarque quant à l’action sur la liquidité bancaire : ce n’est qu’en décembre que les banques centrales ont entrepris une action coordonnée dans ce domaine. Au delà, les autorités américaines ont cruellement manqué d’imagination et de conviction dans la mutualisation de la crise. Le « super conduit » a fait long feu, faute probablement d’un engagement plus clair du Trésor, et la décision de geler les « resets » des ménages subprime à partir de 2008 est de portée limitée.

Finalement, le système bancaire américain doit sa recapitalisation aux fonds souverains du Sud. Nous avons fréquemment mentionné que la configuration actuelle faisait apparaître des taux d’intérêt décidés au Nord, mais une croissance et des flux décidés au Sud. Nous ne pensions pas que le début de 2008 verrait une concrétisation aussi ample et rapide. D’ores et déjà, c’est 69 milliards de dollars qui ont été injectes par les fonds souverains dans la recapitalisation des banques américaines. C’est l’inverse des années 80 et 90, où les crises financières des pays émergents étaient épongées par le FMI et la Fed. Mais aujourd’hui cela ne suffit manifestement pas. Le marché sanctionne un manque « d’assurance de crise » de la part des autorités. Finalement, c’est à travers un plan de relance fiscale décidé à la hâte et dirigé semble-t-il vers les ménages que le contribuable américain va finir par être sollicité, le tout pour plus de 1 % du PIB américain.

A cela devrait s’ajouter d’autres mesures plus techniques et plus dirigées vers le traitement de la crise bancaire et immobilière. On peut évoquer quelques pistes notamment signalées par le CBO récemment :

Achats publics de mortgages subprime ;

Possibilité d’émissions par les États d’emprunts obligataires pour refinancer les achats publics de mortgage ;

Garanties publiques d’emprunts sur les monolines ;

Extension du rôle du FHA, Fannie Mae, Freddie Mac dans les garanties de refinancement hypothécaire ;

Mise en place d’une structure de « defeasance ».

Au total, avec la poursuite de la reflation monétaire et budgétaire, le soutien de la croissance et des flux du monde émergent, on évitera sans doute les enchaînements déflationnistes. Mais que de temps inutilement perdu, six mois après le déclenchement de la crise. *Directeur de la recheche économique et de la stratégie chez Exane BNP Paribas

La pression va monter sur la rigoureuse BCE

La Banque centrale européenne va avoir du mal à résister longtemps aux pressions pour une baisse des taux dans la zone euro, appelées à s’intensifier après l’action spectaculaire de la Réserve fédérale américaine mardi. La Fed a baissé en urgence son taux directeur de trois quarst de point, à 3,50%, face aux risques accrus pour la croissance et à la panique des marchés boursiers qui craignent une récession outre-atlantique. Le taux est désormais inférieur à celui de la zone euro, situé à 4% depuis juin dernier. « Nous n’avons pas de commentaires », a fait savoir un porte-parole de la BCE.

Première baisse des taux au deuxième trimestre

Mais le geste spectaculaire de sa puissante homologue va sans conteste changer la donne pour l’institution européenne, qui il y a à peine deux semaines brandissait la menace d’une remontée des taux directeurs pour combattre les tensions inflationnistes. « Le retournement qui prend forme aux Etats-Unis est suffisamment sévère pour être ressenti dans le monde entier », juge Marco Annunziata, économiste de la banque Unicredit.

La BCE ne pourra pas résister à cette vague de fonds. La Banque d’Angleterre a également commencé à assouplir les conditions du crédit, ainsi que celle du Canada. En zone euro, la détente des taux pourrait commencer au troisième trimestre, voire avant, prédit l’économiste. Patrick Franke de la Commerzbank mise désormais sur une première baisse en zone euro dès le deuxième trimestre, après avoir tablé sur le troisième. « La priorité des priorités doit être d’éviter une panne des crédits », dangereuse pour l’activité économique et industrielle. Pour atténuer les effets de la crise financière mondiale, la « BCE devrait baisser ses taux », a estimé pour sa part un porte-parole du groupe parlementaire social-démocrate en Allemagne dans une interview au Spiegel online.

La Banque centrale a certes reconnu depuis l’automne dernier que les risques pour la croissance en zone euro avaient augmenté face à l’impact, encore difficile à cerner, de la débâcle des crédits immobiliers à risque aux Etats-Unis. Mais les dangers de surchauffe inflationniste restent son souci prioritaire.

http://www.agefi.com/Quotidien_en_ligne/detailArticle.php?articleID=306469