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Larzac : compte-rendu/analyse

Publie le samedi 30 août 2003 par Open-Publishing

Retour du Larzac le 8-10 août 2003

La contestation sur un plateau

Plus de 250.000 personnes présentes au Larzac, quel succès ! Même si
certaines ont fait l’aller retour pour seulement applaudir Manu Chao, on
a
senti que la marmite était bouillonnante chez la grande majorité des
personnes présentes. Les décisions du gouvernement Raffarin de mettre la
pédale douce à la rentrée s’explique par le fait qu’il pourrait y avoir du
grabuge lors des prochains conflits sociaux. Mais au-delà du succès du
rassemblement de nombreuses critiques se font entendre quand à la
philosophie qui l’a animé : marchandisation du lieu, gigantisme et
organisation d’une politique spectacle.

Marchandisation des milieux militants

Il nous semble que ce point est important à traiter et à réfléchir car les
discours alternatifs et anti-OMC ou sur "le monde qui n’est pas une
marchandise" trouve là leur limite dans l’organisation et la forme ainsi
que dans une réflexion concrète sur une alternative au profit et à
l’argent
roi. On peut difficilement séparer les deux problématiques - les
revendications politiques et le fonctionnement d’un tel rassemblement, qui
doit aussi être la vitrine de la société que nous souhaitons comme simple
organisation des ressources essentielles pour les multitudes. En dehors
des
prix prohibitifs pratiqués par les marchands "bio" ou par les espaces
gérés
par les organisateurs (les bars), il s’agit aussi de s’interroger sur le
rapport entre la sphère professionnelle et l’engagement militant. Ce sont
les producteurs - locaux ou d’ailleurs - qui vendaient leurs produits tout
en dégageant de confortables marges bénéficiaires. Le prix général des
boissons au comptoir oscillait entre 2 et 4 euros, la bouffe était
également chère. Nous avons calculé qu’un repas (vraiment) minimal en
calories revenait de 12 à 15 euros par jours en tablant sur les prix les
plus bas seulement. L’eau était extrêmement rare (+) : il fallait attendre
une heure en plein soleil pour accéder à la citerne (eau gratuite) ou bien
acheter une bouteille d’eau minérale de 3 à 5 fois son prix en
hypermarché.

La conf’ paysanne se défend néanmoins de tout calcul financier concernant
la gestion de l’eau : c’est la Préfecture qui n’aurait pas donné son
accord pour le stationnement d’autres citernes. L’autre problème majeur a
été lié à la question des bénévoles, qui se sont plein d’avoir été traités
comme des sous-employés par le staff’ organisationnel. Celle-ci se défend
encore en parlant du faible nombre des volontaires ainsi que du stress
engendré par l’organisation d’un tel événement et la crainte de se faire
dépasser par le nombre, ce qui peut se comprendre soit dit en passant.

Mais
ce sont néanmoins les organisateurs qui ont recherché un tel gigantisme,
en
invitant des "stars" musicales par exemple ou en verrouillant
l’organisation - soit tu obéis, soit tu ne fais rien. Et il reste chez bon
nombre de participants un goût souvent amer - qu’est-ce que ce "meilleur
des mondes" où l’on a moins de droits que le salarié quidam et où l’on
nous
propose d’être spectateur des stars de la politique ou du spectacle ?

Richesses et multiplicité

Si le lieu nous a donné parfois l’impression d’être une gigantesque foire,
dès qu’on abordait la verticalité des situations, au coin de l’un des
derniers feux du jour, sous les chapiteaux, aux stands ou dans les
cuisines
autogérées/prix libre on se rendait compte de la richesse des situations.
Il nous est guère possible de faire un compte-rendu exhaustif de toutes
ces
rencontres mais voilà quelques aperçus :

- une partie des débats a tourné autour de l’OMC et de la conférence de
Cancun les 10-14 septembre. C’était bien évidemment le prétexte du Larzac.
L’accord en préparation dans ces couloirs aseptisés - l’AGCS (accord
général des commerces et services) - prévoit ni plus ni moins la
disparition des services publics et de tout investissement étatique
destiné
à réduire les inégalités. Ce type de débat était notamment animé par
ATTAC,
selon un mode professoral : un expert parle et ses tirades les plus
lyriques sont applaudies par une foule déchaînée ;

- les intermittent-e-s se sont également réunis pour faire un point sur
leur mobilisation (v. dossier dans ce numéro). Ils ont également animé des
spectacles "off" : pantomimes, jonglages, théâtre, musique.

- retour sur les grèves et les luttes sociales du printemps. Les
interventions étaient souvent très combatives et tournées autour de la
nécessité de faire converger les luttes et de développer l’interco ;

- beaucoup de place laissée aux collectifs internationaux : ainsi les
Kurdes se réunissaient en congrès à cette occasion, les stands étaient
quasi-déserts de visiteurs même si individuellement on a pu parler des
problématiques liées à la revendication d’un grand Kurdistan. Si les
Kurdes
rencontré-e-s étaient contents de la chute de Saddam Hussein les soucis
actuels portent plutôt sur le degré de répression en Turquie. La torture
continue ainsi que les déportations. L’espace Kurde a mieux fonctionné le
dernier jour car une fête très enjouée a attiré du monde ;

- Des collectifs en soutien à la Palestine organisaient une exposition des
violences commises par T’sahal. No comment ;

- Parmi les films présentés : Parole de Bibs présentaient des ouvriers
qui
commentaient le livre de François Michelin, en comparant ses assertions
avec leur vie réelle ; le film a visiblement beaucoup marqué les
spectateurs et effet de foule ou pas une certaine tension et émotion était
palpable à la fin (en tout cas on vous le conseille, pour une fois un film
dynamique et non pas misérabiliste sur la condition ouvrière) ;

- les rencontres étaient également sur les stands politiques ; à celui de
No Pasaran nous avons pratiqué le prix libre sur de nombreux supports de
diffusions politiques mais au-delà de ça, ce sont les contacts humains et
les discussions qui ont primé - comment s’organiser, ne faisons nous que
du
bricolage, discussions sur la construction des genres, l’autogestion, la
gratuité, le travail.

- etc. Il y a autant de parcours que d’individus.

No Vox et le démontage du stand du PS

Le chapiteau No Vox a également regroupé des individus et des collectifs
de
luttes de sans papiers, de chômeurs ou de précaires. dont certains sont
réunis dans le réseau du même nom. No Vox a en effet pour dessein de
fédérer lors de moments forts les luttes des sans- (terres, domiciles,
papiers, ressources.) De nombreux débats ont eu lieu pendant ces trois
jours dont :

- de nombreuses informations sur le RMA - Revenu minimum d’activités - qui
va être débattu dès l’automne à l’Assemblée nationale. Les moyens
d’actions
ont été également débattus ;

- un débat extrêmement houleux sur la religion et les mouvements sociaux :
la jeune femme qui s’exprimait au nom du Mouvement des jeunes musulmans a
été en effet tancée par des personnes qui ne supportaient ni le port de
son
foulard ni la religion en général. Le débat n’a pas pu réellement aboutir,
mais peut-on exclure, et au nom de quoi, des personnes qui veulent
participer en toute bonne foi (sans jeu de mots) à des collectifs, sous
prétexte qu’elles croient en Dieu ? Le summum du ridicule a été atteint
avec un jeune universitaire, le menton en avant et droit dans ses bottes,
style Philippe Val, qui pérorait sur la supériorité de la civilisation
grecque. Bel exemple quant on sait que cette société excluait les femmes
de
toute décision politique, et où 50% de la population était réduite en
esclavage. L’intervention du maire PCF de Montreuil concernant l’exclusion
des croyants hors de tous mouvements sociaux a été longuement applaudie
par
une partie de l’assemblée (et huée par l’autre) ce qui fait froid dans le
dos lorsqu’on sait que ce même maire expulse les sans-papiers et sans
domicile, fait toutes les crapuleries possibles pour casser les
mouvements,
et en plus s’en vante devant une assemblée déchaînée. Ce qui nous conduit
naturellement à parler du démontage du stand du PS, qui a fait tant baver
par la suite. Il faudrait se justifier.mais non en fait. L’amnésie et
l’hypocrisie développées à ce point étant insupportables, nous invitons
les
belles âmes à se renseigner sur le monde qui les entoure ;

- Le PS est "notre ami" donc, et les personnes qui se sont succédées lors
de la dernière assemblée de No Vox nous l’ont rappelé : répression,
expulsions, refus d’augmenter les minima sociaux, suicides en prisons. Une
longue série de rencontres avec les victimes des gestions de la gauche qui
nous a permit de fixer des rencontres dès automne.

Apparition limitée pour les libertaires

Qu’en est-il des libertaires. Les stands des organisations présentes (AL,
CGA, CNT, FA, No Pasaran, OCL) étaient situées dans un coin et le moins
qu’on le puisse dire c’est qu’on ne la guère quitté. Si il y a bien eu le
démontage du stand du PS et l’apéro de la CNT. Mais les libertaires n’ont
organisé aucun débat, aucune rencontre avec des collectifs de luttes ou
encore entre nous. Après le silence du VAAAG sur la question nous avons
encore choisi la politique de la chaise vide en ce qui concerne les débats
et les propositions politiques, en apparaissant que très peu, ou pas,
pendant ceux qui étaient organisés pendant le Larzac. Difficile d’en
cerner
les raisons : peut-être un culte non avoué du minoritarisme, dès que du
monde est présent c’est forcément que c’est "pas bien". En tout cas, on
pourra toujours récuser l’étiquette de "légèreté politique" qui nous est
collée sur le front, mais nous saurons pourquoi elle est là désormais. Ce
refus de la conflictualité d’idées pourrait en tout cas, et même à court
terme, nous être très dommageable.

En terme de crédibilité politique avant
tout. L’une des conséquences risque d’être le suivisme, encore une fois,
lors des prochains mouvements sociaux. Si nous ne lions pas nos pratiques
et nos idées avec du sens politique nous ne risquons guère de convaincre
qui que ce soit. Qu’avons-nous à dire sur le travail, l’immigration, le
revenu garanti ? Caca réformiste pour ce dernier ? Et alors on propose
quoi ? Cotiser 32 ans au lieu de 37,5 voire 42 maintenant, la politique
"du
toujours moins" sans remettre en cause la centralité du travail et la
déconnexion des ressources essentielles (par leur gratuité ou le revenu
garanti) de l’emploi. On veut réformer le réformisme sans révolutionner la
place elle-même que nous avons au sein de la "société", enfermé-e-s que
nous sommes dans le diptyque producteur-consommateur.
Si nous avons choisi de ne pas peser politiquement pendant le Larzac,
drapés dans la suffisance de notre étendard noir et rouge, une initiative
nous a permis néanmoins de sauver les meubles - la cuisine prix libre et
autogérée dans laquelle des personnes des collectifs VAAAG (Nîmes,
Montpellier), de la CNT et de No Pasaran étaient impliquées. Nous avons pu
ainsi mettre en pratique nos idées d’autogestion et de démocratie directe,
en pratiquant un prix libre qui a permis aux personnes fauchées de pouvoir
avoir un repas équilibré et végétarien.

Toujours la quête du sens.

Si de nombreuses personnes ou collectifs venaient pour se retrouver après
les luttes récentes, et se caller pour les suivantes, on peut également
retenir, de ces journées passées aux stands, aux débats, à parler ou à
répondre aux questions, la formidable quête de sens politique qui est en
train de se produire. Après l’abandon des syndicats de cogestion lors des
derniers mouvements et le black out de la gauche ex-plurielle qui
considère
indépassable le dogme libéral beaucoup de personnes se documentaient à
tous
les stands, voire dans quel groupe, parti ou syndicat s’engager. Une des
questions entendues, dans la bouche de personnes agrippant des stands
bariolées, c’est "et vous, que proposez-vous ?" ou bien encore "je vais
voir, je n’ai pas encore fait mon choix". Quant on répondait "et vous que
voulez vous faire ?" les personnes rebroussaient chemin, nous prenant pour
les demeuré-e-s qu’on est peut-être. D’autres nous demandaient des termes
techniques très précis ("et ça va pas nous coûter cher la gratuité ?") Les
vieilles représentations politiques ont la peau dure et l’engagement
idéal,
clé en main, était parfois âprement recherché. La vérité, le bon chemin
vers le grand soir ou sinon remboursez ! Mais les idoles de demain seront
les déchus du surlendemain, et croire que qu’un groupe et qu’une personne
détient LA CLE, LA VERITE c’est encore se préparer à de cruelles
désillusions. Témoin toutes les personnes qui ont pleuré, vibré lors du
discours de clôture de José Bové.

Que leur restera-t-il si les espérances
ainsi placées ne sont pas concrétisées. De la poussière du Larzac dans les
bottes usées.
Nous devons rendre lisible une autre manière de faire de la politique. Au
lieu de placer nos espérances dignes du sentiment religieux dans
des "hommes" providentiels (toujours des hommes d’ailleurs, vous aurez
remarqué-e-s) ou un grand soir improbable, il s’agit de lutter et de
s’impliquer ici et maintenant dans les situations réelles, que l’on vit au
quotidien, de prendre nous-même nos affaires en main. De lier et de
développer ces résistances. Ce n’est pas le point de départ mais
d’arrivée,
le tout est de placer ses luttes à un point qui fasse cesser toute
aliénation. Faire de la politique autrement c’est changer d’échelles de
luttes et de rendre lisible et de temporaliser ces résistances à échelle
humaine. Les changements de loi ne viennent qu’ensuite : les textes
permettant l’émancipation des femmes, ou encore des noirs aux Etats-Unis,
ont découlé de toutes ces résistances situationnelles et non pas
l’inverse.

Dans ce cas là les idées que l’on peut diffuser, si jamais on le
souhaitait, ne servirait que de supports à des actions locales. Les
mouvements citoyennistes nous proposent une horizontalité biaisée :
considérer que l’on peut discuter à jeu égale avec l’OMC pour infléchir
ses
décisions. Il faut lui opposer la verticalité de la praxis : agir en
profondeur dans une situation donnée afin d’atteindre les ressorts
individuels et collectifs qui pourront nous permettre tout simplement de
révéler puis de refuser et de dépasser les situations aliénantes.

(+) néanmoins cette raréfaction de l’eau a certainement eu une grande
vertu
pédagogique : nous montrer sa préciosité et l’intérêt concret de sa
gestion
collective hors des mains de rapaces avides de profits. Pour un-e humain-e
sur trois le principal soucis quotidien c’est d’avoir accès à une eau
potable, et le fait de ne pas avoir de robinet à moins de 100 mètres de
nous a certains permis d’accroître cette prise de conscience.