Accueil > Le Black Panther Party et de la Convention constitutionnelle du peuple (…)
Le Black Panther Party et de la Convention constitutionnelle du peuple révolutionnaire
Publie le mardi 13 janvier 2009 par Open-Publishing1 commentaire

Méconnue, la Convention constitutionnelle du peuple révolutionnaire est le résultat d’une rencontre physique et d’une convergence politique entre les mouvements sociaux radicaux des années 1960 aux Etats-Unis. Véritable bombe, le texte propose les résultats des travaux de divers "ateliers" militants réunis à Philadelphie, à l’appel du Black Panther Party, en 1970. Ils prévoient l’émancipation de tous les opprimés des Etats-Unis et du monde (femmes, Noirs, homosexuel-le-s, etc.), et l’organisation autonome et populaire de nombreux secteurs de la société (santé, éducation, police, etc.). Rigoureuse, véhémente, révolutionnaire et extrêmement stimulante pour les luttes d’aujourd’hui, cette "Constitution" fut de surcroît l’œuvre de milliers de ceux que l’intellectuel militant américain George Katsiaficas nomme des gens "ordinaires". Nous publions ici un texte inédit en français de Katsiaficas, consacré à l’histoire de l’élaboration de ce texte. A la suite de l’article sont publiés les rapports des ateliers de la Convention constitutionnelle.
Organisation et mouvement. Le cas du Black Panther Party et de la Convention constitutionnelle du peuple révolutionnaire de 1970
de George Katsiaficas
Des millions de gens "ordinaires" paient de leurs vies les instants décisifs qui déterminent le cours des événements du monde. Bien que leurs actions et pensées soient pris en compte dans la plupart des livres d’histoire, c’est seulement en tant qu’objets affectés par les décisions importantes prises par les leaders, et non en tant que sujets du monde social dont dépendent les décideurs. Les historiens étudient surtout les écrits des leaders du monde et construisent des biographies méticuleuses et bien documentées de ces personnages dans le but d’éclairer les événements importants comme la création des constitutions. Ainsi l’idée que "le peuple fait l’histoire", longtemps incorporée dans le langage des chercheurs en sciences sociales, est rarement utilisée par les recherches historiques sur la seconde guerre mondiale, la guerre de sécession aux États-Unis, et même sur de nombreux cas de mouvements sociaux et de tentatives populaires de changer les cadres sociaux dépassés de la vie quotidienne. Prenons par exemple le cas du mouvement des droits civiques aux États-Unis. Les biographies de Martin Luther King Jr. ou de Malcolm X sont la norme, et non la prise en compte des millions de personnes qui ont changé leur vies et révolutionné la société à travers leur sacrifice et leur lutte, transformant même les visions du monde de Martin Luther King et de Malcolm X. Tous les enfants connaissent le nom de King, mais combien d’étasuniens ont entendu parler de l’assassinat de Fred Hampton [1] et savent à quoi servait le COINTELPRO [2] ? Combien d’entre nous pourraient disserter sur les massacres d’étudiants à Orangeburg, Jackson State ou en Caroline du Nord ?
Même le mouvement tend à considérer les idées des leaders, des partis politiques et des groupes organisés comme les plus significatives. Pas plus que les historiens conventionnels, les penseurs radicaux semblent souvent être incapables de comprendre l’intelligence des foules qui incarnent l’imagination populaire. Il y a plusieurs raisons à cette incompréhension, dont celle de la facilité avec laquelle on peut écrire sur les leaders et les organisations, comparée aux difficultés que l’on rencontre en cherchant à comprendre les événements singuliers dans le flux et le reflux des rassemblements sporadiques de groupes nébuleux - précisément ces incidents qui sont un peu plus que simples actions menées par un regroupement aléatoire de personnes. Parfois les événements charnières sont tellement enveloppés de mystère que les historiens ne sont pas d’accord sur l’existence même des événements en question [3].
L’histoire coopère rarement à nous donner des indications précises sur les manières de pensée des participants aux foules "spontanément conscientes [4]". Un cas exceptionnel est celui de la Convention constitutionnelle du peuple révolutionnaire (CCPR [Revolutionary People’s Constitutional Convention]), un rassemblement public multiculturel qui réunit, durant le week-end-end du 5 septembre 1970, entre 10000 et 15000 personnes à Philadelphie suite à l’appel du Black Panther Party (BPP). Arrivés en plein milieu de la répression policière contre le BPP, des milliers de militants venus de tout le pays étaient déterminés à défendre les Panthères. Ils avaient aussi l’intention de refaire ce qui avait été fait dans la "ville de l’amour fraternel [5] "en 1787 par les pères fondateurs de la nation - écrire une nouvelle constitution qui garantit la liberté et la justice authentiques pour tous. Bien que rarement mentionné dans les écrits dominants sur le BPP, cet événement révolutionnaire en lui-même se produisit au point culminant du mouvement des années 1960 et fut sans conteste l’événement le plus capital pour le mouvement pendant cette période critique de l’histoire des États-Unis.
Ce travail de recherche vise à développer une compréhension de l’état d’esprit de la communauté diverse venue à la convention. En examinant les documents primaires produits par la CCPR, j’espère mettre en lumière les aspirations du mouvement populaire. En comparant ces prises de position écrites avec la plate-forme et le programme originaux du BPP, écrits quatre ans auparavant, je cherche à illustrer comment l’intelligence des mouvements populaires peut dépasser les positions les plus visionnaires de leurs leaders et organisations. Dans le droit fil de la tradition qui utilise les documents primaires pour découvrir la véritable nature des événements historiques, et qui rejette les analyses historiques superficielles se fondant principalement sur les biographies individuelles des Grands Hommes et Femmes, je voudrais d’abord discuter la plate-forme du BPP (formulée par Huey Newton et Bobby Seale en octobre 1966), puis analyser la nouvelle constitution proposée à la CCPR. En plus des documents primaires de la CCPR et des comptes-rendus fragmentaires de quelques historiens et activistes, j’utilise mes propres expériences personnelles de participant à la CCPR. Pendant trente années, j’ai conservé une copie des propositions originales élaborées par les ateliers de discussion formés à la suite de la grande séance plénière, qui s’est divisée en au moins dix plus petits groupes de travail. Ces documents véhiculent les prises de position claires sur les objectifs auto-définis du mouvement et dessinent les contours d’une société plus libre. Bien qu’elle ait été pratiquement oubliée des historiens, la CCPR est un moment-clé pour résoudre le mystère des aspirations du mouvement des années 1960. Mon texte parle surtout de la CCPR parce que très peu de choses ont été écrites à son sujet [6]. J’espère que cet article va inspirer d’autres recherches sur la CCPR.
Beaucoup d’auteurs ont étudié l’histoire du début des années 1960, mais beaucoup moins se sont intéressés au moment où le mouvement s’est étendu au-delà des classes moyennes supérieures et de l’élite universitaire, qui ont permis la montée en puissance du mouvement des droits civiques et des mouvements étudiants. Les stéréotypes dominants considèrent que les années 1960 se terminent avec l’assassinat de Martin Luther King, alors que vers la fin de l’année 1969 le mouvement était devenu si massif et si radical que les premiers partisans ne l’ont plus reconnu (et parfois ne l’ont même plus soutenu). En 1970, quand le mouvement atteint son point culminant, les étudiants issus de la classe ouvrière, la jeunesse de la contre-culture, et le lumpenprolétariat urbain (les gens de la rue et sans emploi, et ceux qui s’en sortent par la criminalité) transformèrent sa tactique et ses objectifs. Peu avant leurs assassinats, Martin Luther King et Malcolm X commencèrent tous les deux à envisager la même solution radicale que celle que préconisaient les participants à la CCPR : le système-monde en entier doit être révolutionné afin de réaliser la liberté et la justice pour tous.
Une partie du problème avec les analyses historiques des années 1960 porte sur la profondeur de la rupture de la tranquillité sociale et de la cohésion sociale qui eut lieu aux États-Unis. Pratiquement pas couvertes par les sondages de l’institut Harris et les études de Yankelovich [7], les aspirations révolutionnaires de millions de personnes aux États-Unis en 1970 sont très significatives pour comprendre la vitesse avec laquelle les sentiments révolutionnaires peuvent naître - et la rapidité avec laquelle ils peuvent se dissiper. En 1970, immédiatement après la grève nationale des étudiants [8], les sondages révélèrent que plus d’un million d’étudiants se considéraient comme révolutionnaires [9]. L’année suivante, une enquête du New York Times montra que quatre étudiants sur dix (plus de trois millions de personnes) pensaient que la révolution était nécessaire aux États-Unis [10]. Même si ces chiffres sont substantiels, ils ne prenaient pas en compte les millions de personnes supplémentaires à l’extérieur des universités étasuniennes dans les ghettos, les barrios [11], les usines, les bureaux et les banlieues. Dans un bref moment historique, le mouvement aux États-Unis réussit une rupture décisive avec l’ordre établi. Contrairement aux événements similaires de Mai 68 en France, dont la rupture avec la société établie est reconnue, la "rupture" dans l’histoire étasunienne a été cachée. Ni les militants révolutionnaires, ni les historiens dominants ne veulent reconnaître l’intensité révolutionnaire de cette période, les deux préférant véhiculer les idées socialement plus acceptables comme celles du jeune Martin Luther King ou celles du "pas encore mûr" Malcolm X. Dans ces circonstances, on comprend mieux pourquoi le soulèvement révolutionnaire de 1970 est difficile à rappeler trente ans après.
J’ai écrit ailleurs que la meilleure manière d’appréhender l’imagination populaire est de s’intéresser aux actions et aspirations de millions de personnes, en particulier pendant les moments de crise - grèves générales, insurrections, épisodes de l’"eros effect" [12], et autres formes de lutte collective. La CCPR est un de ces épisodes, et malgré un échec apparent, la convention inaugura beaucoup d’idées qui donnèrent du sens à des millions de personnes engagées à les réaliser. Dans les mouvements révolutionnaires, la dialectique de la défaite signifie souvent que certains aspects de leurs aspirations sont mis en place par le système auquel ils se sont opposés.
Écrire la plate-forme et le programme des Panthères
Il ne fait aucun doute que les individus sont le produit de leur temps, mais nous ne sommes pas que cela, particulièrement lorsqu’on cherche à changer le monde et, comme Newton et Seale, que l’on a un impact allant au-delà de ce qu’on espérait. Durant les courtes années qui suivirent leur décision fatidique d’organiser le BPP autour de la plate-forme et du programme écrits en 1966, Newton et Seale furent tous les deux mis en prison et inculpés de meurtres, et le nombre de membres de l’organisation qu’ils avaient fondée explosa, passant de quelques-uns à plus de 5000. A la fin de l’année 1968, leur journal (le Black Panther) se vendait à 100000 exemplaires par semaine.
Seale et Newton ont collaboré ensemble pendant quinze jours pour produire la plate-forme et le programme [13]. Avec sa modestie typique, Seale se met en retrait et insiste sur le fait que Newton "les a articulé mot pour mot. Je n’ai fait que des suggestions". Après avoir distiller dans leurs textes la sagesse des aspirations à la liberté des Africains, mettant dans le langage des jeunes de la génération du baby-boom les rêves des habitants des ghettos et les besoins basiques des Africains-Américains, ils créèrent le parti. Comme Seale le rappelle :
"Quand nous avons terminé le programme, Huey dit ’’Nous devons avoir une sorte de structure. Qu’est-ce que tu veux être’’, me demanda-t-il, ’’Président [Chairman] ou Ministre de la Défense ?’’. ’’Je serai le Ministre de la Défense’’, dit Huey, ’’et tu seras le Président’’. ’’Ça me va’’ ai-je dit. Avec la plate-forme en dix points, le programme et tous les deux, le Parti est officiellement lancé le 15 octobre 1966, dans un bureau du programme de lutte contre la pauvreté dans la communauté noire d’Oakland en Californie" [14].
Au coeur de leur vision se trouvaient deux dimensions de l’héritage de Malcolm X : l’autodéfense armée et la recherche de l’attention des Nations Unies sur la situation critique des Africains-Américains. Mais Newton et Seale n’étaient pas seulement les héritiers de la vision de Malcolm X : ils allèrent plus loin, demandant "le pouvoir de déterminer la destinée de notre communauté noire". Ils insistèrent sur le fait que le gouvernement fédéral devait fournir" le plein emploi à notre peuple", des logements décents" faits pour héberger des êtres humains", et la "fin du vol de la communauté noire par l’homme blanc". Le programme exigeait que les hommes noirs soient exemptés du service militaire, que les prisonniers noirs soient jugés par un jury composés de leurs pairs, que le système éducatif enseigne la "véritable nature de la société américaine décadente". Ce qui attirait le plus l’attention était leur appel à "la fin immédiate de la BRUTALITE POLICIERE et du MEURTRE des noirs". Le point n°7 faisait appel à des "groupes noirs organisés d’autodéfense" et soutenait que "tous les noirs devraient s’armer pour leur autodéfense". Poursuivant l’idée de l’exemption du service militaire pour tous les hommes noirs, le point n°6 déclarait que "nous nous protègerons de la force et de la violence de la police raciste et de l’armée raciste, par tous les moyens nécessaires". Fidèles à leur parole, Newton et Seale commencèrent immédiatement à organiser des groupes de Panthères pour surveiller la police, et l’insistance acharnée de Newton sur son droit d’observer et de critiquer la police - même l’arme à la main - devint légendaire (ou tristement célèbre, selon les points de vue).
Remarquable dans sa capacité à s’inspirer du passé et le faire revivre dans le présent, le programme du BPP fit ressurgir les promesses non tenues comme les "quarante acres et une mule" [15]. Néanmoins il continue à porter les marques de la société dans laquelle il naquit. Les mots "homme" [man] et "hommes" [men] apparaissent à pas de moins de quinze reprises dans les dix points. Même pour ce qui concerne les prisonniers noirs, le point 8 dit : "Nous voulons la liberté pour tous les hommes noirs détenus dans les prisons fédérales, d’État, des comtés et municipales". La phrase suivante, pas soulignée et oubliée dans les discours publics résumant les dix points, étend l’exigence : "Nous croyons que tous les noirs devraient être libérés de nombreuses prisons parce qu’ils n’ont pas eu un procès équitable et impartial". Dans un tribunal, au moment de la composition du jury censé réviser les affaires de ces prisonniers, on argue de "l’intelligence moyenne" des noirs pour les exclure. De même, le point n°2 soutient que "le gouvernement fédéral est responsable et obligé de procurer à chaque homme un emploi et un revenu garanti". Aucune mention des droits des femmes à l’emploi.
Bien que le langage indique les présupposés à l’œuvre, je crois que ni le contenu du programme ni les actions du BPP ne devraient être obscurcis ou détournés par une analyse linguistique rigide. Au moment de l’écriture de la plate-forme, l’usage des termes "homme" pour désigner un "humain" faisait partie du sens commun et n’était pas remis en cause. L’appel de Martin Luther King pour une "société non pas de l’homme blanc, non pas de l’homme noir, mais de l’homme en tant qu’homme" et le livre d’Herbert Marcuse L’homme unidimensionnel sont des exemples qu’on peut aussi citer. Même après que Huey Newton ait affirmé par écrit son adhésion à la libération des femmes et après que le sexisme au sein du BPP ait été condamné officiellement, il continua à utiliser "homme" au lieu de "humain" [16]. Par ailleurs, le BPP s’est opposé au sexisme existant en son sein et dans la société en général. C’est ce qui fait, en partie, qu’il est si important historiquement. Quatre ans après l’écriture du programme, le parti prit une position officielle de soutien au mouvement de libération des femmes, et même avant cela, au fur et à mesure que le mouvement féministe se développait dans la société en général, le BPP se transformait au niveau du fonctionnement interne, de ses déclarations publiques, et de ses pratiques [17].
La plate-forme et le programme furent écrits durant la période nationaliste noire du parti. S’ensuivirent trois autres phases dans l’évolution idéologique du BPP : nationaliste révolutionnaire, internationaliste révolutionnaire et "intercommunaliste" [18]. Seulement quatre années après la naissance du BPP en octobre 1966, il s’est accompli plus de choses que durant les quarante dernières années, ne serait-ce que pour la conscience de soi et le statut des jeunes Africains-Américains des villes. Il est difficile d’estimer à quel point les Panthères ont transformé les jeunes Africains-Américains. Sous l’influence des Panthères, des criminels endurcis se levèrent à 6h du matin pour servir des petits déjeuners gratuits à des milliers d’enfants ; des drogués bousculèrent leurs habitudes et travaillèrent à expulser les dealers des quartiers ; et des hommes habitués à prendre leurs aises avec les femmes apprirent à écouter et respecter leurs partenaires féminins.
Document percutant et visionnaire, le troisième point du programme contenait une analogie souvent négligée entre les Africains-Américains et les victimes juives des Nazis. Utilisant l’exemple des réparations allemandes payées à Israël pour le génocide du peuple juif, Newton et Seale réclamait des réparations pour les Africains-Américains. Déclarant que "les Allemands ont tué six millions de Juifs. L’Americain raciste a participé au massacre de plus de 50 millions de Noirs ; par conséquent, nous estimons que notre exigence est modeste [quatre acres et deux mules]". Aucun avocat d’une cour de justice internationale ne pourrait refuser si belle affaire fondée sur un précédent historique.
Le point final résumait les problèmes et offrait une solution : "Nous voulons des terres, du pain, un toit, l’éducation, l’habillement, la justice et la paix. Et comme objectif politique majeur un plébiscite, supervisé par les Nations Unies, dans la colonie noire auquel seulement les sujets coloniaux noirs seront autorisés à participer, afin que la volonté du peuple noir s’exprime sur sa destinée nationale". Le programme se concluait en paraphrasant la déclaration d’indépendance de 1776 qui reconnaît le droit à la révolution. Les gouvernements, comme il était rappelé, sont créés pour servir le peuple, et "toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur". Avec ces mots, Huey et Bobby ont posé involontairement les bases de la CCPR qui eut lieu quatre ans plus tard.
Écrire une nouvelle constitution à la façon des Panthères
Avant de discuter les documents spécifiquement produits par la CCPR, quelques mots sur le contexte sont nécessaires. Une semaine avant la réunion à Philadelphie, la police mena un assaut sanglant sur les trois bureaux des Panthères de la ville, arrêtant tous les membres du parti qu’ils ont pu trouver. Les Panthères n’avaient pas accepté leur mort certaine sans se défendre l’arme à la main - c’était leur pratique dans tout le pays - et trois policiers furent blessés dans la fusillade. Peu après, la police força les Panthères hommes à marcher nus dans une rue pendant qu’ils étaient photographiés par la presse. Le Chef de la police Rizzo jubilait d’avoir attrapé les " grands, mauvais Black Panthers le pantalon baissé [19]". Rendu largement publique, l’atmosphère créée par ces événements était pour beaucoup dans l’aura de la CCPR. Russel Shoats, membre des Black Panthers de Philadelphie, raconte que quelques semaines avant la CCPR, le bureau central des Panthères à Okland a clairement fait comprendre aux membres de Philadelphie que même Huey Newton avait " peur de venir à Philadelphie ". Shoats se souvient qu’ils " exprimèrent l’opinion selon laquelle la police raciste de Philadelphie serait prête à essayer de l’assassiner pendant la séance de préparation de la convention constitutionnelle du peuple révolutionnaire [20]".
La tension et l’anxiété étaient les compagnons de route de tous ceux qui entreprenaient le voyage à Philadelphie, particulièrement pour Newton. Depuis 1967, la campagne " Free Huey " avait mobilisé et rassemblé des groupes divers à travers tout le pays (et le monde). Peu d’années après sa fondation en 1966 (durant lesquelles Newton resta en prison), le BPP devint " l’organisation révolutionnaire la plus influente aux États-Unis [21]". Plus inquiétant, John Edgar Hoover les étiqueta comme la plus grande menace à la sécurité intérieure du pays. Le FBI et les départements de police locaux ont mené des assauts dans les bureaux des Panthères à travers tout le pays. Comme la police assassinait les Panthères, détruisait leurs bureaux, et arrêtait des centaines d’entre eux, une réaction contre le FBI s’organisa non seulement dans la communauté noire mais aussi parmi tous les groupes minoritaires, des millions d’étudiants, et la contre-culture radicalisée - tous ceux qui sont descendus à Philadelphie pour soutenir les Panthères. Comme la planète fut secouée par un soulèvement global en 1968, les Panthères étaient les mieux positionnés (comme les plus opprimés dans ce que Che Guevara appelait " le cœur de la bête ") pour incarner les aspirations globales pour transformer le système-monde en entier. Les délégués des groupes noirs locaux et d’une variété d’organisations - le American Indian Movement, les Brown Berets, les Young Lords, I Wor Keun (un groupe Asiatique-Américain), Students for a Democratic Society (une organisation national d’étudiants d’au moins 30000 membres), le nouvellement créé Gay Liberation Movement, et beaucoup de groupes féministes - tous considéraient le BPP comme une source d’inspiration et une avant-garde. Cette alliance extraordinaire était constitutive de la CCPR, et ils furent capables d’unifier et de développer leur future orientation. Ce qui est le plus remarquable, c’est que cette assemblée diverse ait été capable de mettre par écrit leur vision d’une société libre.
Malgré les actions de la police visant à faire peur aux gens de l’extérieur de Philadelphie, des millions de personnes sont venues. Plusieurs estimations existent, aucune ne prétend être définitive. Hilliard dit qu’il y en avait 15000 [22] ; le journal des Panthères utilisait des nombres entre 12000 et 15000 [23] ; le chercheur en sciences sociales G. Louis Heath affirme que les séances plénières des 5 et 6 septembre ont attiré de 5000 à 6000 personnes (dont 25 à 40% étaient blanches) mais il ne compte pas les milliers d’autres qui étaient à l’extérieur et ne pouvaient pas entrer [24]. Le New York Times déclara qu’il y avait 6000 personnes à l’intérieur et 2000 à l’extérieur (dont environ la moitié étaient blanches) [25] ; et le Washington Post, suivant probablement le Times, parlait plus tard de 8000 [26]. Les gens venaient de tout le pays, et des groupes assemblés spontanément louèrent des bus. Certains ont signalé que, dans au moins deux villes, ces bus avaient été soudainement annulés sans explication, obligeant les personnes à improviser du covoiturage. Une file de trois voitures contenant vingt-deux personnes de l’Est de Saint-Louis fut arrêtée et elles furent inculpées pour port d’arme illégal, et au moins une Panthère de New York fut arrêtée sur la route de Philadelphie [27]. Des organisations et des délégués de Floride et de Caroline du Nord firent grande impression, comme les représentants des mouvements de libération d’Afrique, de Palestine, d’Allemagne, de Colombie, et du Brésil [28].
Quand nous sommes arrivés, au lieu d’affronter la répression policière comme nous nous y attendions, nous avons trouvé des maisons d’Africains-Américains grandes ouvertes, leurs églises d’accueillants refuges, et les rues vivantes avec une solidarité hautement " érotique ". On pouvait lire sur les vitrines " WELCOME PANTHERS ", et cinq drapeaux flottaient à l’extérieur du bâtiment qui abritait la convention : il y avait, en ordre descendant, le drapeau des Panthères ; le drapeau du Front de libération national du Sud Vietnam ; le drapeau vert, noir et rouge du nationalisme noir ; le drapeau Yippie (une feuille de marijuana sur fond noir) ; et le drapeau du Che Guevara. Évidemment, les Panthères ont abattu énormément de travail d’organisation pour l’événement, la nourriture étant fournie pour de nombreuses personnes. Contrairement à ce que disent certains écrits, l’expropriation armée était une tactique que le BPP employait pour nourrir tout le monde. Russel Shoats raconte comment un camion frigorifique de quinze tonnes contenant des tonnes de viande congelée avaient été réquisitionné et déchargé le jour même que des équipes de Panthères braquaient une banque [29].
Certains membres du parti préparaient et menaient la lutte armée, pendant que d’autres organisaient la séance de préparation de la CCPR. Les 8 et 9 août, le groupe organisateur se rencontra à Howard University. Étaient présents des représentants des mères bénéficiant de l’aide sociale, des docteurs, des avocats, des journalistes, des étudiants, des ouvriers agricoles, des greasers [30] de Chicago, des Latino-Américains, des lycéens, des gays, et des individus concernés [31]. Simultanément, la communauté noire de Philadelphie s’est unifiée pour soutenir la convention. Après les assauts de la police, les bureaux des Panthères ont été scellés, mais les gens leur ont ouvert leurs portes de leur propre initiative. Le journal des Panthères rapportait : " Au Nord de Philadelphie, deux gangs rivaux ont conclu une trêve. (…) Ils étaient 200-300 hommes forts, et quand quinze voitures de police remplies de porcs s’en allèrent vers eux et leur demandèrent qui leur avait donné la permission d’ouvrir les bureaux, leur réponse était ’’le peuple’’, et la police devait baisser la tête plutôt que subir les foudres de personnes en colère et armées [32]".
Les inscriptions du vendredi et du samedi matin eurent lieu sans accroc avec la police, et plus tard le samedi, les gens se rassemblèrent pour la séance plénière. Au sein du McGonigle Hall de la Temple University, où les séances plénières avaient lieu, prévalait une atmosphère vivante et festive. Nous avions gagné. La police avait été incapable de nous arrêter. Des vagues de personnes arrivaient rapidement, le hall atteint le maximum de ses capacités, et il fallait anticiper. Le service de sécurité des Panthères indiqua aux orateurs qu’ils pouvaient commencer. Soudainement, des centaines de gays entrèrent dans le balcon supérieur, chantant et tapant des mains en rythme : " Gay, gay power to the gay, gay people ! Power to the People ! Black, black power to the black, black people ! Gay, gay power to the gay, gay people ! Power to the People ! " Tout le monde se leva et se joigna à eux, répétant le refrain et utilisant leurs adjectifs respectifs : Red, Brown, Women, Youth et Student. (Bien que le BPP soutenait officiellement le slogan " white power for white people " comme les autres " pouvoirs ", la foule du gymnase n’alla pas jusque-là).
Le premier discours était prononcé par Michael Tabor, un jeune membre du parti qui avait écrit un pamphlet intitulé " Capitalisme + Drogue = Génocide " et était un des vingt-et-un accusés de conspiration à New York. Comme Newton, Tabor avait été libéré sous caution peu de temps avant. Quelquefois brillant et toujours charismatique, Tabor parla plus de deux heures. Il souligna à quel point la constitution actuelle était insuffisante et avait fonctionné historiquement pour exclure et opprimer " 240000 domestiques, 800000 esclaves noirs, 300000 Indiens, et toutes les femmes, sans parler des minorités sexuelles [33]". L’esprit vif et analytique de Tabor s’en prit aussi à d’autres illusions. A un moment, il lista les politiques et les actions du gouvernement étasunien et nous rappela que le président d’alors Richard Nixon, qui venait d’envahir le Cambodge et bombardait quotidiennement le peuple du Vietnam, " faisait passer Adolf Hitler pour un homme de paix ". Son éloquence oratoire s’interrompit soudainement quand il leva une main en l’air et montra comment le poing - symbole du mouvement radical - devait être remplacé par le pouce et l’index formant une arme. A la suite de Tabor, il y avait d’autres orateurs dont Audrea Jones, leader des Panthères de Boston, et l’avocat Charles Garry, le conseiller juridique de Newton et Seale (alors en prison). D’une certaine façon, la pause entre les séances était suivie sans dépassement et euphorique en même temps. Dans les rues entourant le McGonigle Hall, Muhammad Ali, un participant " ordinaire ", serrait des mains, signait des autographes, et disait des mots d’encouragement pendant que d’autres parlaient avec de vieux amis, s’en faisaient de nouveaux ou cherchaient une place. Pendant ce temps, des centaines de personnes discutaient de la prochaine tâche à faire : écrire une nouvelle constitution des États-Unis. La jubilation allait de pair avec l’esprit critique, mais on retrouvait nulle part de la peur ou de la résignation.
Cette nuit, Huey Newton est finalement apparu. Sorti de prison seulement le 5 août (exactement un mois avant la CCPR), il était un étranger pour pratiquement tout le monde. Ils avaient manifesté pour sa libération, lu ses écrits, et suivi son procès, mais peu d’entre eux l’avaient entendu parler. Nous avions mis tellement d’énergie pour organiser sa libération que le fait qu’il puisse venir était en lui-même vu comme le fruit de notre travail, comme une victoire du mouvement. Même pour " beaucoup de membres du [Black Panther] Party de la côté Est, il s’agissait d’une opportunité d’entendre et de voir l’homme qu’ils ont inlassablement cherché à libérer. Pour beaucoup des militants de base, assister à la séance plénière était une sorte de célébration de leur victoire [34]". Transportés par notre tout nouveau pouvoir dans une atmosphère politique chargée, nos attentes vis-à-vis de l’éloquence du discours de Newton étaient stratosphériques. Durant son mois de liberté, il avait été très occupé, proposant aux troupes du Front de libération national et du gouvernement révolutionnaire provisoire du Sud-Vietnam de les "assister" dans leur "lutte contre l’impérialisme américain" [35] et écrivant un article dans le journal des Panthères qui soutenait complètement la libération des gays [36]. Il avertissait les hommes que s’ils avaient un problème pour considérer les homosexuels comme des égaux, c’était un signe de leur propre insécurité masculine. Dans une autre déclaration publique, il insistait sur l’importance d’une alliance avec le mouvement de libération des femmes. Il était le Commandant suprême des Panthères, un titre modifié plus tard par Serviteur suprême du peuple, et ses ordres à respecter les gays et les féministes étaient essentiels pour notre unité. La présence de Newton électrisa la foule débordante. Même si le hall était complètement plein, des milliers de personnes à l’extérieur cherchaient à entrer. La situation resta sous contrôle seulement grâce à l’action du service d’ordre et à la promesse que Newton allait parler deux fois [37]. (Le lieu de son second discours, la Church of the Advocate, contenait 2500 personnes et plus à l’extérieur). Quand Newton arriva finalement au McGonigle Hall, il avança à grands pas sur la tribune entouré d’une équipe chargée de sa sécurité, et le silence s’imposa sur la foule sans qu’on l’ait demandé.
Huey était le héros de tous, mais une fois qu’il prit le micro, nous étions stupéfaits de découvrir qu’il n’était pas un orateur charismatique. Avec une voix au ton élevé, presque plaintive, il s’étendit sur l’histoire des États-Unis, utilisant des arguments analytiques abstraits :
" L’histoire des États-Unis, distinguée de la promesse des États-Unis, nous amène à la conclusion que notre souffrance est fondamentale pour le fonctionnement du gouvernement des États-Unis. Nous voyons cela quand nous mettons en lumière les contradictions fondamentales de l’histoire de cette nation. Le gouvernement, les conditions sociales et les documents légaux qui assurent la liberté contre l’oppression, qui permettent la dignité humaine et les droits humains à une partie de la population de cette nation, ont des conséquences complètement opposées pour une autre partie de la population" [38].
Une fois qu’il eut terminé, notre déception était palpable et, en retour, il dit que nous n’étions pas prêts pour la pensée analytique. " Ils ont accroché aux slogans et au parler révolutionnaire d’Eldridge Cleaver " dit Huey à Hilliard immédiatement après son discours [39]. A l’insu des milliers de participants, Newton et Hilliard étaient complètement détachés de ce qu’ils appelaient la " fausse convention constitutionnelle ". Après le discours, incapables de s’entendre avec l’équipe de sécurité, les deux leaders des Panthères les plus importants quittèrent les réunions et allèrent faire la fête dans la maison d’un inconnu [40]. Newton n’apparut jamais à la Church of the Advocate.
Le jour suivant, les gens se séparèrent en groupes de travail en vue de formuler et de discuter les propositions de nouvelle constitution. En seulement quelques heures, les représentants de toutes les composantes majeures du mouvement révolutionnaire se réunirent en petits comités pour un brainstorming et discuter des pistes de réflexion pour atteindre l’objectif d’une société plus libre. La forme des réunions était légèrement différente de celle de 1787. Chaque atelier était mené par des membres des Panthères. Ils coordonnaient aussi le personnel de sécurité qui assurait un environnement de travail sans troubles. Les Panthères avaient empêché la présence des médias, de peur qu’elle ne perturbe le bon déroulement des réunions. Tandis que de nombreux journalistes se plaignaient d’être exclus de la plénière et des ateliers, l’espace créé par l’absence des médias était trop précieux pour le sacrifier à la publicité. C’était le moment pour le mouvement de parler à lui-même. Les groupes avaient rarement communiqué entre eux avec une telle combinaison de passion et de raison. Les uns après les autres, les participants se levaient et parlaient avec émotion de leurs attentes et de leur désir, de la souffrance et de l’oppression. Comme si le toit s’était détaché du plafond, les imaginations l’élevèrent à mesure que nous nous envolions vers notre nouvelle société. L’effet synergique obligeait chacun d’entre nous à articuler nos pensées avec éloquence et simplicité, et le refrain du " Right on ! ", qui concluait la contribution de chacun, signalait aussi qu’il était temps de laisser la parole à un autre. Une Panthère non identifiée décrit plus tard comment même les enfants n’avaient pas été turbulents : " Les enfants se comportaient pendant trois jours comme des adultes, infectés par une sorte de mauvaise sobriété ". Le même auteur promettait : " Il va y avoir une révolution en Amérique. Sérieusement, elle va bientôt commencer. (…) Le fait d’avoir cru en une seconde révolution américaine avant Philadelphie était la preuve d’une foi historique et essentielle : ne pas croire en un monde nouveau après Philadelphie, c’est abandonner l’esprit humain" [41]. En décrivant les ateliers, elle/il continuait :
" Les masses noires analphabètes et quelques étudiants instruits étaient en train d’écrire finalement la nouvelle constitution. (…) Les étudiants aristocrates menées par les femmes, et les petits frères des rues, étaient en train de l’écrire. Ainsi il y avait les réunions des premières propositions, animées brillamment par des " intellectuels armés " des Panthères. (…) Dans les écoles et les églises - les structures rationnelles du passé - les ateliers subversifs du futur se réunissaient pour mettre en discussion les obsessions personnelles des intellectuels aristocrates et les espérances enthousiastes des damnés" [42].
Comme le temps consacré aux ateliers de travail arriva à sa fin, chaque groupe désigna des porte-paroles chargés de mettre par écrit ce qui avait été dit et de présenter nos idées à la seconde séance plénière.
Comme le montrent clairement les documents, les différences de points de vue étaient parfois tout simplement laissées intactes plutôt qu’aplanies pour essayer d’imposer la ligne du parti. Dans des conditions " normales ", une telle diversité d’individus, qui formaient des groupes allant jusqu’à 500 personnes, aurait provoqué des batailles oratoires (voire pire), alors que les documents produits par les ateliers offraient la vision enthousiasmante d’une société plus juste et plus libre qui n’avait jamais existé. En plus d’une déclaration internationale des droits pour la redistribution des richesses du monde, il y avait des appels à interdire la fabrication et l’usage des armes génocidaires, ainsi qu’à mettre un terme à l’armée de métier et la remplacer par " un système de milices du peuple, entraînées aux techniques de guérilla, sur la base du volontariat et constituées d’hommes et de femmes ". La police doit consister en " un corps volontaire, non-professionnel et fonctionnant en roulement, coordonné par le Conseil de surveillance de la police, composé de volontaires de chaque communauté qui sont remplacés toutes les semaines. Le Conseil de surveillance de la police, sa politique, ainsi que la direction de la police, doivent être choisis par un vote populaire majoritaire de la communauté ". Les délégués exigeaient la fin de la conscription, l’interdiction de dépenser plus de 10% du budget national pour l’armée et la police - ce financement pouvant être annulé ou modifié par un vote majoritaire lors d’un référendum national - et la représentation proportionnelle des minorités et des femmes (deux réformes démocratiques absentes de la Constitution des États-Unis). Les ressources des universités devaient être orientées vers les besoins des peuples du monde, et non ceux des militaires et des entreprises ; les milliards de dollars des organisations criminelles devaient être confisqués ; on devait instituer un système de santé gratuit et décentralisé, le partage du travail domestique entre hommes et femmes, l’incitation à des alternatives à la famille nucléaire, " le droit d’être gay, n’importe quand, n’importe où ", des droits accrus et le respect des enfants, le contrôle communautaire des écoles, et le pouvoir des étudiants, incluant la liberté de s’habiller comme on le souhaite, la liberté d’opinion et d’assemblée. Bien qu’il y ait un paragraphe dans lequel homme et il étaient utilisés, le tout premier rapport des ateliers contenaient l’obligation de toujours remplacer le mot homme par être humain (people) afin d’" exprimer notre solidarité avec l’auto-détermination des femmes et nous défaire une fois pour toutes des rémanences de la suprématie masculine ". Comme le BPP résumait une semaine plus tard :
" Pris dans son ensemble, ces rapports fournissent la base pour la Constitution la plus progressive de l’histoire du genre humain. Tout le peuple contrôlerait les moyens de production et les institutions sociales. La représentation proportionnelle est garantie aux peuples noirs et du Tiers-monde ainsi qu’aux femmes. Le droit à l’auto-détermination nationale est garanti à toutes les minorités opprimées. Est affirmé le droit à l’auto-détermination sexuelle des femmes et des homosexuels. L’armée de métier doit être remplacée par des milices populaires, et la Constitution doit inclure une déclaration internationale des droits interdisant l’agression et l’intervention des États-Unis dans les affaires internes des autres nations. (…) L’actuel système judiciaire raciste doit être remplacé par un système de tribunaux populaires où chacun doit être jugé par un jury de pairs. Les prisons doivent être remplacées par des programmes de réhabilitation communautaire. Le logement approprié et un système de santé doivent être considérés comme des Droits Constitutionnels. Les drogues libérant l’esprit (" mind expanding drugs ") doivent être légalisées. Ce ne sont que quelques éléments de la nouvelle Constitution" [43].
Dans la société dans son ensemble : racisme, patriarcat, et homophobie. A la CCPR : solidarité, libération, et célébration de la différence. A partir de cette position avantageuse, la CCPR fournit un aperçu d’une rupture avec la vie " normale ". Elle préfigurait la forme de système international qui était conçue comme la mieux à même de remplacer le système actuel fondé sur des États-nations militarisés et des entreprises transnationales avides de profit. L’universitaire Nikhil Pal Singh avait noté que la CCPR " était une tentative étonnante d’imaginer des formes alternatives de liens de parenté et de communauté. Autrement dit, la politique de libération, telle que les Panthères l’ont inaugurée et exemplifiée, était moins fondée sur la défense d’une identité réifiée que sur le désir de fracturer un espace singulier, hégémonique, en imaginant la libération des nombreux espaces symboliques au sein du territoire (national), du corps aux rues, en passant par une partie de la ville et l’esprit lui-même" [44].
La déclaration internationale des droits de la Constitution de Philadelphie était une indication à quel point la légitimité du patriotisme était remise en cause. Structurellement située au centre du système-monde, l’imagination du mouvement populaire dessinait les contours d’un monde nouveau - pas seulement d’une nation. La double aspiration du mouvement global de 1968 - internationalisme et autogestion - était incarnée dans ces documents. Le terme autogestion (" self-management ") n’est peut-être pas utilisé dans ces documents, mais sa version étasunienne, contrôle communautaire (" community control ") était utilisé en référence aux écoles, à la police, au contrôle des femmes sur leur corps, à plus d’autonomie pour les enfants, les étudiants et la jeunesse. Nous ne voulions pas créer un paradis, mais plutôt atténuer la force des structures de domination (police, racisme, autoritarisme patriarcal, armée) qui étaient la source de notre servitude. Nous cherchions à aller au moins à mi-chemin du paradis, pleinement conscient que nous ne serons jamais absolument libre. Si nous continuons à viser le mi-chemin du paradis, sans jamais l’atteindre, nous l’avons néanmoins approché.
Trente ans plus tard, la CCPR peut être considérée comme le premier rassemblement national de la coalition arc-en-ciel (" Rainbow Coalition "), lancée par Fred Hampton à Chicago et popularisée par les campagnes présidentielles de Jesse Jackson. Mais elle ne doit pas être confondue avec la politique électorale, bien qu’au sein de cette sphère limitée, l’idée de la représentation proportionnelle, introduite par la Convention de Philadelphie, est depuis devenue une partie intégrante des réflexions des groupes qui cherchent à mieux organiser les États-Unis [45]. De plus, le concept de référendum national, élément de la constitution produite spontanément, semble être une excellente innovation dont la présence dans la constitution aurait signifié la fin rapide de la guerre du Vietnam.
Quelques propositions apparaissent aujourd’hui farfelues, en particulier celles relatives aux drogues. Après avoir appelé à l’" éradication " des drogues dures " par tous les moyens nécessaires " et l’aide aux personnes dépendantes de la drogue, l’atelier sur l’autodétermination du peuple des rues arriva à la conclusion suivante : " Nous reconnaissons que les drogues psychédéliques (acide, mescaline, herbe) sont importantes pour développer la conscience révolutionnaire du peuple. Cependant, après que la conscience révolutionnaire ait été obtenue, ces drogues peuvent devenir des fardeaux. Aucune action révolutionnaire ne devrait être menée sous l’influence de n’importe quelle drogue. Nous recommandons la légalisation de ces drogues. Et si elles ne devaient pas être légalisées, il ne devrait pas y avoir de loi contre elles ".
Significativement, la position de la CCPR sur les drogues montre pratiquement que la liberté des individus faisait partie des aspirations du groupe mené par les Panthères ; que cette impulsion, qui apparaît pour certains ne concerner que les minorités, formulait en fait des intérêts universaux. Personne ne devrait ne pas tenir compte ou banaliser la question de la drogue. En tant que véhicule symbolique de l’imposition de la domination de classe et de l’hégémonie culturelle, elle touche des centaines de milliers de personnes quotidiennement. En 1997, un homme sur trois emprisonné à New York était condamné pour une affaire de drogue ; au niveau national, cela touche six femmes sur dix ; et en Californie, un homme sur quatre incarcérés dans les prisons d’État (et quatre femmes sur dix) l’est pour une affaire de drogue [46]. Selon le FBI, il y eut 682885 arrestations liées à la drogue en 1998, dont 88% pour possession et non pour vente ou fabrication, et depuis que Clinton est devenu président, plus de 3,5 millions de personnes ont été arrêtées en lien avec la drogue [47]. Compte tenu de la faillite abyssale du système existant pour mener une " guerre contre les drogues " efficace, de l’enrichissement continuel des organisations criminelles et des opérations menées et couvertes par la CIA, de l’irrationalité du statut juridique de l’alcool et des cigarettes comparé à l’illégalité de la marijuana, et tandis que des milliers d’usagers se morfondent en prison, le jugement de l’Histoire prouve que les politiques préconisées par la CCPR étaient plus sensées et prudentes que celles qui sont en place aujourd’hui [48]. Dans deux lieux européens où apparemment l’on n’avait jamais entendu parler de la CCPR, la position des Panthères sur les drogues est restée essentiellement inchangée : dans les années 1970, parmi la jeunesse italienne connue sous le nom de Metropolitan Indians, et plus de trente ans plus tard à Christiana, une communauté contre-culturelle à Copenhague [49].
Les Panthères continuèrent à attaquer les dealers d’héroïne, confisquant leur argent et nettoyant leur planque après les avoir avertis plusieurs fois publiquement. Dans une des actions les plus audacieuses entreprises par les activistes du mouvement, H. Rap Brown a été capturé par la police, coincé qu’il était sur le toit d’un club fréquenté par de grands dealers - un lieu de prédilection que lui et d’autres cherchaient à fermer. Ron Brazao, en cavale depuis la perquisition en 1970 du Comité de défense des Panthères de Cambridge (Massassuchets), est tué dans une fusillade avec un dealer de Marin (Californie) en 1972. D’autres d’exemples similaires mène à l’inévitable conclusion que la guerre du mouvement contre les drogues dures a coûté beaucoup trop de vies.
Comparer la plate-forme et la Constitution
Le fait de comparer un texte écrit par deux hommes et celui écrit par des milliers de personnes quatre ans plus tard peut être considéré comme inéquitable pour tous. Je dois admettre que Newton et Seale sont des héros pour moi et le seront toujours. Cependant, je voudrais souligner (et je pense que Bobby Seale serait d’accord) le fait que la capacité des gens " ordinaires " à s’organiser et parler pour eux-mêmes, à construire leurs propres institutions et gérer leurs propres affaires, peut être étonnante. Compte tenu des contraintes du système existant, il faut des moments de confrontation exaltante avec les pouvoirs établis pour lever le voile sur les capacités du peuple. Pendant ces moments d’" eros effect ", il se préfigurait la vie quotidienne dans la société du futur tant espérée. Détachées des maîtres institutionnels et des patrons politiques, les actions spontanées de millions de personnes devinrent une force de poids dans le monde politique local et national. Même si elles échouent dans l’accomplissement de leurs objectifs immédiats, elles peuvent aussi avoir des effets étendus au niveau international [50].
Pour être juste avec Seale et Newton, ainsi que pour évaluer leur véritable rôle historique, il faut placer leur programme et leur plate-forme au commencement d’une époque historique turbulente où les changements s’opérèrent rapidement. Entre le lancement du parti à Oakland et la CCPR, de grands changements eurent lieu en quatre ans, transformant la nation et le BPP. Dans les mois qui suivirent Philadelphie, Huey changea d’opinion sur la direction du parti, et il indiqua une nouvelle orientation qu’il appelait intercommunaliste [51].
Comparé aux documents de la CCPR, le programme de 1966 est timide, sa vision limitée. Le programme et la plate-forme ne font aucune mention de la solidarité internationale. Cependant, il montre leur compréhension des " peuples de couleur du monde qui, comme le peuple noir, sont victimes du gouvernement blanc raciste d’Amérique". Les peuples du Tiers-monde étaient également objet de la répression ; mais ils étaient déjà devenus des sujets de leur révolution. Par exemple, on ne retrouve nulle part dans la plate-forme une allusion de l’offre faite par Huey Newton d’envoyer des troupes au Front de libération nationale du Sud-Vietnam pour l’aider à défaire les États-Unis. Aucune allusion non plus dans les documents de 1966 sur les droits des gays, la libération des femmes, et la représentation proportionnelle des minorités et des femmes. Non seulement la libération des femmes était manifestement absente, mais l’idée même que les femmes Panthères puissent se battre comme soldats aux côtés du Front de libération nationale, idée sur laquelle Newton avait insisté, était inconcevable en 1966.
Au lieu d’exiger l’exemption du service militaire pour les hommes noirs, la CCPR appelle à la fin de l’armée de métier. Au lieu que les prisonniers noirs passent à nouveau en procès au sein du système actuel, les prisonniers devaient être rejugés par des tribunaux révolutionnaires décentralisés. La modeste revendication de réparation des Africains-Américains par " quarante acres et deux mules " est remplacée par celle de réparations internationales et la redistribution des richesses de la planète. Le tableau 1 résume les positions adoptées par les documents historiques.
Comme on peut le voir, la comparaison du programme politique du BPP avec la vision du mouvement populaire de la CCPR alerte notre attention sur la manière dont le mouvement en lui-même a surpassé la dimension visionnaire de ses leaders et organisations historiques les plus héroïques (qui restent, malgré leur centralité dans le mouvement, partiels et fragmentaires). Cependant, je veux souligner le fait qu’alors que le rassemblement amorphe de la CCPR n’a pas produit d’organisation concrète pour appliquer le programme, Newton et Seale étaient prêts à agir et ils ont agi immédiatement après l’élaboration du programme. Même si on fait la comparaison avec les conférences contre la répression que les Panthères avaient impulsé les années précédentes, on n’a jamais demandé aux participants de la CCPR de s’engager dans le long-terme.
Tableau : Ce que voulait le Black Panther Party, 1966-1970
Les Panthères avaient une volonté de fer, s’opposant fermement à la barbarie policière, et le mouvement populaire avait un caractère moins trempé, plus liquide, qui fluctuait rapidement selon les aléas de la conscience et des actions populaires. Le BPP fit avancer le processus révolutionnaire plus que toute autre organisation étasunienne de la seconde moitié du XXe siècle, et la synchronisation dialectique du mouvement populaire et du parti révolutionnaire, l’interaction entre eux, leur interdépendance et leur mutuelle montée en puissance, accélérèrent et atteignirent leur point culminant à la CCPR. Même l’acier le plus pur explose quand l’eau qu’il contient se transforme en vapeur. Comme le mouvement se dispersa spontanément dans des actions militantes et des directions imprévues, les Panthères, incapables de contenir les forces disparates, implosèrent de l’intérieur sous la pression de l’impulsion dont elles avaient été à l’origine - et dont elles ont accéléré le développement. Dans de nombreuses villes, les Panthères et d’autres répondaient à la répression policière par les armes et le contact avec l’ennemi le pistolet à la main. En 1970, l’impulsion populaire venue d’en bas impliquaient des millions de personnes, mais puisque les événements historiques ont tourné en une guerre contre la police, l’espace pour les mobilisations populaires et l’engagement politique se disloqua. Simultanément, la tension dynamique parmi les différentes tendances du BPP s’exacerba, et l’organisation implosa de l’intérieur. Au sein de ce parti d’avant-garde, il y eut de nombreux conflits pour définir l’orientation politique : formation de groupes armés ou consolidation d’un parti politique légal ; autonomie des Africains-Américains ou leadership d’un émergent mouvement " arc-en-ciel " ; plébiscite pour une nation noire ou déclaration internationale des droits. Aussi longtemps que le parti était lié à la dynamique du mouvement populaire, plusieurs tendances du parti pouvaient encore coexister.
Tous les mouvements connaissent des hauts et des bas. La Convention de Philadelphie correspond au paroxysme de l’insurrection populaire que nous appelons mouvement des années 1960. Pour les milliers de personnes qui y ont participé, elle devint le tournant à partir duquel les notions de convergence mutuelle, de célébration de la différence et, plus particulièrement, d’unité dans la lutte laissèrent la place à des notions opposées : autodestruction mutuelle, luttes intestines et uniformisation de la base. Quand Newton et Hilliard quittèrent la plénière après le discours de Huey, personne ne savait que le point culminant du mouvement venait de passer. La tribune exposa au public la substantielle scission qui déchira le BBP (et le mouvement). Bien que Huey ait décliné toute responsabilité pour ce qui s’est passé lors de la " folle convention constitutionnelle " et l’ait perçue comme une preuve de la direction défaillante du parti par Eldridge Cleaver, le programme des Panthères écrit par Huey devait nous amener à la CCPR. Bien que Newton ne pouvait pas le comprendre, lorsque Cleaver appliquait le programme des Panthères, il exprimait son désir de suivre le leadership de Newton [52] - et non pas, comme il l’a prétendu ultérieurement, une tentative pour le renverser. Dans ses mémoires, Hilliard nous dit que Huey pensait que sa vision originale allait complètement à l’encontre du " plan d’Eldridge pour créer un front populaire et national avec cette folle convention constitutionnelle" [53]. Cette divergence d’opinion relative à la CCPR était utilisée par le FBI comme un moyen de provoquer une scission entre Huey et Eldridge. Le bureau de Los Angeles écrivit un mémo recommandant que pour " chaque divergence entre les individus ayant assisté [à la CCPR], [il fallait] écrire de nombreuses lettres à Cleaver critiquant Newton pour son manque de leadership (…) [afin de] créer une dissension qui pourrait être complètement exploitée plus tard" [54].
Le sort réservé à la Constitution de Philadelphie
L’idée de la CCPR était qu’il pouvait y avoir un processus en deux temps, d’abord l’élaboration et ensuite la ratification de la nouvelle constitution. Après avoir été chaleureusement acceptés par les 5000 à 6000 participants de la plénière du dimanche, un " comité de suivi " formé le lundi devait faire circuler les documents produits à Philadelphie. Des discussions au niveau local (ainsi qu’au sein des instances du parti) devaient avoir lieu avant une seconde réunion, prévue au départ pour le 4 novembre à Washington. Cette seconde convention devait discuter de la ratification et de la mise en application du document final. La date de la seconde convention fut repoussée au week-end de Thanksgiving (27 novembre 1970). Quand des milliers de personnes (7500 selon une estimation [55]) arrivèrent à Washington, elles furent considérablement déçues que la convention n’ait pu avoir lieu. Apparemment les Panthères refusèrent de payer la location plein tarif de plusieurs bâtiments de Howard University, où la plénière devait avoir lieu [56]. Aucune réunion n’eut lieu la première nuit, et Newton dit à tous ceux qui écoutaient son discours la nuit suivante que " ce sera pour une autre fois ", la prochaine convention aura lieu après la révolution. Ultérieurement , il affirma clairement qu’il avait changé d’avis sur l’opportunité de continuer avec la nouvelle constitution, ainsi que sur l’idée même de construire une large alliance et un " bloc hégémonique " capable de changer la société en entier.
Au lieu de permettre que l’impulsion révolutionnaire continue, Newton sapa brutalement et systématiquement l’initiative révolutionnaire et fit avorter l’alliance multiculturelle que les Panthères avait construit dans le cadre de la campagne " Free Huey". A la manière dont Staline traitait Trotsky, toute forme de déviation politique vis-à-vis de la nouvelle ligne de Huey était attribuée à Cleaver. Huey fit fermer presque toutes les sections du BPP et rassembla tous les cadres à Oakland, où il pouvait les surveiller personnellement. Il revendiqua la propriété du parti, obtint le copyright sur le journal, et Bobby Seale était chargé de faire respecter son contrôle autocratique [57]. Insistant sur la nécessité de " retourner dans la communauté noire ", il réduisit aussi les actions publiques du parti à la continuation des programmes de survie à Oakland et à la politique électorale. Grâce à tous ces changements, Newton essayait secrètement de contrôler le trafic de drogue d’Oakland et tomba lui-même sous la dépendance de la drogue. Tout ceci sapait les bases du parti et les Panthères, en tant que force organisée, n’étaient plus que du passé.
Il y a plusieurs raisons qui expliquent pourquoi le leadership des Panthères changea les objectifs et et prit ses distances vis-à-vis des aspirations du mouvement, formulées publiquement lors de la CCPR. Réprimé dans le sang à travers tout le pays, le parti était sur la défensive, ses leaders étaient disséminés dans plusieurs prisons ou en exil. De leur position isolée, les leaders importants étaient très loin des mouvements populaires de transformation qui accomplirent plus de choses en quelques semaines que ce que l’histoire accomplit habituellement en plusieurs décennies (libération des chaînes du sexisme et de l’homophobie, du racisme et de l’autoritarisme, formation d’un nouvel espace populaire pour l’action). Le caractère centralisé de l’organisation léniniste des Panthères rendit le leadership du parti plus vulnérable aux interventions de la police. L’emprisonnement, le meurtre et l’exil d’une douzaine d’individus porta lourdement préjudice au comité central et au parti. Quand la structure centralisée du BPP tomba entre les mains de David Hilliard, le seul membre de la direction resté à Oakland, les tendances autoritaires s’amplifièrent. Même si le mouvement populaire et la plupart des cadres le soutenaient, beaucoup au sein du parti ressentirent amèrement sa main mise autoritaire. En compagnie de son frère June, il força la mise en œuvre de directives qui n’était jamais discutées, et la primauté d’Oakland sur le parti affaiblit le leadership qui émergeait ailleurs dans le pays. Quand Huey sortit de prison, le Commandant Suprême intensifia le contrôle central et imposa lui-même la discipline.
La fluidité amorphe de la CCPR entrait en contradiction avec la structure rigide des Panthères. Ses composantes étaient diverses et dispersées, néanmoins, tandis que les Panthères étaient capables de les unifier et de les inspirer, leur forme organisationnelle était insuffisante pour les unir - même si elles avaient été capables de formuler une volonté collective. Peu après le fiasco de Washington, les Panthères se divisèrent dans le sang dans la même ligne que les SDS (Students for democratic society) et la plupart des autres mouvements de cette période (appel véhément à l’insurrection contre politique plus posée orientée vers la communauté). Comme le mouvement se scinda, le système détruisit simultanément les adeptes les plus radicaux de la révolution (George Jackson, les prisonniers d’Attica, l’Armée de libération noire) tout en se réformant lui-même pour prévenir à l’avance les conditions de possibilité d’une nouvelle mobilisation populaire. Bien que les individus de toutes les composantes de la CCPR continuèrent à travailler avec les Panthères, le mouvement populaire ne retrouva jamais son étonnante unité et sa synergie.
Comme le mouvement se désintégra, la Constitution de Philadelphie fut apparemment jetée dans les poubelles de l’histoire - mais l’était-elle vraiment ? Unie à Philadelphie, la vision du mouvement populaire continue d’inspirer des actions. Trois décennies après la CCPR, des millions de personnes se sont mobilisés pour réaliser les nombreuses propositions de la Constitution de Philadelphie. Dans les années 1970, le mouvement féministe fut à l’initiative d’une campagne portant sur l’une d’entre elles : l’égalité des droits entre femmes et hommes. Mais les actions les plus impressionnantes en lien avec Philadelphie furent entreprises par le mouvement des prisonniers, qui secoua les États-Unis des mois après la Convention. De la Californie à New York, les prisonniers étaient inspirés par l’appel du mouvement pour la justice. Comme les détenus exigeaient un traitement décent et humain, une vague de rébellions balaya les prisons de tout le pays, culminant avec l’émeute de la prison d’État d’Attica, à New York, durant laquelle quarante-trois personnes furent tuées presque un an après la CCPR.
De nombreuses idées de la CCPR ont par ailleurs stimulé les mouvements sociaux ultérieurs, et elles vont probablement continuer à le faire dans le futur. Si seulement deux revendications de la CCPR étaient appliquées - représentation proportionnelle et référendum national - la structure politique actuelle serait beaucoup plus représentative de toute la population. Comme la " rationalité " du système-monde existant devient de plus en plus déraisonnable, on devrait prêter attention au caractère raisonnable des formes de gouvernement décentralisées et autogérées prônées par la CCPR.
Si le parti ne s’était pas divisé et si le mouvement ne s’était pas désintégré, qui peut savoir dans quelle direction ce bloc hégémonique aurait pu aller ? Qui peut être totalement sûr que le soulèvement des années 1960 allait se terminer ainsi ? Comme un bébé qui apprend à parler, le mouvement révolutionnaire de 1970 n’était pas mûr - non préparé à fournir un leadership responsable et capable sur le long-terme de mener la société vers le changement. Incapable d’atteindre la seconde étape de la lutte - consolidation de l’impulsion révolutionnaire - il se divisa en des milliers de groupes.
Trente ans après, la CCPR reste inexplorée, alors qu’il s’agit d’un événement qui inspira des milliers de participants, qui représentaient en 1970 des millions d’autres. Au début du XXIe siècle, le phénoménal mouvement du changement s’accélère. La transformation des identités des groupes, le changement des formes d’affiliation, l’atomisation, et le détachement caractérisent la vie quotidienne de nombreuses nations. Parce qu’avec ces caractéristiques de l’époque postmoderne, il est problématique de se focaliser sur les groupes pour penser une vision universaliste, nous devrions en conclure que la CCPR représentait la dernière des manifestations publiques de la modernité - au lieu d’y voir le précurseur de notre futur multiculturel. Elle était les deux à la fois, et devint l’événement charnière autour de laquelle s’articule toute la période historique.
[1] Fred Hampton, leader charismatique du Black Panther Party de Chicago, est assassiné dans son appartement par le FBI le 4 décembre 1969 (NdT).[2] Acronyme de "Counter-Intelligence Program", programme de contre-espionnage élaboré par le FBI pour éliminer les militants politiques radicaux des États-Unis. Voir Ward Churchill et Jim Vander Wall, Agents of Repression : The FBI’s Secret Wars Against the Black Panther Party and the American Indian Movement. Boulder, South End Press, 1988 (NdT).[3] Dans Bitter Grain, the Story of the Black Panther Party (Los Angeles, Holloway House, 1980, p. 157), l’auteur Micheal Newton soutient que l’événement analysé dans ce texte n’a jamais eu lieu.[4] Je développe ce concept en relation avec le mouvement autonome (ou Autonomen) en Europe pour indiquer que la foule apparemment spontanée peut avoir une grande intelligence sous-jacente. Voir The Subversion of Politics : European Social Movements and the Decolonization of Everyday Life, Atlantic Highlands, N.J., Humanities Press, 1997.[5] Traduction en grec de Philadelphie (NdT).[6] En vérifiant dans une douzaine des livres d’histoire les plus importants sur les années 1960 aux États-Unis, je me suis rendu compte que dix d’entre eux ne font aucune mention de la CCPR, et les deux autres contiennent seulement de brèves références. A ma connaissance, ce texte est la première tentative de saisir cet événement dans un travail universitaire. Charles Jones, un des historiens les plus éminents du BPP, souligne le fait que les autobiographies des leaders et les analyses des événements sont plus présents dans l’historiographie des Panthères que les comptes-rendus du travail militant de terrain ou les études longitudinales. Le manque de matériau concernant la CCPR montre à quel point elle est oubliée parmi les événements constitutifs du mouvement. Voir Jones, "Reconsidering the Panther History : The Untold History", in Charles Jones (ed.), The Black Panther Party Reconsidered, Baltimore, Black Classic Press, p. 9-10.[7] Du nom d’un célèbre spécialiste étasunien en "opinion publique", Daniel Yankelovich (NdT).[8] En mai 1970, plus de 450 campus étasuniens sont en grève, impliquant plus de quatre millions d’étudiants, afin de dénoncer l’invasion étasunienne du Cambodge (30 avril 1970) et la répression contre les étudiants anti-guerre. C’est la plus grande grève générale étudiante de l’histoire des États-Unis (NdT).[9] Voir Joseph A. Califano Jr., The Student Revolution : A Global Confrontation, New York, W. W. Norton, 1970, p. 64. En mai et juin 1970 a eu lieu la plus importante grève d’étudiants dans l’histoire des États-Unis. Elle vise à dénoncer l’invasion du Cambodge par les États-Unis et le massacre d’étudiants anti-guerre à l’université de Kent State, qui fait quatre morts et plusieurs blessés (NdT).[10] New York Times, 2 janvier 1971.[11] Ghettos latino-américains (NdT).[12] Concept inventé par l’auteur qui le définit comme la "diffusion intuitive de la tactique et des mouvements sans intervention directe d’organisations". Voir le site www.eroseffect.com (NdT).[13] Ce processus est décrit dans Bobby Seale, Seize the time !, Baltimore, Black Classic Press, 1991 [1970].[14] Ibid., p. 62.[15] Une loi adoptée en janvier 1865 promettait aux esclaves affranchis "40 acres et une mule". Mais Andrew Johnson, qui devient président des États-Unis en avril de la même année suite à l’assassinat de Lincoln, refusa de l’appliquer. La mule du gouvernement sera donc une promesse non tenue... (NdT).[16] Voir par exemple Black Panther, 15 août 1970, p. 19.[17] Voir particulièrement Tracye Matthews, "’’No One Ever Asks, What a Man’s Place in the Revolution Is’’ : Gender and Politics of the Black Panther Party, 1966-1971", in Charles Jones (ed.), The Black Panther Party..., op. cit., p. 267-304. Toute la partie sur les dynamiques de genre dans le livre de Jones est excellent.[18] Ce qui signifie la volonté de forger l’alliance de toutes les communautés opprimées pour détruire l’Empire américain et instaurer le communisme (NdT).liste des contrepoints histoire pages 1 - 2 - 3 - 4 - 5Écrire une nouvelle constitution à la façon des PanthèresAvant de discuter les documents spécifiquement produits par la CCPR, quelques mots sur le contexte sont nécessaires. Une semaine avant la réunion à Philadelphie, la police mena un assaut sanglant sur les trois bureaux des Panthères de la ville, arrêtant tous les membres du parti qu’ils ont pu trouver. Les Panthères n’avaient pas accepté leur mort certaine sans se défendre l’arme à la main - c’était leur pratique dans tout le pays - et trois policiers furent blessés dans la fusillade. Peu après, la police força les Panthères hommes à marcher nus dans une rue pendant qu’ils étaient photographiés par la presse. Le Chef de la police Rizzo jubilait d’avoir attrapé les " grands, mauvais Black Panthers le pantalon baissé [19]". Rendu largement publique, l’atmosphère créée par ces événements était pour beaucoup dans l’aura de la CCPR. Russel Shoats, membre des Black Panthers de Philadelphie, raconte que quelques semaines avant la CCPR, le bureau central des Panthères à Okland a clairement fait comprendre aux membres de Philadelphie que même Huey Newton avait " peur de venir à Philadelphie ". Shoats se souvient qu’ils " exprimèrent l’opinion selon laquelle la police raciste de Philadelphie serait prête à essayer de l’assassiner pendant la séance de préparation de la convention constitutionnelle du peuple révolutionnaire [20]".La tension et l’anxiété étaient les compagnons de route de tous ceux qui entreprenaient le voyage à Philadelphie, particulièrement pour Newton. Depuis 1967, la campagne " Free Huey " avait mobilisé et rassemblé des groupes divers à travers tout le pays (et le monde). Peu d’années après sa fondation en 1966 (durant lesquelles Newton resta en prison), le BPP devint " l’organisation révolutionnaire la plus influente aux États-Unis [21]". Plus inquiétant, John Edgar Hoover les étiqueta comme la plus grande menace à la sécurité intérieure du pays. Le FBI et les départements de police locaux ont mené des assauts dans les bureaux des Panthères à travers tout le pays. Comme la police assassinait les Panthères, détruisait leurs bureaux, et arrêtait des centaines d’entre eux, une réaction contre le FBI s’organisa non seulement dans la communauté noire mais aussi parmi tous les groupes minoritaires, des millions d’étudiants, et la contre-culture radicalisée - tous ceux qui sont descendus à Philadelphie pour soutenir les Panthères. Comme la planète fut secouée par un soulèvement global en 1968, les Panthères étaient les mieux positionnés (comme les plus opprimés dans ce que Che Guevara appelait " le cœur de la bête ") pour incarner les aspirations globales pour transformer le système-monde en entier. Les délégués des groupes noirs locaux et d’une variété d’organisations - le American Indian Movement, les Brown Berets, les Young Lords, I Wor Keun (un groupe Asiatique-Américain), Students for a Democratic Society (une organisation national d’étudiants d’au moins 30000 membres), le nouvellement créé Gay Liberation Movement, et beaucoup de groupes féministes - tous considéraient le BPP comme une source d’inspiration et une avant-garde. Cette alliance extraordinaire était constitutive de la CCPR, et ils furent capables d’unifier et de développer leur future orientation. Ce qui est le plus remarquable, c’est que cette assemblée diverse ait été capable de mettre par écrit leur vision d’une société libre.Malgré les actions de la police visant à faire peur aux gens de l’extérieur de Philadelphie, des millions de personnes sont venues. Plusieurs estimations existent, aucune ne prétend être définitive. Hilliard dit qu’il y en avait 15000 [22] ; le journal des Panthères utilisait des nombres entre 12000 et 15000 [23] ; le chercheur en sciences sociales G. Louis Heath affirme que les séances plénières des 5 et 6 septembre ont attiré de 5000 à 6000 personnes (dont 25 à 40% étaient blanches) mais il ne compte pas les milliers d’autres qui étaient à l’extérieur et ne pouvaient pas entrer [24]. Le New York Times déclara qu’il y avait 6000 personnes à l’intérieur et 2000 à l’extérieur (dont environ la moitié étaient blanches) [25] ; et le Washington Post, suivant probablement le Times, parlait plus tard de 8000 [26]. Les gens venaient de tout le pays, et des groupes assemblés spontanément louèrent des bus. Certains ont signalé que, dans au moins deux villes, ces bus avaient été soudainement annulés sans explication, obligeant les personnes à improviser du covoiturage. Une file de trois voitures contenant vingt-deux personnes de l’Est de Saint-Louis fut arrêtée et elles furent inculpées pour port d’arme illégal, et au moins une Panthère de New York fut arrêtée sur la route de Philadelphie [27]. Des organisations et des délégués de Floride et de Caroline du Nord firent grande impression, comme les représentants des mouvements de libération d’Afrique, de Palestine, d’Allemagne, de Colombie, et du Brésil [28].Quand nous sommes arrivés, au lieu d’affronter la répression policière comme nous nous y attendions, nous avons trouvé des maisons d’Africains-Américains grandes ouvertes, leurs églises d’accueillants refuges, et les rues vivantes avec une solidarité hautement " érotique ". On pouvait lire sur les vitrines " WELCOME PANTHERS ", et cinq drapeaux flottaient à l’extérieur du bâtiment qui abritait la convention : il y avait, en ordre descendant, le drapeau des Panthères ; le drapeau du Front de libération national du Sud Vietnam ; le drapeau vert, noir et rouge du nationalisme noir ; le drapeau Yippie (une feuille de marijuana sur fond noir) ; et le drapeau du Che Guevara. Évidemment, les Panthères ont abattu énormément de travail d’organisation pour l’événement, la nourriture étant fournie pour de nombreuses personnes. Contrairement à ce que disent certains écrits, l’expropriation armée était une tactique que le BPP employait pour nourrir tout le monde. Russel Shoats raconte comment un camion frigorifique de quinze tonnes contenant des tonnes de viande congelée avaient été réquisitionné et déchargé le jour même que des équipes de Panthères braquaient une banque [29].Certains membres du parti préparaient et menaient la lutte armée, pendant que d’autres organisaient la séance de préparation de la CCPR. Les 8 et 9 août, le groupe organisateur se rencontra à Howard University. Étaient présents des représentants des mères bénéficiant de l’aide sociale, des docteurs, des avocats, des journalistes, des étudiants, des ouvriers agricoles, des greasers [30] de Chicago, des Latino-Américains, des lycéens, des gays, et des individus concernés [31]. Simultanément, la communauté noire de Philadelphie s’est unifiée pour soutenir la convention. Après les assauts de la police, les bureaux des Panthères ont été scellés, mais les gens leur ont ouvert leurs portes de leur propre initiative. Le journal des Panthères rapportait : " Au Nord de Philadelphie, deux gangs rivaux ont conclu une trêve. (…) Ils étaient 200-300 hommes forts, et quand quinze voitures de police remplies de porcs s’en allèrent vers eux et leur demandèrent qui leur avait donné la permission d’ouvrir les bureaux, leur réponse était ’’le peuple’’, et la police devait baisser la tête plutôt que subir les foudres de personnes en colère et armées [32]".Les inscriptions du vendredi et du samedi matin eurent lieu sans accroc avec la police, et plus tard le samedi, les gens se rassemblèrent pour la séance plénière. Au sein du McGonigle Hall de la Temple University, où les séances plénières avaient lieu, prévalait une atmosphère vivante et festive. Nous avions gagné. La police avait été incapable de nous arrêter. Des vagues de personnes arrivaient rapidement, le hall atteint le maximum de ses capacités, et il fallait anticiper. Le service de sécurité des Panthères indiqua aux orateurs qu’ils pouvaient commencer. Soudainement, des centaines de gays entrèrent dans le balcon supérieur, chantant et tapant des mains en rythme : " Gay, gay power to the gay, gay people ! Power to the People ! Black, black power to the black, black people ! Gay, gay power to the gay, gay people ! Power to the People ! " Tout le monde se leva et se joigna à eux, répétant le refrain et utilisant leurs adjectifs respectifs : Red, Brown, Women, Youth et Student. (Bien que le BPP soutenait officiellement le slogan " white power for white people " comme les autres " pouvoirs ", la foule du gymnase n’alla pas jusque-là).Le premier discours était prononcé par Michael Tabor, un jeune membre du parti qui avait écrit un pamphlet intitulé " Capitalisme + Drogue = Génocide " et était un des vingt-et-un accusés de conspiration à New York. Comme Newton, Tabor avait été libéré sous caution peu de temps avant. Quelquefois brillant et toujours charismatique, Tabor parla plus de deux heures. Il souligna à quel point la constitution actuelle était insuffisante et avait fonctionné historiquement pour exclure et opprimer " 240000 domestiques, 800000 esclaves noirs, 300000 Indiens, et toutes les femmes, sans parler des minorités sexuelles [33]". L’esprit vif et analytique de Tabor s’en prit aussi à d’autres illusions. A un moment, il lista les politiques et les actions du gouvernement étasunien et nous rappela que le président d’alors Richard Nixon, qui venait d’envahir le Cambodge et bombardait quotidiennement le peuple du Vietnam, " faisait passer Adolf Hitler pour un homme de paix ". Son éloquence oratoire s’interrompit soudainement quand il leva une main en l’air et montra comment le poing - symbole du mouvement radical - devait être remplacé par le pouce et l’index formant une arme. A la suite de Tabor, il y avait d’autres orateurs dont Audrea Jones, leader des Panthères de Boston, et l’avocat Charles Garry, le conseiller juridique de Newton et Seale (alors en prison). D’une certaine façon, la pause entre les séances était suivie sans dépassement et euphorique en même temps. Dans les rues entourant le McGonigle Hall, Muhammad Ali, un participant " ordinaire ", serrait des mains, signait des autographes, et disait des mots d’encouragement pendant que d’autres parlaient avec de vieux amis, s’en faisaient de nouveaux ou cherchaient une place. Pendant ce temps, des centaines de personnes discutaient de la prochaine tâche à faire : écrire une nouvelle constitution des États-Unis. La jubilation allait de pair avec l’esprit critique, mais on retrouvait nulle part de la peur ou de la résignation.Cette nuit, Huey Newton est finalement apparu. Sorti de prison seulement le 5 août (exactement un mois avant la CCPR), il était un étranger pour pratiquement tout le monde. Ils avaient manifesté pour sa libération, lu ses écrits, et suivi son procès, mais peu d’entre eux l’avaient entendu parler. Nous avions mis tellement d’énergie pour organiser sa libération que le fait qu’il puisse venir était en lui-même vu comme le fruit de notre travail, comme une victoire du mouvement. Même pour " beaucoup de membres du [Black Panther] Party de la côté Est, il s’agissait d’une opportunité d’entendre et de voir l’homme qu’ils ont inlassablement cherché à libérer. Pour beaucoup des militants de base, assister à la séance plénière était une sorte de célébration de leur victoire [34]". Transportés par notre tout nouveau pouvoir dans une atmosphère politique chargée, nos attentes vis-à-vis de l’éloquence du discours de Newton étaient stratosphériques. Durant son mois de liberté, il avait été très occupé, proposant aux troupes du Front de libération national et du gouvernement révolutionnaire provisoire du Sud-Vietnam de les "assister" dans leur "lutte contre l’impérialisme américain" [35] et écrivant un article dans le journal des Panthères qui soutenait complètement la libération des gays [36]. Il avertissait les hommes que s’ils avaient un problème pour considérer les homosexuels comme des égaux, c’était un signe de leur propre insécurité masculine. Dans une autre déclaration publique, il insistait sur l’importance d’une alliance avec le mouvement de libération des femmes. Il était le Commandant suprême des Panthères, un titre modifié plus tard par Serviteur suprême du peuple, et ses ordres à respecter les gays et les féministes étaient essentiels pour notre unité. La présence de Newton électrisa la foule débordante. Même si le hall était complètement plein, des milliers de personnes à l’extérieur cherchaient à entrer. La situation resta sous contrôle seulement grâce à l’action du service d’ordre et à la promesse que Newton allait parler deux fois [37]. (Le lieu de son second discours, la Church of the Advocate, contenait 2500 personnes et plus à l’extérieur). Quand Newton arriva finalement au McGonigle Hall, il avança à grands pas sur la tribune entouré d’une équipe chargée de sa sécurité, et le silence s’imposa sur la foule sans qu’on l’ait demandé.Huey était le héros de tous, mais une fois qu’il prit le micro, nous étions stupéfaits de découvrir qu’il n’était pas un orateur charismatique. Avec une voix au ton élevé, presque plaintive, il s’étendit sur l’histoire des États-Unis, utilisant des arguments analytiques abstraits :" L’histoire des États-Unis, distinguée de la promesse des États-Unis, nous amène à la conclusion que notre souffrance est fondamentale pour le fonctionnement du gouvernement des États-Unis. Nous voyons cela quand nous mettons en lumière les contradictions fondamentales de l’histoire de cette nation. Le gouvernement, les conditions sociales et les documents légaux qui assurent la liberté contre l’oppression, qui permettent la dignité humaine et les droits humains à une partie de la population de cette nation, ont des conséquences complètement opposées pour une autre partie de la population" [38].Une fois qu’il eut terminé, notre déception était palpable et, en retour, il dit que nous n’étions pas prêts pour la pensée analytique. " Ils ont accroché aux slogans et au parler révolutionnaire d’Eldridge Cleaver " dit Huey à Hilliard immédiatement après son discours [39]. A l’insu des milliers de participants, Newton et Hilliard étaient complètement détachés de ce qu’ils appelaient la " fausse convention constitutionnelle ". Après le discours, incapables de s’entendre avec l’équipe de sécurité, les deux leaders des Panthères les plus importants quittèrent les réunions et allèrent faire la fête dans la maison d’un inconnu [40]. Newton n’apparut jamais à la Church of the Advocate.Le jour suivant, les gens se séparèrent en groupes de travail en vue de formuler et de discuter les propositions de nouvelle constitution. En seulement quelques heures, les représentants de toutes les composantes majeures du mouvement révolutionnaire se réunirent en petits comités pour un brainstorming et discuter des pistes de réflexion pour atteindre l’objectif d’une société plus libre. La forme des réunions était légèrement différente de celle de 1787. Chaque atelier était mené par des membres des Panthères. Ils coordonnaient aussi le personnel de sécurité qui assurait un environnement de travail sans troubles. Les Panthères avaient empêché la présence des médias, de peur qu’elle ne perturbe le bon déroulement des réunions. Tandis que de nombreux journalistes se plaignaient d’être exclus de la plénière et des ateliers, l’espace créé par l’absence des médias était trop précieux pour le sacrifier à la publicité. C’était le moment pour le mouvement de parler à lui-même. Les groupes avaient rarement communiqué entre eux avec une telle combinaison de passion et de raison. Les uns après les autres, les participants se levaient et parlaient avec émotion de leurs attentes et de leur désir, de la souffrance et de l’oppression. Comme si le toit s’était détaché du plafond, les imaginations l’élevèrent à mesure que nous nous envolions vers notre nouvelle société. L’effet synergique obligeait chacun d’entre nous à articuler nos pensées avec éloquence et simplicité, et le refrain du " Right on ! ", qui concluait la contribution de chacun, signalait aussi qu’il était temps de laisser la parole à un autre. Une Panthère non identifiée décrit plus tard comment même les enfants n’avaient pas été turbulents : " Les enfants se comportaient pendant trois jours comme des adultes, infectés par une sorte de mauvaise sobriété ". Le même auteur promettait : " Il va y avoir une révolution en Amérique. Sérieusement, elle va bientôt commencer. (…) Le fait d’avoir cru en une seconde révolution américaine avant Philadelphie était la preuve d’une foi historique et essentielle : ne pas croire en un monde nouveau après Philadelphie, c’est abandonner l’esprit humain" [41]. En décrivant les ateliers, elle/il continuait :" Les masses noires analphabètes et quelques étudiants instruits étaient en train d’écrire finalement la nouvelle constitution. (…) Les étudiants aristocrates menées par les femmes, et les petits frères des rues, étaient en train de l’écrire. Ainsi il y avait les réunions des premières propositions, animées brillamment par des " intellectuels armés " des Panthères. (…) Dans les écoles et les églises - les structures rationnelles du passé - les ateliers subversifs du futur se réunissaient pour mettre en discussion les obsessions personnelles des intellectuels aristocrates et les espérances enthousiastes des damnés" [42].Comme le temps consacré aux ateliers de travail arriva à sa fin, chaque groupe désigna des porte-paroles chargés de mettre par écrit ce qui avait été dit et de présenter nos idées à la seconde séance plénière.Comme le montrent clairement les documents, les différences de points de vue étaient parfois tout simplement laissées intactes plutôt qu’aplanies pour essayer d’imposer la ligne du parti. Dans des conditions " normales ", une telle diversité d’individus, qui formaient des groupes allant jusqu’à 500 personnes, aurait provoqué des batailles oratoires (voire pire), alors que les documents produits par les ateliers offraient la vision enthousiasmante d’une société plus juste et plus libre qui n’avait jamais existé. En plus d’une déclaration internationale des droits pour la redistribution des richesses du monde, il y avait des appels à interdire la fabrication et l’usage des armes génocidaires, ainsi qu’à mettre un terme à l’armée de métier et la remplacer par " un système de milices du peuple, entraînées aux techniques de guérilla, sur la base du volontariat et constituées d’hommes et de femmes ". La police doit consister en " un corps volontaire, non-professionnel et fonctionnant en roulement, coordonné par le Conseil de surveillance de la police, composé de volontaires de chaque communauté qui sont remplacés toutes les semaines. Le Conseil de surveillance de la police, sa politique, ainsi que la direction de la police, doivent être choisis par un vote populaire majoritaire de la communauté ". Les délégués exigeaient la fin de la conscription, l’interdiction de dépenser plus de 10% du budget national pour l’armée et la police - ce financement pouvant être annulé ou modifié par un vote majoritaire lors d’un référendum national - et la représentation proportionnelle des minorités et des femmes (deux réformes démocratiques absentes de la Constitution des États-Unis). Les ressources des universités devaient être orientées vers les besoins des peuples du monde, et non ceux des militaires et des entreprises ; les milliards de dollars des organisations criminelles devaient être confisqués ; on devait instituer un système de santé gratuit et décentralisé, le partage du travail domestique entre hommes et femmes, l’incitation à des alternatives à la famille nucléaire, " le droit d’être gay, n’importe quand, n’importe où ", des droits accrus et le respect des enfants, le contrôle communautaire des écoles, et le pouvoir des étudiants, incluant la liberté de s’habiller comme on le souhaite, la liberté d’opinion et d’assemblée. Bien qu’il y ait un paragraphe dans lequel homme et il étaient utilisés, le tout premier rapport des ateliers contenaient l’obligation de toujours remplacer le mot homme par être humain (people) afin d’" exprimer notre solidarité avec l’auto-détermination des femmes et nous défaire une fois pour toutes des rémanences de la suprématie masculine ". Comme le BPP résumait une semaine plus tard :" Pris dans son ensemble, ces rapports fournissent la base pour la Constitution la plus progressive de l’histoire du genre humain. Tout le peuple contrôlerait les moyens de production et les institutions sociales. La représentation proportionnelle est garantie aux peuples noirs et du Tiers-monde ainsi qu’aux femmes. Le droit à l’auto-détermination nationale est garanti à toutes les minorités opprimées. Est affirmé le droit à l’auto-détermination sexuelle des femmes et des homosexuels. L’armée de métier doit être remplacée par des milices populaires, et la Constitution doit inclure une déclaration internationale des droits interdisant l’agression et l’intervention des États-Unis dans les affaires internes des autres nations. (…) L’actuel système judiciaire raciste doit être remplacé par un système de tribunaux populaires où chacun doit être jugé par un jury de pairs. Les prisons doivent être remplacées par des programmes de réhabilitation communautaire. Le logement approprié et un système de santé doivent être considérés comme des Droits Constitutionnels. Les drogues libérant l’esprit (" mind expanding drugs ") doivent être légalisées. Ce ne sont que quelques éléments de la nouvelle Constitution" [43].Dans la société dans son ensemble : racisme, patriarcat, et homophobie. A la CCPR : solidarité, libération, et célébration de la différence. A partir de cette position avantageuse, la CCPR fournit un aperçu d’une rupture avec la vie " normale ". Elle préfigurait la forme de système international qui était conçue comme la mieux à même de remplacer le système actuel fondé sur des États-nations militarisés et des entreprises transnationales avides de profit. L’universitaire Nikhil Pal Singh avait noté que la CCPR " était une tentative étonnante d’imaginer des formes alternatives de liens de parenté et de communauté. Autrement dit, la politique de libération, telle que les Panthères l’ont inaugurée et exemplifiée, était moins fondée sur la défense d’une identité réifiée que sur le désir de fracturer un espace singulier, hégémonique, en imaginant la libération des nombreux espaces symboliques au sein du territoire (national), du corps aux rues, en passant par une partie de la ville et l’esprit lui-même" [44].La déclaration internationale des droits de la Constitution de Philadelphie était une indication à quel point la légitimité du patriotisme était remise en cause. Structurellement située au centre du système-monde, l’imagination du mouvement populaire dessinait les contours d’un monde nouveau - pas seulement d’une nation. La double aspiration du mouvement global de 1968 - internationalisme et autogestion - était incarnée dans ces documents. Le terme autogestion (" self-management ") n’est peut-être pas utilisé dans ces documents, mais sa version étasunienne, contrôle communautaire (" community control ") était utilisé en référence aux écoles, à la police, au contrôle des femmes sur leur corps, à plus d’autonomie pour les enfants, les étudiants et la jeunesse. Nous ne voulions pas créer un paradis, mais plutôt atténuer la force des structures de domination (police, racisme, autoritarisme patriarcal, armée) qui étaient la source de notre servitude. Nous cherchions à aller au moins à mi-chemin du paradis, pleinement conscient que nous ne serons jamais absolument libre. Si nous continuons à viser le mi-chemin du paradis, sans jamais l’atteindre, nous l’avons néanmoins approché.Trente ans plus tard, la CCPR peut être considérée comme le premier rassemblement national de la coalition arc-en-ciel (" Rainbow Coalition "), lancée par Fred Hampton à Chicago et popularisée par les campagnes présidentielles de Jesse Jackson. Mais elle ne doit pas être confondue avec la politique électorale, bien qu’au sein de cette sphère limitée, l’idée de la représentation proportionnelle, introduite par la Convention de Philadelphie, est depuis devenue une partie intégrante des réflexions des groupes qui cherchent à mieux organiser les États-Unis [45]. De plus, le concept de référendum national, élément de la constitution produite spontanément, semble être une excellente innovation dont la présence dans la constitution aurait signifié la fin rapide de la guerre du Vietnam.Quelques propositions apparaissent aujourd’hui farfelues, en particulier celles relatives aux drogues. Après avoir appelé à l’" éradication " des drogues dures " par tous les moyens nécessaires " et l’aide aux personnes dépendantes de la drogue, l’atelier sur l’autodétermination du peuple des rues arriva à la conclusion suivante : " Nous reconnaissons que les drogues psychédéliques (acide, mescaline, herbe) sont importantes pour développer la conscience révolutionnaire du peuple. Cependant, après que la conscience révolutionnaire ait été obtenue, ces drogues peuvent devenir des fardeaux. Aucune action révolutionnaire ne devrait être menée sous l’influence de n’importe quelle drogue. Nous recommandons la légalisation de ces drogues. Et si elles ne devaient pas être légalisées, il ne devrait pas y avoir de loi contre elles ".Significativement, la position de la CCPR sur les drogues montre pratiquement que la liberté des individus faisait partie des aspirations du groupe mené par les Panthères ; que cette impulsion, qui apparaît pour certains ne concerner que les minorités, formulait en fait des intérêts universaux. Personne ne devrait ne pas tenir compte ou banaliser la question de la drogue. En tant que véhicule symbolique de l’imposition de la domination de classe et de l’hégémonie culturelle, elle touche des centaines de milliers de personnes quotidiennement. En 1997, un homme sur trois emprisonné à New York était condamné pour une affaire de drogue ; au niveau national, cela touche six femmes sur dix ; et en Californie, un homme sur quatre incarcérés dans les prisons d’État (et quatre femmes sur dix) l’est pour une affaire de drogue [46]. Selon le FBI, il y eut 682885 arrestations liées à la drogue en 1998, dont 88% pour possession et non pour vente ou fabrication, et depuis que Clinton est devenu président, plus de 3,5 millions de personnes ont été arrêtées en lien avec la drogue [47]. Compte tenu de la faillite abyssale du système existant pour mener une " guerre contre les drogues " efficace, de l’enrichissement continuel des organisations criminelles et des opérations menées et couvertes par la CIA, de l’irrationalité du statut juridique de l’alcool et des cigarettes comparé à l’illégalité de la marijuana, et tandis que des milliers d’usagers se morfondent en prison, le jugement de l’Histoire prouve que les politiques préconisées par la CCPR étaient plus sensées et prudentes que celles qui sont en place aujourd’hui [48]. Dans deux lieux européens où apparemment l’on n’avait jamais entendu parler de la CCPR, la position des Panthères sur les drogues est restée essentiellement inchangée : dans les années 1970, parmi la jeunesse italienne connue sous le nom de Metropolitan Indians, et plus de trente ans plus tard à Christiana, une communauté contre-culturelle à Copenhague [49].Les Panthères continuèrent à attaquer les dealers d’héroïne, confisquant leur argent et nettoyant leur planque après les avoir avertis plusieurs fois publiquement. Dans une des actions les plus audacieuses entreprises par les activistes du mouvement, H. Rap Brown a été capturé par la police, coincé qu’il était sur le toit d’un club fréquenté par de grands dealers - un lieu de prédilection que lui et d’autres cherchaient à fermer. Ron Brazao, en cavale depuis la perquisition en 1970 du Comité de défense des Panthères de Cambridge (Massassuchets), est tué dans une fusillade avec un dealer de Marin (Californie) en 1972. D’autres d’exemples similaires mène à l’inévitable conclusion que la guerre du mouvement contre les drogues dures a coûté beaucoup trop de vies.[19] David Hilliard et Lewis Cole, This Side of Glory : The Autobiography of David Hilliard and the Story of the Black Panther Party, Boston, Little, Brown, 1993, p. 312.[20] Russel Shoats, mémoire non publié.[21] Mannig Marable, Race, Reform and Rebellion : The Second Reconstruction in Black America, Jackson, University Press of Mississipi, 1971, p. 110.[22] Hilliard et Cole, op. cit., p. 313.[23] Black Panther, 19 septembre et 31 octobre 1970.[24] G. Louis Heath (ed.), Off the Pigs ! The History and Literature of the Black Panther Party, Metuchen, N.J., Scarecrow Press, p. 186-187.[25] "Newton, at Panther Parley, Urges Socialist System", New York Times, 6 septembre 1970, p. 40 ; Paul Delaney, " Panthers Weigh New Constitution ", New York Times, 7 septembre 1970, p. 13.[26] Washington Post, 27 novembre 1970.[27] New York Times, 6 septembre 1970, p. 40.[28] Kit Kim Holder, The History of the Black Panther Party, 1966-1972, thèse de doctorat, Université du Massassuchets, 1990, p. 131.[29] Shoats, mémoire cité. Le fait que la lutte armée était assumée par le BPP - incluant Huey Newton - peut être vérifié par leur réaction à la prise d’otages dans une court de tribunal à Marin, Califormie, le 7 août 1970, une action qui a coûté de nombreuses vies. La relation et l’articulation de ces niveaux de lutte restent une problématique non résolue dans les mouvements radicaux. Pour une discussion de ce point, voir Katsiaficas, Imagination of the New Left, op. cit., p. 182.[30] Né dans les années 1950, le terme " greaser " désigne la sous-culture de la jeunesse de la classe ouvrière issue des gangs du Nord-Est des États-Unis. " Grease " signifie " graisse ". Ces jeunes avaient une coupe de cheveux distinctives, ils se coiffaient avec du gel et autres cosmétiques (NdT).[31] Black Panther, 22 et 29 août 1970.[32] Black Panther, 19 septembre 1970.[33] " Not to Believe in a New World after Philadelphia Is a Dereliction of the Human Spirit ", article non signé, Black Panther, 26 septembre 1970, p. 17.[34] Holder, The History..., op. cit., p. 131.[35] Voir son " Letter to the National Liberation Front of South Vietnam (with Reply) ", in George Katsiaficas (ed.), Vietnam Documents : American and Vietnamese Views of the War, Armonk, N.Y., Sharpe, 1992, p. 133-136.[36] Black Panther, 21 août 1970, p. 5.[37] Holder, The History..., op. cit., p. 132.[38] "Huey’s Message to the Revolutionary People’s Constitutional Convention Plenary Session", 5 septembre 1970, Philadelphie, archives de l’auteur.[39] Hilliard et Cole, op. cit. , p. 313.[40] Ibid. , p. 314.[41] "Not to Believe in a New World", op. cit. , p. 19.[42] Ibid. , p. 20.[43] "The People and the People Alone Were the Motive Power in the Making of the History of the People’s Revolutionary Constitutional Convention Plenary Session ! ", Black Panther, 12 septembre 1970, p. 3.[44] Nikhil Pal Singh, "The Black Panthers and the ’’Undeveloped Country’’ of the Left ", in Jones, op. cit., p. 87.[45] Voir Douglas Amy, Real Choices/New Voices : The Case for Proportional Representation Elections in the United States, New York, Columbia University Press, 1993.[46] Laurie Asseo, "Study Ties Drug War, Rise in Jailed Women ", Boston Globe, 18 novembre 1999, p. A18.[47] Chris Bangert, "Marijuana : The Hemp of the Past and the ’’Drug’’ of the Present", texte non publié, Brewster, Mass., 1999.[48] Coûtant des milliards de dollars par an et des dizaines de milliers prisonniers condamnés pour des crimes qui ne font pas de victime, la politique actuelle se poursuit après des décennies de preuves de l’implication de la CIA dans le trafic d’héroïne en Asie du Sud-Est et le trafic de cocaïne en Amérique latine, ainsi que de l’existence d’un " pipe-line " directement connecté entre les Contras et le ghetto de Watts (Sud de Los Angeles), comme l’a révélé le journal San Jose Mercury-News. Comme des profits énormes sont continument générés par le statut illégal de certaines drogues, le contrôle du trafic de drogue par " le gouvernement dans le gouvernement " est une source de financement majeure pour couvrir des opérations secrètes cachées au grand public et au Congrès. Pour comprendre cette dynamique, on peut commencer par lire Leslie Cockburn, Out of Control : the Story of the Reagan Administration’s Secret War in Nicaragua, the Illegal Arms Pipeline, and the Contra Drug Connection, New York, Atlantic Monthly Press, 1987. Voir aussi Alfred McCoy, The Politics of Heroin : CIA Complicity in the Global Drug Trade, New York, Lawrence Hill, 1991.[49] Pour plus d’informations sur ces groupes, voir Katsiaficas, Subversion of Politics, op. cit.[50] En effet, si la presse continuait à rendre compte des actes spontanés de rébellion comme elle le faisait dans les années 1960 - et tout prouve à croire que les médias ne le font pas - il est tout à fait probable qu’avec la multiplication des télévisions et des satellites, l’impact international des émeutes, des grèves générales, des insurrections, des occupations massives de l’espace public - autant d’armes à la disposition des mouvements populaires - aurait eu un effet encore plus important.[51] Floyd W. Hayes III et Francis A. Kiene III, " ’’All Power to the People’’ : The Political Thought of Huey P. Newton and the Black Panther Party ", in Jones, op. cit., p. 157-173.[52] Voir Black Panther, 13 juin 1970, p. 14. Cleaver insiste sur le fait que la CCPR était " en fait la mise en oeuvre du point 10 de la plate-forme et du programme du Black Panther Party".[53] Hilliard et Cole, op. cit., p. 308.[54] Ibid., p. 317.[55] Ivan C. Brandon, " Panthers Seek Site for Talks : Negotiations with Howard Broken Off ", Washington Post, 27 novembre 1970, p. C1.[56] Ibid.[57] Elaine Brown, A Taste of Power : A Black Woman’s Story, New York, Anchor, 1992, p. 351.[58] Le rapport ajoute qu’il faut remplacer le terme "mankind" par "humanity", mais on ne retrouve pas ce problème en français (NdT).[59] Dont la prévalence est de 10% chez les Africains-Américains (NdT).
Intégralité du texte et les rapports des ateliers sur le site acontresens
Messages
1. Le Black Panther Party et de la Convention constitutionnelle du peuple révolutionnaire, 13 janvier 2009, 20:06, par i
Je crois que tout ce mouvement alternatif est née de la guerra imperialiste contre le Viet-Nam,,ses efectos ont été enormes !!La conciencia sociale a niveau mondial s’avait
"cristalisé" mais l’imperialisme avait aprit cette leçon et on voit aujourd’hui la terrible guerra en Irak,Afganithan et méme en Palestine,est une guerra "desinformada"Los medios de comunication son aussi un pouvoir (le quatreime) et ça empeche de developper au peuple son sentiment d’appartenence et de devenir combattante des ses droits.
Souvenez-vous 68 France 70 Les Pantheres noir 72 Chile 73 Mexique Argentine Uruguay Peru pareil en Asie......la histoire de la revolte était inmmense HISTORIQUE en la mayorité de cas elle se avait fini
en sang et mort de milliers de combattantes.!!!!La gauche n"ai éte capable de se lever ancore !!et las diections politiques ne sont pas representantes du peuple si non de clase moyen,la oû on mort les souhaites les plus fondamentaux ...LA LIBERTE !!!!