Accueil > Le Maghreb, espace d’immigration,

Le Maghreb, espace d’immigration,

Publie le vendredi 15 décembre 2006 par Open-Publishing

zpajol] Le Maghreb, espace d’immigration, par Catherine Simon Voir l’en-tête complet
Return-Path :

Analyse

Le Maghreb, espace d’immigration, par Catherine Simon

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-845563,0.html

LE MONDE | 14.12.06 | 14h38 € Mis à jour le 14.12.06 | 14h39

C’est un phénomène nouveau : de plus en plus de migrants africains
subsahariens arrivent sur le sol maghrébin et, faute de pouvoir franchir les
portes d’une Union européenne qui tente de verrouiller ses frontières, s’y
installent. Le géographe algérien Ali Bensaâd a organisé, début novembre à
Marseille, un colloque sur ce sujet sous l’égide de l’Institut de recherches
et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam, université de Provence).
L’occasion de voir apparaître une nouvelle vague de chercheurs algériens,
tunisiens et marocains qui s’intéressent aux migrations transsahariennes.
Aux yeux de M. Bensaâd, la période qui s’ouvre est une "aubaine" pour la
recherche maghrébine.

Une fois n’est pas coutume, la plupart des intervenants au colloque de
Marseille étaient originaires de la rive sud de la Méditerranée, rompant,
par leurs contributions parfois novatrices, avec un débat hexagonal souvent
borné par son caractère académique ou militant. L’évolution des migrations
n’intéresse pas seulement l’Union européenne, comme le miroir déformant des
événements de Ceuta et Melilla, à l’automne 2005, a pu le laisser penser.
Pour le Maghreb aussi, l’enjeu est d’importance.

On estime à "au moins 100 000" le nombre de migrants subsahariens qui vivent
aujourd’hui en Algérie et en Mauritanie, à "un million, voire un million et
demi" ceux qui sont installés en Libye, et à "plusieurs dizaines de
milliers" - un chiffre plus limité, mais en "augmentation" constante -, ceux
qui se trouvent au Maroc et en Tunisie, a rappelé Hein de Haas (université
d’Oxford), dans un article récemment publié sur le site du Migration Policy
Institute de Washington.

C’est en Tunisie et au Maroc, au début des années 2000, que les premiers
projets de recherche sur ce sujet ont été lancés. Aux travaux des pionniers
maghrébins, Hassan Boubakri pour la Tunisie, Mehdi Lahlou ou Abelkrim
Belgendouz pour le Maroc, s’ajoutent aujourd’hui ceux de la juriste
tunisienne Monia Benjemia (université de Tunis) - qui a présenté, à
Marseille, une analyse de la loi tunisienne de 2004 sur "la répression des
migrations clandestines" dans son pays - ou du jeune sociologue marocain
Mehdi Alioua (université de Toulouse Le Mirail), pour qui l’installation de
ces migrants subsahariens "induit de nouvelles définitions de soi et donc de
nouvelles hiérarchies sociales" au sein des sociétés d’accueil.

Un accueil souvent rude, comme le démontre l’enquête réalisée à Alger par le
psychologue Noureddine Khaled (université d’Alger) : 30 % des immigrés
interrogés pensent qu’on les considère comme des gens "misérables", près de
20 % comme des "esclaves" et 12 % comme des "sous-hommes". Cette étude est
"une première au Maghreb", souligne M. Khaled, dans la mesure où,
"jusque-là, c’est surtout le volet sécuritaire et policier" qui était mis en
avant.

Au-delà de cette enquête, qui fait partie d’un programme financé par l’Union
européenne, "il s’agit de sensibiliser les immigrés sur les risques du
voyage et les autochtones sur cette présence qui va être de plus en plus
importante et fixe", prédit l’universitaire algérien.

Si la présence de ces migrants est devenue un "fait d’évidence sociale" dans
la plupart des grandes villes du Maghreb, elle n’en reste pas moins un sujet
"tabou", souligne la médecin-psychiatre marocaine Ghita El Khayat. Au même
titre, avance-t-elle, que la traite négrière et les "atrocités" qui l’ont
accompagnée, et que les sociétés arabes, "extrêmement racistes et
xénophobes", continuent à " refuser de reconnaître". Le sociologue algérien
Salah Ferhi (université du Québec à Montréal) a étudié la répartition du
travail dans la ville algérienne de Maghnia, située près de la frontière
marocaine : les immigrés, originaires du Mali et du Sénégal pour la plupart,
vivent en "ghettos" et sont utilisés dans l’agriculture ou le bâtiment,
tandis que "les locaux font de la contrebande, activité nettement plus
lucrative".

CYNISME POLICÉ DE L’EUROPE

Selon M. Ferhi, "entre janvier 2002 et la fin du premier semestre 2006,
autour de 35 000 Subsahariens ont été reconduits aux frontières" par les
forces de l’ordre. Le chercheur algérien s’étonne, d’ailleurs, de la
volte-face des pays européens, qui, dans le passé, ont "critiqué les
refoulements" d’immigrés africains et qui, désormais, "payent les pays du
Maghreb pour le faire".

Au cynisme policé de l’Europe, le Maghreb opposerait une forme de
"résistance", relève Ali Bensaâd, tant il est "convaincu de constituer une
zone de transit vers l’Europe et de recevoir des migrants dont il n’est pas
le destinataire", explique la juriste Delphine Perrin (Iremam). Pour M.
Bensaâd, à qui l’on doit les premières enquêtes de terrain sur les
migrations transsahariennes dans le Sud algérien, "l’effet de nasse" qui
caractérise la situation des migrants noirs africains immobilisés au Maghreb
 du fait, notamment, de la politique de fermeture des frontières de l’Union
européenne -, est en train de transformer l’Afrique du Nord "en espace
d’immigration".

C’est le cas de la Libye, qui reste hélas peu accessible. Les seules
informations dont on dispose, tirées des rapports des délégations de la
Commission et du Parlement européens, envoyées en mission dans ce pays,
laissent entrevoir les conditions, parfois épouvantables, faites aux
migrants subsahariens. L’ampleur des pogroms anti-Noirs, dont la République
du colonel Mouammar Kadhafi a été le théâtre en septembre 2000, reste à ce
jour encore difficile à mesurer : les estimations les plus basses font état
de "50 morts environ", les plus hautes évoquent "entre 100 et 500 tués"
parmi les immigrés africains.

Habitué à n’avoir qu’un seul axe de confrontation, celui qui le lie au Nord
et l’en sépare tout à la fois, le Maghreb va devoir changer son regard sur
lui-même. C’est du moins ce que pense M. Bensaâd. "Certains conforts ne sont
plus possibles", assure l’universitaire algérien, qui espère que ces
révolutions encore peu visibles "vont acculer" les chercheurs maghrébins "à
sortir de l’ambiguïté, celle de leur lien à l’Etat et à la société,
notamment".

Sans doute est-il "trop tôt" pour parler d’une nouvelle génération de
chercheurs, tant l’actuel vivier est "hétéroclite", module Mehdi Lahlou. "Le
Maroc, ajoute-t-il, est aujourd’hui le seul pays où l’on peut travailler
normalement, sans risques de représailles pour les personnes interrogées ou
pour les chercheurs". S’il y a "aubaine", la porte est étroite...

Catherine Simon
Article paru dans l’édition du 15.12.06


ZPAJOL liste sur les mouvements de sans papiers