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Le Promeneur du Champ-de-Mars

Publie le samedi 19 mars 2005 par Open-Publishing
7 commentaires

De Enrico Campofreda traduit de l’italien par Karl&Rosa

François Mitterrand a été le dernier grand homme d’Etat européen. Il régna à l’Elysée de 1981 à 1995 et les derniers temps de sa présidence furent marqués par une douloureuse tumeur de la prostate qui le conduisit à la mort en janvier 1996. Avec ce film, le communiste Robert Guédiguian - metteur en scène chantre du prolétariat marseillais avec son délicat et passionnel ’Marius et Jeannette’ (1997), le sombre et pessimiste ’La ville est tranquille’ et l’optimiste et désinvolte ’A l’attaque’, tous deux de 1999 - lui rend hommage.

Mitterrand, après avoir gagné électoralement la confrontation avec le gaullisme, façonna un gouvernement socialiste, chose différente de la social-démocratie allemande ou scandinave. Sa politique introduisit - bien que dans un système capitaliste - des lignes de défense des conditions des couches populaires ; au point que le Président fut un formidable concurrent à gauche pour le parti communiste de Marchais, contraint à payer le péage et réduit à des pourcentages électoraux de témoignage.

Tout cela alors qu’en Italie le socialisme, avec Craxi, devenait un synonyme d’infamie aussi bien à cause des attaques aux travailleurs avec l’abolition de l’institution de l’ "échelle mobile" que pour la pratique croissante de corruption et de larcins méticuleusement organisée par le leader du PSI et ses laquais.

Le jeune François venait d’une famille de droite et il vécut aussi la honte du gouvernement collaborationniste de Vichy (il était là avec ses parents mais il s’en détacha bientôt en allant œuvrer avec le Comité de Libération). Ses adversaires politiques de toutes les couleurs montrèrent plusieurs fois du doigt ces années juvéniles peu claires, en essayant de creuser dans le passé et d’en saisir des tâches plutôt que des contradictions. Mitterrand, en homme d’Etat de race, ne perdit pas contenance. Il poursuivit sa politique qui, même dans un système occidental, n’imitait pas le grossier système américain, centré sur un consumérisme farouche et aveugle (comme cela se passait en Italie).

Le Président, selon le style de sa terre, outre que mesuré, était un homme cultivé et de toute façon bon vivant. Il ne renonça pas à ces manières, même pas les derniers mois du deuxième mandat, quand apparurent les signes ravageurs du mal qui en marquèrent le physique mais pas l’esprit, resté haut, comme le remarquèrent les hommes politiques qui le fréquentaient et le cercle étroit de ses collaborateurs.

Le metteur en scène franco-arménien braque son objectif sur cette période et montre un Mitterrand très privé, occupé à raconter au jeune journaliste Antoine Moreau, chargé d’en recueillir les mémoires, les vicissitudes d’une vie politique très intense qui des évènements "scabreux" de sa présence à Vichy - où, pendant les années de la terrible occupation allemande, s’était installé le gouvernement collaborationniste du général Pétain - se déroula à travers l’engagement dans la Résistance, l’entrée en 1946 au Parlement, le défi présidentiel avec De Gaulle, perdu en 1965 et le rachat de 1981 où il atteint la plus haute charge de l’Etat.

Le Président, en excellent lecteur, offre des essais de philosophie en citant des penseurs français ou non, transgresse par un "je m’en fiche de Léon Blum", tirant sur un des monuments du socialisme national et européen, se montre un fin gourmet quand il suggère à ses convives de goûter aux huîtres associées à la saveur de la saucisse. Et il remarque combien, à une table voisine, une jeune femme avenante détone aux côtés d’un laid banquier. Il rappelle au jeune journaliste comme les femmes les meilleures sont celles du nord "Elles ont beaucoup de dignité" et qu’il faut les préférer aux Méditerranéennes bruyantes. Et ensuite "elles doivent être brunes, parce que les blondes ne servent que pour les couvertures des magazines illustrés". Et si on veut vraiment être accompagné de femmes belles et connues, il vaut mieux le faire avec des actrices, certainement pas avec des mannequins.

C’est un observateur aigu et il a l’âme sensible "Quelle est la couleur de la France ?" demande-t-il à ses accompagnateurs fixes : un médecin, un garde du corps et l’immanquable Moreau "Naturellement le gris, comme les toits d’ardoise des maisons ou la lavande de Provence. Et c’est une très belle couleur, pleine de nuances". Il fait parfois avaler de petits caprices et quelques vanités mais c’est pour être toujours vivant avec des commentaires intelligents et sagaces et des pièces de bravoure intuitive et de sagesse. De plus, il est sympathique et sarcastique, même dans son ton compassé de Président de la République.

Pour le suivre dans ses promenades au Champ de Mars, sur les plages de Bretagne ou dans les pièces de sa résidence, Moreau perd sa compagne, fille de communistes qui nourrissent de toute façon de l’admiration pour la personnalité du Président. Malgré la proche naissance de leur bébé, l’amour est fini entre eux et elle va vivre avec un autre homme.

Le journaliste est secoué mais quand il se rend à Vichy pour chercher des inédits sur la sombre période du jeune Mitterrand, il rencontre la belle bibliothécaire Judith. Il a avec elle un échange amoureux puis perd le contact . Et il est agité par cette histoire parce que cette femme l’intrigue. Il l’appelle mais n’obtient pas de réponse "Le silence est l’une des pires conditions" lui laisse-t-il sur son répondeur.

Quelquefois Mitterrand, malgré les soins et l’assistance, semble à la dernière extrémité, il n’arrive pas à rester debout, mais il s’est imposé de serrer les dents pour obtempérer à l’engagement du mandat. Et il est exemplaire. Non seulement il n’a pas peur de regarder en face la mort comme il le fait depuis des mois, mais il garde un décorum absolu face aux progrès ravageants de la maladie, en public comme en privé.

Et quand Moreau essaie de soulever à nouveau la question de sa fréquentation de René Bousquet - secrétaire général de la police au Ministère de l’Intérieur, connu aussi comme le criminel du Vélodrome d’hiver, le lieu de Paris où des milliers de Juifs français étaient entassés avant d’être expédiés dans les camps nazis - le vieux président souligne à quel point il est totalement étranger à ce personnage, en refoulant probablement le souvenir.

Moreau peut achever son livre et trouve aussi l’amour de Judith qui réapparaît et lui dévoile la cause de son long silence "Je n’étais pas libre, maintenant je le suis".

Excellente interprétation de Michel Bouquet qui incarne un Mitterrand très crédible, qui n’est pas seulement et pas tellement le fruit du travail des maquilleurs mais d’une étude d’acteur des temps, des manières, des regards, des tons du personnage qui n’est en tout cas pas imité. Une âme lui est donnée.

Réalisation de Robert Guédiguian
Sujet et scénario de Georges-Marc Benamou, Gilles Taurand
Tiré du roman : "Le dernier Mitterrand" de G.M.Benamou.
Directeur de la photographie : Renato Berta
Montage de Bernard Sasia
Principaux interprètes : Michel Bouquet, Jalil Lespert, Anne Cantineau, Philippe Fretun, Sarah Grappin.
Produit par Robert Guédiguian, Frank Le Wita, Mark de Bayser.
Origine : France, 2004
Durée : 117 minutes.
Titre original : "Le Promeneur du Champ de Mars".
Articles et approfondissement : Castlerock / Bim Distribuzione / Interview de Guédiguian (TrovaCinema).

http://bellaciao.org/it/article.php3?id_article=7823

Messages

  • Bon pour la canonisation, le cy-devant monarque républicain qui ne s’embarrassa jamais de scrupules pour satisfaire ses ambitions. Faut-il rappeler que grâce à lui le Front National retrouva pleine vigueur, au détriment d’une gauche discréditée par les trahisons de celui qui prétendait la représenter ?
    Dans l’article ci-dessus, il faudrait tout reprendre. Je me contenterai de signaler que le " jeune François" ne se contenta pas d’appartenir à une famille de droite, mais sympathisa activement avec l’extrême droite (la Cagoule) avec laquelle il conserva toujours de bons et fructueux rapports. Quant à la "honte du gouvernement collaborationniste de Vichy... dont il se détacha bientôt "... En fait, il mérita la francisque d’honneur et ne s’intéressa à la Résistance que bien tardivement, quand les carottes étaient cuites pour le nazisme.
    Si c’est ça, le film en question, il barbote dans la malhonnêteté. Dangereuse pour la mémoire et donc pour l’avenir. Dès l’abord d’ailleurs, faire jouer le retors Mitterrand par le sympathique Michel Bouquet [1] fausse les cartes. Et puis, ne dispose-t-on pas d’assez d’archives pour tenter d’approcher la réalité ?

    [1Lapsus révélateur, nombre de commentateurs confondent l’acteur avec Bousquet, ce douteux témoin du passé mitterrandien.

  • Une sentence immortelle de notre défunt président à propos de l’Afrique :
    "Dans ces pays-là, un génocide n’est pas trop important"

    cf par exemple ici :
     http://www.conscience-politique.org...

    ou ici :
     http://www.congopage.com/article.ph...

    ou bien encore ici :
     http://www.agora-international.com/...

    A l’heure où on nous abreuve à longueur de médias de "devoir de mémoire" et de "plus jamais çà", à l’heure où certains font d’un deux poids deux mesures hélas bien réel leur fonds de commerce il serait bon de se souvenir du Rwanda et de laisser Mitterrand reposer là où il le mérite, dans les poubelles de l’histoire.

  • Mitterand Guédiguian même combat
    L’usurpation des luttes pour leurs grandes villas

    • et puis quand on a aimé staline, pourquoi pas adorer Mittérand ???

      Merci guédigian, tu nous fais une piqure de rapelle sur ce vers quoi mène le communisme d’Etat : l’agiogrphie des grands hommes, des effluves salasses de la collaboration oubliées à leur continuation, celle du pouvoir, de la mitterandie, de l’augmentation de la pauvreté, de la précarité, de la désindustrialisation, de la france afrique... de ses odeurs là tenaces que NOUS qui les avons vécues dans notre chair ne sommes pas prêt de faire passer aux oubliettes...

      Guédigian regarde sous toi les précaires te vomissent.