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Le Rapport Darrois ne règle pas la crise des professions juridiques pour les salariés : Pour une nouvelle analyse économique
Publie le lundi 20 avril 2009 par Open-Publishing2 commentaires

de Noémie Beaudoux
1. La hache de guerre enterrée ?
Contrairement à ce qui est avancé dans de nombreux médias, non, la "crise" des professions juridiques n’est pas réglée.
Si la hache (truelle ?) de guerre est apparemment enterrée entre les frères ennemis du notariat et de l’avocature, il ne s’agit bien sûr que de protection des intérêts patronaux, qui viennent d’emporter le premier round sur les intérêts salariaux.
Les salariés n’ont jamais été véritablement écoutés dans cette affaire, la grande partie des arguments jugés "recevables" devant la Commission ayant porté sur cette chausse-trappe des luttes qu’est "la défense de l’outil de travail".
"L’interprofessionnalité", mise à toutes les sauces et vivement encouragée par le dit rapport Darrois, est une nouvelle manière d’appeler la même chose, cette chose dont ne nous ne voulions déjà pas, à la CGT.
Non pas pour "défendre l’outil de travail", mais pour défendre les intérêts des salariés du notariat, et également ceux des cabinets d’avocats, des avoués etc.
Notre objectif, en contruisant la CGT notariat, ensemble, doit être celui-là : éviter le corporatisme, éviter le clientélisme, si prompt à gangréner l’action syndicale dans les milieux un peu "confidentiels", et paternalistes.
Maintenir des rapports de classes francs et nets pour que les salariés puissent y retrouver leurs petits. Faute de cela, sombrer dans la cogestion pure et simple du système, à l’instar de certains syndicats historiques du notariat.
Alors non, nous salariés du notariat, des professions juridiques, on ne peut pas se satisfaire du rapport Darrois.
Au contraire, il devrait nous alarmer.
En effet, il fait l’impasse, ou plutôt, il travestit, la profonde modification qui va nécessairement affecter (affecte déjà) les professions juridiques, "crise oblige".
2. Ce qu’est un marché, ce qu’y produit une crise
Or, on le sait (on devrait le savoir), un système en crise, quelque soit ce système (en l’occurrence, le capitalisme), ne peut survivre qu’à la condition de se transformer prodigieusement. C’est une règle d’airain que beaucoup semblent avoir oubliée.
Dans le processus de mondialisation de l’économie, depuis un siècle, ces transformations, quotidiennes, mais accélérées en péridoe de crise, comprennent notamment quatre mouvements :
– la disparition des petites enttiés, inadaptées à la globalisation mais recelant certaines richesses locales (richesses dont les salariés font de moins en moins en partie, le coût du travail et la formation étant des facteurs importanst de la délocalisation),
– la concentration des moyennes et grosses entreprises, qui n’en finissent pas de grossir,
– la recherche de la main d’oeuvre la moins chère à formation comparable,
– et la diversification des activités des groupes selon deux modèles (l’un "de filière" ou vertical, l’autre" de "réseau" ou horizontal, avec corrélativement, une augmentation des dépenses de "recherche et développement".
Prenons l’exemple de Kraft Foods par exemple, numéro deux mondial de l’agro-alimentaire derrière Nestlé, qui détient des producteurs de chocolat, de biscuit, de boissons, gazeuses, lactées, des céréaliers etc. Toute la chaîne de l’agro alimentaire de bas en haut.
Véolia, plus connue sous le nom de "Compagnie générale des eaux", ex "Vivendi" et qui a diversifié "en réseaux" et détient des parts non négligeables dans Cégétel, Canal Plus...eau, propreté, énergie, transports...
Un dernier exemple, évidemment, c’est Bouygues : construction, médias, transports, télécoms... Quel rapport, a priori, entre le roi du béton et un téléphone portable ? Aucun mais on peut poser des antennes relais sur des immeubles et lier la transmission télé aux portables etc etc.
Toutes ces restructurations ne se font pas exclusivement en période de crise, mais les crises sont évidemment des moments privilégiés pour racheter un concurrent ou un sous -traitant à bas coût, ou pour "dégraisser" les salariés d’ une filiale que l’on souhaite vendre.
C’est la leçon que nous devrions tirer des crises de 1929, de celle de 2000 (explosion de la "bulle Internet" - combien de petites web agencies rachetées alors par British Telecoms par exemple ?) dans une moindre mesure, et qui se produira inévitablement pour celle que nous connaissons actuellement.
3. Les professions juridiques sont elles à l’abri du "marché du droit" ?
Croire que le monde des professions juridiques échapperait, par nature, du fait de la spécificité de ses activités, à cette logique, est une erreur.
Déjà, pour la France seulement, la profession d’avocat a considérablement évolué, depuis 50 ans.
Le marché et ses règles se sont infiltrés partout, jusque dans ces professions qu’on pensait inatteignables car "libérales", "techniques", "désintéressées", et ce avec l’appui de la Commission Européenne, qui entend soumettre partout, tout type d’activité aux règles de la concurrence libre et non faussée.
Cette logique atteint même des professions et des domaines a priori non mercantiles par nature - par exemple, la médecine, les soins, les hôpitaux...
Si l’on analyse en profondeur le rapport Darrois, on se rend compte que tout ou presque a été fait pour permettre aux intérêts patronaux des différentes professions de se rencontrer et de négocier leur partage de ce gros gateau qu’on appelle "le marché du Droit" ( c’est une expression pourtant courrante et employée partout,y compris par les autorités de la concurrence).
Mais on se rend compte aussi que le sort des chevilles ouvrières, de ceux qui ont permis aux patrons de construrie, génération après génération, de belles études, de beaux cabinets, à savoir , les salariés (assistants, clercs, taxateurs, comptables, secrétaires, techniciens...), voire, des collaborateurs libéraux, qui composent la majorité des "petites-mains" de ces professions, n’a pas été envisagé.
Rien sur leur formation, leur reclassement, leurs statuts...en cas de besoin.
On voudrait nous faire croire que le problème principal, celui de la "concurrence" du notaire et de l’avocat sur l’acte authentique et la publication, est réglé.
C’est inexact. En tout cas, inexact du point de vue des salariés.
Inexact parce que d’emblée le sujet a été mal posé.
Mal posé parceque certains ont mis de l’ego mal placé là où il eut fallu la tête froide et l’humilité pour analyser correctement la situation de départ.
Cette analyse juste est un préalable obligatoire à des interventions et à des négociations correcte ; or, la connaissance approfondie et rigoureuse de l’existant ne peut pas, malheureusement, faire l’impasse sur certaines prises de position dites idéologiques, qui accompagnent la lecture des résultats "bruts" .
L’une de ses positions consiste par commencer à reconnaître que le système dans lequel nous vivons est un système capitaliste (par le reconnaître et à en tenir compte de bout en bout).
Or, la pensée dominante nous contraint à nous censurer et à presque taire cette évidence ("nous vivons dans un système capitaliste"), jusqu’au mot même, qu’on ne peut plus employer, alors que tous les économistes de toutes les universités du monde l’emploient sans problème ! Refuser de se soumettre à ces diktats est une nécessité et c’est déjà un parti pris motivé par l’idée qu’il faut lutter (et non pas "discuter").
Cela consiste également à reconnaître que les patrons ne sont pas une classe unie, uniforme, qui ne serait pas traversée par ses propres conflits et ses propres contradictions ( croire que "le patronat" est toujours ensemble, dans le même sens, sans se livrer de guerres, est faux, bien sûr, car sur un même marché, les "petits" se battent contre les "gros", pour commencer - c’est tout l’enjeu du droit dit "de la concurrence et des trusts").
Procéder ainsi, méthodiquement, scrupuleusement, scientifiquement, et avec la boussole de nos intérêts à nous, aurait pu permettre d’éviter certaines erreurs d’analyse.
Ainsi sur la "concurrence" donc, entre avocat et notaire.
A l’heure actuelle, l’avocat qui exerce dans le domaine immobilier n’a que rarement recours aux notaires, pour une raison simple :
la plupart du temps, c’est au travers du "corporate " et des "M&A" qu’il traite de l’immobilier ; il vend (ou achète) des parts de sociétés qui détiennent les immeubles, donc, le propriétaire des immeubles ne change pas frontalement, ce sont les associés de la société qui changent (et là se livrent déjà toutes sortes de guerres concurrentielles qui n’ont pas été prises en compte : les banques, les assureurs, les agences immobilières, les promoteurs, les constructeurs etc etc), donc il n’ y a pas de mutation au sens strict, et donc il n’y a pas besoin d’un notaire.
Par ailleurs, croire que la rédaction d’un compromis de vente immobilière nécessiterait obligatoirement des compétences notariales qu’un avocat ne pourrait pas acquérir ou ne détiendrait pas déjà est une autre erreur. Reste au notaire son privilège, celui de la publication qui, il est vrai, n’a pas été remis en cause. Cependant, la création d’un acte d’avocat enfonce un coin supplémentaire dans la "frontière des compétences".
Ce qu’il faut avoir à l’esprit, en outre, c’est que la soi disant frontière des compétences entre les uns et les autres est déjà ténue depuis un certain temps.
4. Le compromis patronal de l’Interprofessionalité et ses conséquences prévisibles sur les salariés
"L’interprofessionnalité", il faut être aveugle pour ne pas s’en apercevoir, est la solution privilégiée par le rapport Darrois pour moderniser les professions juridiques et les rendre adaptables à la nouvelle poussée mondialisatrice exigée par la crise actuelle.
Et c’est en effet, du point de vue patronal, dans la logique qui est celle du capitalisme, la seule solution qui était envisageable.
Celle du compromis.
La guerre à mort entre deux "professions" eut été ridicule.
Il s’agissait d’abord de nouer ou renforcer certaines alliances entre les plus grosses structures des uns et des autres, car les forces nécessitées vont devoir être tournées vers ceux qu’il va falloir éliminer, absorber, ou sous-traiter, à savoir : les salariés des deux professions, les petits cabinets et les petites études qui ne seront pas dans des domaines de "niche".
A ce titre, il était d’ailleurs touchant de voir comme les petits notaires de province ont fait confiance à leurs confrères des grandes villes, pour défendre leurs intérêts...Exactement comme les PME et les TPE font (bêtement, par mimétisme) confiance au MEDEF pour les représenter...et finiront par en crever.
Il y a fort à parier que l’ère ouverte par le rapport Darrois (sous réserve de la mise en oeuvre de ce rapport, et donc des lois et décrets nécessaires à son application) sera une ère d’hyper concurrencialisation entre les "petits" et les "gros" sur le "marché du Droit", les intérêts patronaux et les intérêts salariaux, et dans une moindre mesure, les notaires et les avocats, les avoués, les conseils en propriété intellectuelle etc.
Déjà, l’an dernier, la "niche" des avoués a été livrée en pature aux avocats.
Cette profession va être supprimée en tant que telle. En conséquence le sous-marché (du point de vue concurrentiel) qu’elle occupait, est l’objet , déjà , de féroces appétits.
Il y a fort à parier que cette période de mutation verra de profonds remaniements de structures, des rapprochements qu’on eut pas cru possibles il y a encore 15 ans, corrélativement aussi, des disparitions, et que tout cela affectera évidemment durablement et assez violemment les conditions de travail des salariés exerçant leurs compétences dans telle ou telle profession.
Si on ajoute à cela "la crise", qui sert de bon prétexte pour commencer ces restructurations (voire, dans le cas des très petites ou trop récentes structures, est un véritable enjeu), il est possible que les salariés des professions juridiques ne soient qu’au début de leurs ennuis, surtout ceux qui bénéficient, comme les salariés du notariat, d’un régime dit "spécial".
Vive l’interprofessionnalité, donc, et adieu la CRPCEN, adieu la retraite, adieu les avantages du notariat.
Bonjour le régime général, bonjour la concurrence entre salariés de formations et de compétences différentes...sans aucune aide de l’Etat à cette mutation.
L’histoire montre que lorsque l’on met en concurrence deux régimes de salariat, c’est inévitablement celui qui procure le plus d’avantages aux salariés qui est défait et combattu (c’est le principe de la mondialisation et des délocalisations, le patron va faire ailleurs la même chose qui lui coute moins cher et le salarié est toujours la "variable d’ajustement").
5. D’où ma conclusion :
Bien sûr, il est difficile d’emporter l’adhésion et la conviction des uns et des autres sur de la prospective, des analyses qui tentent de prévoir rationnellement l’avenir, car, fort heureusement, nous ne sommes plus à l’heure où l’on croyait aux révélations. Cela demande donc un effort de convaincre, de démontrer, et aussi, d’écouter.
La conclusion de mon analyse à ce stade, c’est que ce n’est pas du tout le moment de baisser les bras, ce n’est pas le moment de se renfermer sur des discussions de salon, des manoeuvres d’appareils, des intrigues où des représentants des salariés flirteraient d’un peu trop près avec des représentants patronaux, pensant "sauver l’outil de production ensemble".
C’est au contraire le moment , plus que jamais, de construire le rapport de forces patrons/salariés, dans toutes les branches des professions juridiques ; c’est aux salariés de soumettre, le cas échéant, la défense des intérêts des petits patrons, à la défense de leurs intérêts à eux, avant toute chose. Pas l’inverse.
La force ici, ce sont les salariés, parce qu’ils sont le nombre. Ils sont la masse.
Organisée, structurée et motivée, cette force là peut être redoutable. Il faut, mais il suffit, de commencer par vouloir protéger son avenir, défendre son gagne-pain, sa profession, sa vie, pour que les choses puissent commencer à changer.
Salariés du notariat, syndiquez-vous !
Notre salut ne viendra jamais uniquement de la discussion de quelques-uns prétendant nous représenter, dans les salons des ministères, mais de nos luttes actives.
Devant des patrons (notaires) qui ont récemment refusé d’étendre l’ANI sur l’indemnisation du chomage partiel à leurs salariés (un problème d’argent parait-il, pour cette profession qui a engrangé plus de 6.5 milliards d’euros en 2008), notre premier réflexe devrait être de ne pas faire confiance et de nous mobiliser.
Messages
1. Un forum pour les salariés du notariat, 20 avril 2009, 14:02
Très intéressant. Pour info :
Un forum pour les salariés du notariat a été créé
ici -> http://salaries-du-notariat.forumactif.com/forum.htm
"Forum des salariés du notariat - Le Forum des salariés du notariat (clerc, techniciens, employés), mais aussi des salariés des autres professions juridiques, pour discuter de l’avenir de nos professions, de la crise, des réformes Darrois..."
2. Le Rapport Darrois ne règle pas la crise des professions juridiques pour les salariés : Pour une nouvelle analyse économique, 23 avril 2009, 11:28, par Eschyle 49
Angers, le jeudi vingt-trois avril 2009 , à 11h28 .
Je réagis à l’ article de Mme Noémie BEAUDOUX , en date du lundi 20 avril .
Vous évoquez brièvement la profession des Avoués près les Cours d’ appel,
somme toute pour considérer que la messe est dite & qu’ on passe aussitôt
à autre chose .
Suivez l’ actualité des prochaines semaines : si quelque chose se passe , ce
n’ est malheureusement pas la CGT qui pourra s’ en prévaloir .
Pour comprendre, réclamez-moi par mèl & publiez la " Lettre à Mr. MAZARD "
du 18 septembre 2008, vous verrez, çà décoiffe ...
Eschyle 49