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Le conflit des transporteurs laissera des traces

Publie le mercredi 12 novembre 2008 par Open-Publishing

Le conflit des transporteurs laissera des traces

CLICANOO.COM | Publié le 12 novembre 2008

En arrachant une ristourne de 20 centimes sur le prix du gazole en cinq jours seulement, les professionnels de la route ont prouvé que leur stratégie de mobilisation était payante. Mais cette grève aura un coût social, financier, et politique. Alors que l’économie locale a frôlé le chaos, voici les enseignements que l’on peut tirer de ce conflit.

Les transporteurs ont-ils gagné sur toute la ligne ?

Paradoxalement, la réponse à cette question est négative. D’un point de vue financier, le compte y est évidemment. Surtout si l’on cumule les 20 centimes de réduction obtenus sur le prix du gazole à la surcharge carburant que doivent payer les donneurs d’ordres. Le préfet a volontairement insisté sur ce point vendredi dernier. Accusés de ne pas toujours jouer le jeu vis-à-vis de leurs sous-traitants, les représentants des grands groupes ont promis une plus grande transparence. Le succès des transporteurs demeure très relatif pour d’autres raisons. A aucun moment la coalition dirigée par Joël Mongin n’est parvenue à élargir l’accord privilégié signé avec la Région à l’ensemble des usagers de la route. A force de faire monter les enchères sans chiffrer le coût de ses revendications, le président de la FNTR a fini par se discréditer. Résultat, certaines organisations professionnelles appellent déjà à manifester en fin de semaine devant la préfecture…

La Région a-t-elle perdu la bataille des négociations ?

En venant à la table des discussions vendredi dernier, la Région n’avait qu’une obsession : obliger le préfet à ouvrir le débat sur le mécanisme de formation des prix des carburants afin de diluer les responsabilités. La manœuvre a échoué. Lamentablement. Et c’est sous la pression que la collectivité a signé lundi soir un protocole d’accord. La Région a donc cédé sur le terrain budgétaire alors qu’elle s’était juré de ne pas toucher aux recettes d’octroi de mer. Dans le bras de fer qui les oppose au préfet, ses représentants ont aussi perdu la face politiquement. Ce constat mérite d’être souligné. Sur le dossier des visas, c’est le gouvernement qui avait dû reculer.

L’Etat sort-il renforcé de ce conflit ?

C’est l’un des plus importants enseignements de ce conflit. A deux reprises, le préfet a débloqué la situation en baissant pour l’ensemble des usagers le prix des carburants. Au grand dam de certains observateurs, c’est la première fois qu’un représentant de l’Etat se rallie aux revendications d’une catégorie socioprofessionnelle et qu’il les relaie publiquement. La méthode est nouvelle, surprenante même, mais incontestablement payante. Aux yeux des transporteurs et de l’opinion publique, Pierre-Henry Maccioni a été durant ces cinq jours le personnage central de ces négociations. En coulisses, le préfet a effectivement bien manœuvré en multipliant les entretiens avec les compagnies pétrolières. Avec deux semaines d’avance sur le calendrier de révision des prix, celles-ci ont réduit leurs marges. On peut néanmoins parier que l’Etat saura, demain, se montrer reconnaissant. De quelle façon ? En lissant par exemple, dans le temps, les futures baisses des cours du brut si la conjoncture devenait plus favorable.

Comment va évoluer le prix des carburants le 1er décembre ?

Le constat est unanime : le prix des carburants devrait rester pratiquement inchangé en décembre sauf si, par miracle, le préfet décrétait une nouvelle réduction des prix à la pompe. La partie est loin d’être gagnée : en l’espace de cinq jours, les pétroliers viennent de renoncer selon les estimations à plus de 40 millions d’euros de recettes. Depuis la semaine dernière, le comité des importateurs d’hydrocarbures explique que les prix des carburants à la Réunion augmentent désormais beaucoup moins vite dans l’île qu’en métropole.

Le protocole d’accord signé lundi peut-il durer dans le temps ?

Un mois de discussions et cinq jours de barrages : voilà le temps qu’il aura fallu aux transporteurs pour décrocher un accord. Le protocole signé lundi prévoit que la Région compense la baisse supplémentaire de 10 centimes accordée aux professionnels en débloquant 2,5 millions d’euros, une somme prélevée sur les recettes d’octroi de mer. Cette enveloppe devrait permettre de financer le dispositif pendant trois mois. Et après ? Hier soir, sur Antenne Réunion, Pierre Vergès a expliqué que cette solution était provisoire. En clair, l’effort consenti par la Région n’a pas vocation à se pérenniser. Selon certains calculs, la collectivité devrait débourser en année pleine entre 8 et 10 millions d’euros pour consolider le mécanisme.

Le conflit des transporteurs peut-il se reproduire ?

Ni la Région, ni l’Etat ne se font plus d’illusions. Dans un contexte dominé par la baisse du pouvoir d’achat, les autorités savent que le niveau élevé du prix de l’essence devient budgétairement insupportable pour les ménages. En privé, le conseil régional admet qu’il faudra faire des choix. L’allégement de la pression fiscale qui pèse sur les carburants figure parmi les hypothèses de travail. Mais ce scénario n’est pas neutre : le fonds d’investissement pour les routes et les transports (FIRT) étant essentiellement alimenté par la taxe spéciale sur les carburants (TSC), la collectivité a déjà fait savoir qu’elle limiterait ses investissements si on l’y obligeait. A la clé : des reports de chantiers et des emplois en moins. Le BTP et ses sous-traitants (transporteurs, terrassiers…) seraient les premières victimes de ces restrictions budgétaires.

L’économie locale peut-elle résister à de nouvelles secousses sociales ?

Des stations-service prises d’assaut, des grandes surfaces dévalisées, des écoles fermées, des agriculteurs au bord de la crise de nerfs : en cinq jours, le conflit des routiers a complètement asphyxié l’économie locale. Le port a été paralysé et les avions ont failli ne pas décoller. Lundi, Jean-Yves Minatchy avait même prédit le chaos si aucune solution n’était trouvée dans la journée. C’est incontestable : l’activité économique a particulièrement souffert de ce conflit ces derniers jours, mais cette grève ne devrait pas avoir de conséquences majeures à moyen terme. Ce qui inquiète davantage actuellement les chefs d’entreprise, ce sont les incertitudes liées à la conjoncture internationale. “En décembre, nous commencerons à ressentir les premiers effets de la crise financière. En mars 2009, l’activité connaîtra un creux, en juin nous serons sans doute obligés de réduire la voilure”, explique sous couvert d’anonymat le patron d’un grand groupe agroalimentaire. Ralentissement économique et troubles sociaux : ce cocktail détonant préoccupe sérieusement les pouvoirs publics et les milieux patronaux, incapables aujourd’hui d’amortir un tel choc

Florent Corée

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