Le "corbeau" nargue toutes les polices

Le "corbeau" nargue toutes les polices
Bernard Delattre

Mis en ligne le 08/09/2009

Les enquêteurs ont à nouveau échoué à pincer l’auteur des lettres de menaces aux personnalités. Trop soumis aux pressions pour être efficaces ?
Correspondant permanent à Paris
Une fois de plus, le "corbeau" s’est envolé. Ce week-end, les craintes que les enquêteurs exprimaient sous le manteau vendredi ont été confirmées. En effet, la dizaine de personnes qui avaient été placées en garde à vue dans l’enquête enfiévrée menée sur les menaces de mort (accompagnées de cartouches ou de balles) adressées à des personnalités, dont Nicolas Sarkozy, ont toutes dû être relâchées, pas le moindre élément n’ayant pu être retenu contre elles.

Ce coup dans l’eau est d’autant plus retentissant qu’il survient alors que, ces dernières années déjà, les autorités ont échoué dans l’élucidation d’affaires analogues. Ainsi, n’ont jamais pu être identifiés les membres du mystérieux groupe auto-baptisé AZF, qui, entre 2003 et 2005, menaça la SNCF d’attentats en posant des engins explosifs sur des voies de chemin de fer. De même, un attentat à l’explosif meurtrier commis en 2007 contre un cabinet d’avocats parisien n’a pas davantage été élucidé. Et l’on ignore toujours l’identité et les motivations des individus ayant, fin 2008, déposé des pains de plastique (n’ayant pas explosé) dans les toilettes d’un grand magasin parisien à une heure de forte affluence.

Cette fois donc, c’est dans l’affaire du "corbeau" que les enquêteurs ont fait chou blanc, alors pourtant que plusieurs dizaines d’agents de trois services d’élite sont mobilisés : la police judiciaire, sa division antiterroriste et la brigade criminelle de Paris.

Le coup de filet s’est déroulé dans la région Languedoc-Roussillon, la plupart des courriers de menaces adressés depuis 2007 ayant été envoyés depuis le département de l’Hérault. C’était déjà dans cette région qu’en avril dernier, un autre coup de filet avait échoué. La mouvance visée était cette fois l’extrême gauche : des sympathisants communistes proches des milieux altermondialistes. Les enquêteurs paraissent désorientés par le style échevelé, idéologiquement peu identifiable, des courriers de menaces. Pour preuve, sans davantage de résultats, ils avaient auparavant passé au peigne fin les milieux des chasseurs, des anciens militaires, collectionneurs d’armes et/ou habitués de clubs de tir, et de l’extrême droite.

Les fortes pressions exercées par les autorités sur les enquêteurs chargés de ce dossier nuiraient-elles à leur travail ? Ces derniers jours, en tout cas, des protagonistes de cette affaire ont, sous le couvert de l’anonymat, fait part de leur malaise. "Il y a une pression hallucinante", a ainsi noté un magistrat. "Des hauts responsables de la police ont le sentiment de jouer leur tête sur cette affaire, parce que le Président en a fait une priorité absolue", a confié un policier. Selon qui "il aurait fallu attendre encore" avant de procéder aux interpellations de la semaine dernière. Mais "la pression du résultat est telle que l’enquête a dû s’accélérer". Avec le résultat que l’on sait.

Ces dernières années, les enquêteurs avaient moins peiné pour résoudre des affaires de menaces analogues. Début 2008, il ne leur avait fallu que quelques semaines pour interpeller les deux particuliers ayant proféré des menaces téléphoniques à Louis Sarkozy, le plus jeune fils du Président. Quatre ans plus tôt, ils avaient pareillement fait mouche en arrêtant le retraité, militant sioniste, qui avait adressé des courriers menaçants à des personnalités altermondialistes et pro-palestiniennes comme José Bové. A l’époque déjà, ces messages étaient accompagnés de balles, de calibre 22.