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Le gouvernement passe en force

Publie le vendredi 22 octobre 2004 par Open-Publishing

de Paule Masson

Mais qu’est-ce qui fait courir Gérard Larcher, ministre délégué aux sales besognes, tout occupé depuis son entrée en fonction dans le gouvernement Raffarin IV à faire de son bureau un sas de déminage syndical ? Dans le « gouvernement de mission » de Jean-Pierre Raffarin, sa tâche à lui, en tant que ministre délégué aux Relations du travail, consiste à penser les modalités d’augmentation du temps de travail, à rédiger la réforme du licenciement économique, à plancher sans plus tarder sur le « toilettage » du Code du travail. La nouvelle salve d’assouplissement des 35 heures, c’est lui. L’autorisation pour les patrons de licencier plus vite en évitant d’avoir à financer des plans sociaux, c’est lui. C’est encore lui qui, au nom de « l’efficacité économique » et la « compétitivité de la France », va s’attaquer très prochainement à la « rigidité » du Code du travail et mettre en musique la fusion du CDI et du CDD, au profit d’un contrat de travail unique... et précaire.

Le gouvernement précipite les procédures

C’est donc lui qui, hier, convoquait en toute hâte une conférence de presse sous prétexte d’expliquer les « trois avancées essentielles » de sa réforme du licenciement économique. Mais il a surtout dû justifier la précipitation du gouvernement à faire adopter ce projet. Car au même moment, le texte était examiné en Conseil des ministres, contre toute attente. Dix-huit mois de négociations entre les partenaires sociaux viennent brutalement de se solder, en six jours, par l’intégration de 8 articles dans le projet de loi de cohésion sociale qui débute son parcours parlementaire par le Sénat, mercredi prochain. Le gouvernement s’apprête à faire adopter à la hussarde son projet d’assouplissement des règles du licenciement. Même si, depuis le début de septembre, et comme l’y oblige la loi relative au dialogue social, Gérard Larcher s’est attaché à recevoir les organisations syndicales, tout a vraiment commencé vendredi dernier, 15 octobre.

Le gouvernement présente ce jour-là aux syndicats sa copie dans le cadre de la réunion d’une sous-commission de la Commission nationale de la négociation collective. Le choc est général et les organisations unanimes à dénoncer un texte « copie conforme » des desiderata du MEDEF. Deux d’entre elles, la CFE-CGC et la CGT, claquent la porte. Pendant le week-end les commentaires pleuvent. Le samedi, le premier ministre annonce son accord pour expurger le texte des principaux points de désaccord, notamment le retrait, dans la définition du licenciement économique, de la notion de « sauvegarde de la compétitivité ». La CGT réclame une réunion tripartite (syndicat, patronat, État) afin de remettre sur le chantier les objectifs que Jean-Louis Borloo avait lui même énoncés : « Améliorer l’anticipation, la formation, l’information et le reclassement, notamment dans les PME. » Ce qui n’est pas dit, c’est que le projet Larcher a été transmis dès le vendredi soir pour examen au Conseil d’État. Les partenaires sociaux n’auront pas eu leur mot à dire sur la nouvelle mouture du texte, rebaptisé « projet de loi sur le licenciement économique et la création d’un droit au reclassement pour tous les salariés ».

Lundi matin, Gérard Larcher annonce sur Europe 1 que le temps est « venu de la décision ». À midi, les syndicats n’ont toujours pas la copie, la CFTC et la CFE-CGC évoquant un « problème technique » au ministère. La rumeur circule d’une mise à l’ordre du jour du texte dès le prochain Conseil des ministres, pour parvenir à intégrer la réforme du licenciement dans le projet de loi Borloo, dont l’examen par les sénateurs doit débuter mercredi 27 octobre.

Les licenciements intégrés à la cohésion sociale

Le lendemain, mardi, la conférence des présidents de groupe au Sénat examine l’ordre du jour des 15 prochains jours. Le président Christian Poncelet n’annonce rien qui concerne les licenciements économiques. Nicole Borvo, présidente du groupe communiste, républicain et citoyen, interroge pourtant sur une éventuelle intégration dans le projet Borloo. Henri Cuq, ministre responsable des Relations avec le Parlement, répond : « Je ne peux ni confirmer, ni infirmer. » Hier, Gérard Larcher a pourtant remis aux journalistes une « lettre rectificative au projet de loi de programmation pour la cohésion sociale », dont l’intitulé signifie clairement que les deux textes ne font plus qu’un. Les sénateurs sont sommés de prendre acte. Problème : avant son arrivée en séance, le texte doit être examiné par la commission des Affaires sociales, qui peut, pour préparer le débat, organiser des auditions, par exemple de syndicats. Il y a donc vice de forme, qui sera « réparé » par l’audition demain du seul Gérard Larcher en commission. « Le gouvernement ne négocie plus avec les syndicats. Il impose. Le Parlement ne débat plus, il enregistre », raille Nicole Borvo, dont le groupe a fini hier par obtenir une nouvelle réunion des présidents lundi prochain dans le but de réclamer le report de l’examen du texte. Que valent, dans ce contexte, les propos de Gérard Larcher, qui assurait hier que « ce serait quand même, après avoir respecté la démocratie sociale, une singulière approche que de nier à la démocratie parlementaire le choix de débattre de chacun des sujets » ?

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-10-21/2004-10-21-447599