Accueil > Le lac de Grandlieu risque de disparaître
Discret, à quelques kilomètres de Nantes, c’est, en hiver, l’un des plus grands lacs de France. Plus pour très longtemps, redoutent certains scientifiques.
de Thierry BALLU
NANTES. - Les jours de ciel clair, il surprend les passagers des avions. À quelques battements d’ailes de l’aéroport de Nantes-Atlantique, le lac de Grandlieu peut s’étaler sur 6 300 ha en hiver, quand le niveau de l’eau est au plus haut. Sur le plancher des vaches, situé à un quart d’heure de Nantes, il est inaccessible. Seuls quelques pêcheurs professionnels peuvent fréquenter ce territoire de légende devenu réserve naturelle. Le vieux lac abrite des milliers d’oiseaux, des migrateurs et quelques espèces rares. Riche d’une flore étonnante, il semble en pleine forme. Mais il vit peut-être ses dernières années.
« L’élevage allait disparaître »
Loïc Marion, chercheur au CNRS, l’ausculte depuis plus de trente ans. Directeur scientifique de la réserve, remercié depuis peu (lire ci-dessous), il ne cesse de lancer des SOS. « Grandlieu s’envase à cause des effluents de l’amont. Ils favorisent les nénuphars qui génèrent une énorme quantité de matière organique en pourrissant. S’ajoute la prolifération des cyanobactéries (petites algues) activées par les apports de nitrates et de phosphates. » À l’inverse, des plantes comme le jonc des tonneliers ou les châtaignes d’eau régressent.
Loïc Marion et d’autres scientifiques, comme le Rennais Jean-Claude Lefeuvre, spécialiste des zones humides, estiment qu’il faut absolument relever le niveau d’eau au printemps et en été. Ce point de vue s’est, un temps, imposé. Le ministère de l’Environnement prend un arrêté en 1995. Le texte est légèrement assoupli l’année suivante. Roselyne Bachelot le confirme en 2002. Avec les niveaux d’eau retenus, les marais sont inondés plus longtemps au détriment du pâturage et du fauchage.
« Négationnisme scientifique »
Mais, à l’été 2001, c’est la fronde. Les agriculteurs tentent d’ouvrir les vannes. Il faut recourir aux CRS pour assurer la garde. Un médiateur est nommé qui préconise la création d’un conseil scientifique. Sans attendre ses conclusions, les éleveurs, les pêcheurs et les chasseurs s’entendent avec la Société nationale de protection de la nature (SNPN), gestionnaire du parc, pour baisser les niveaux d’eau. Cela, en faisant fi des arrêtés ministériels. Un pied de nez à la République. « L’élevage, l’un des premiers facteurs de biodiversité du marais allait disparaître », justifie Michel Coudriau, agriculteur de Saint-Lumine-de-Coutais, qui préside l’Association de défense des éleveurs du marais.
« Le lac ne peut-être un sanctuaire. Il doit être géré avec les gens qui habitent autour », estime Patrice Boret de la SNPN. Il n’ignore pas les menaces. « La ceinture végétale et l’herbier régressent. Il y a plusieurs causes. L’invasion d’une espèce d’écrevisse par exemple, qui n’arrange pas les choses. »
Lui, est très circonspect sur le comblement en train de s’accélérer. « Les relevés de profondeur n’indiquent pas cela et des scientifiques nantais pensent au contraire que le lac s’érode depuis quelques dizaines d’années. » Un lac qui s’érode ? « Une hérésie », dit Jean-Claude Lefeuvre, l’ex-président du conseil scientifique de la réserve et professeur au Muséum national d’histoire naturelle. Lassé de ne pas être entendu, il a démissionné en octobre et dénonce, depuis, le « négationnisme scientifique » dont serait victime Grandlieu.