Accueil > Le président Moubarak à Nile TV : " je suis vivant et…pas vivant "

Le président Moubarak à Nile TV : " je suis vivant et…pas vivant "

Publie le mercredi 30 juin 2004 par Open-Publishing

Al Quds Al Arabi, 30 juin 2004, traduction de l’arabe

Houweida Taha*

Je pense que l’Egypte est le seul pays au monde à connaître, en ce début de 21ème siècle, une expérience unique. C’est l’expérience du jeu du chat et de la souris entre les gens et le Raïs. Chacune des parties (le Raïs et les citoyens) envoie à l’autre le message suivant : " je suis là pour rester, que ça te plaise ou non ".

Après la propagation, ici et là, de l’information de la maladie du président - et l’impossibilité de la cacher (à l’interne et à l’international) à la curiosité des médias audiovisuels et écrits - et après que les prétextes classiques pour expliquer l’impossibilité pour le président d’assumer ses fonctions (tel le prétexte de " l’influenza " ou celui de la " fatigue due au jeûne "…) soient devenus non convaincants, on a été obligé d’annoncer que la vieillesse du président est une fatalité.

Et c’est ainsi qu’a commencé le jeu qui fait rire les gens (et les divertit). Si on ne tient pas compte des histoires sur les luttes fratricides pour hériter le pouvoir en Egypte, les Egyptiens (que les historiens qualifient faussement d’hypocrites) suivent, avec intérêt, les nouvelles du président. Pas forcément à la manière de " qu’en en finisse, de grâce " ! Mais, peut-être que " le voyage d’Allemagne " leur apparaît tel un dernier espoir d’autant plus que la couverture de cet événement, par les médias égyptiens, est très " tarifa " [NDLR : le terme arabe tarif peut être traduit par " sympathique " ou bien " original ". L’auteure joue probablement sur les mots en choisissant sciemment ce terme à double sens].

Le chaîne Nile TV a réalisé, via satellites, une entrevue avec le président sur son lit d’hôpital. Même si ce dernier revêtait une robe bleue et qu’il cherchait à cacher sa fatigue, la rencontre fut vraiment " délicieuse " ! Comme si le Raïs entonnait la chanson de Amr Dhiab : " je suis vivant et…pas vivant " ! La speakerine répétait que : " les cœurs de tous Egyptiens sont avec vous, monsieur le Président. Ils espèrent que vous allez vous rétablir et rentrer ". Et ce dernier répondait : " Moi aussi, je m’occupe de la gestion du pays. Mais considérez que c’est une semaine de repos. N’y ai-je pas droit ? De toutes façons, saluez les citoyens de ma part et in’challah, je reviendrai. Si les médicaments ne font pas effet, ils auront juste à opérer le disque. Sinon, je serai de retour ".

Ce qui est sympathique est que le speakerine sait qu’elle ment, que le président sait qu’elle ment, qu’elle sait que le président sait qu’elle ment et que les téléspectateurs savent que tout ce beau monde leur ment ! Et les autres chaînes satellitaires arabes ont diffusé une partie de l’entrevue de Nile TV alors qu’elles préparent toutes des dossiers spéciaux pour le grand événement qui ressemble à un cri de naissance après un accouchement difficile !

Mais même si le président s’entête, où peut-il bien aller ? C’est une affaire contre laquelle la puissance de la police, de la " sécurité centrale " et des bombes lacrymogènes ne peuvent rien ! Le fait est que le président souffre de l’impuissance de la vieillesse et des hommes mûrs même s’il emmène avec lui, en Allemagne, sa teinture pour cheveux. L’Allemagne pourrait, selon certains, entrer dans l’histoire de l’Egypte par la grande porte. La porte que nous appelons – nous Egyptiens – " porte de la délivrance " !

C’est juste une question de temps. Et nous en Egypte, contrairement au reste de l’humanité, méprisons le temps ! Et avons même baptisé notre façon de réagir vis-à-vis de lui de ce nom moche : la patience !

Mais l’autre anecdote, qui est venue de la télévision égyptienne – où travaillent des milliers d’Egyptiens – fut le vox populi réalisé pour connaître la réaction des gens de la rue au sujet de la maladie du président et de son voyage pour se soigner. Ceci m’a rappelé le film : " le début " où on se moquait de la façon avec laquelle on faisait apprendre leurs partitions aux citoyens simples. Des paroles qu’ils répéteront une fois que la caméra aura commencé à tourner. C’est Ahmed Zaki qui avait superbement joué le rôle du pauvre travailleur affamé qui, au moment du début du tournage, commençait à répéter, tel un perroquet, une litanie de louanges pour le gouvernement et pour le président décrit tel le dieu du pain et de la prospérité !

Bref, les citoyens ont commencé à donner leur avis (et à répéter les paroles apprises auparavant) sur la maladie du président et lui ont souhaité prompt rétablissement et bonne santé sans parler d’autres " facéties " telles : " l’Egypte sans toi n’est rien du tout. Sans toi, nous sommes perdus, etc.… ". Mais, le plus joli et le plus éloquent commentaire est venu d’un homme aux allures modestes. On dirait bien que le producteur de l’émission n’a pas compris son message – ou qu’il l’a compris mais l’a diffusé puisqu’il peut être sujet à interprétation et que le producteur pourrait sauver sa peau en jouant à l’imbécile. Le citoyen simple a dit : " Le Raïs…que dieu le garde…que dieu le garde…Il a déjà survécu à toutes les tentatives infructueuses auparavant... Mais cette fois-ci…in’challah…in’challah…Dieu s’occupera de lui ! !

(…)

* Ecrivaine de l’Egypte

howayda5@hotmail.com

Traduit par : Taïeb Moalla, tmoalla@yahoo.com

Taïeb Moalla
Coalition Québec/Palestine

tmoalla@yahoo.com