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Le socialisme et l’Homme à Cuba -Message d’Ernesto Che Guevara

Publie le samedi 6 mars 2004 par Open-Publishing

Extraits de 3 pages d’un texte du Che suivi d’un extrait d’un texte de Thomas Sankara ( "Che est aussi africain" - 1 page)

Le socialisme et l’Homme à Cuba
par
Ernesto Che Guevara
20pages.
Edition Pathfinder

Cet article a été écrit sous la forme d’une lettre à Carlos Quijano, alors directeur de l’hebdomadaire Marcha publié à Montevideo en Uruguay le 12 mars 1965.

Dans la lutte idéologique contre le socialisme, il est courant d’entendre de la bouche des porte-parole capitalistes que ce système social ou la période de construction du socialisme à laquelle nous nous attelons se caractérise par le sacrifice de l’individu sur l’autel de l’Etat. Je ne vais pas essayer de réfuter cette affirmation sur une base simplement théorique, mais je rétablirai les faits tels qu’ils sont vécus à Cuba, en ajoutant des commentaires d’ordre général.
Tout d’abord, j’ébaucherai à grands traits l’histoire de notre lutte révolutionnaire avant et après la prise du pouvoir.

Ainsi est apparu clairement dans l’histoire de la révolution cubaine un élément qui se manifestera systématiquement : les masses.
Cet être aux visages multiples n’est pas, comme on le prétend, une somme d’éléments tous semblables, agissant comme un troupeau docile.
Ce qui est difficile à comprendre pour qui ne vit pas l’expérience de la révolution, c’est cette étroite unité dialectique qui existe entre chaque individu et les masses, c’est l’interaction qu’il y a entre les masses comme ensemble d’individus et leurs dirigeants.
Sous le capitalisme, l’homme est dirigé par un ordre rigide qui échappe habituellement au domaine de sa compréhension. Aliéné, l’individu est lié à la société dans son ensemble par un invisible cordon ombilical : la loi de la valeur. Celle-ci agit sur tous les aspects de sa vie, modelant son cours et son destin.
Invisibles pour la plupart des gens et elles-mêmes aveugles, les lois du capitalisme agissent sur l’individu sans que celui-ci s’en aperçoive. Il ne voit qu’un vaste horizon qui lui semble infini. C’est ainsi que la propagande capitaliste prétend tirer du cas Rockefeller, véridique ou non, une leçon sur les possibilités du succès. La misère qu’il faut accumuler pour que surgisse un tel exemple et la somme des bassesses qu’implique une fortune de cette ampleur n’apparaissent pas dans le tableau. Et il n’est pas toujours possible aux forces populaires de tirer au clair ces concepts.
(Il faudrait ici étudier comment dans les pays impérialistes, les ouvriers perdent leur conscience internationaliste de classe sous l’influence d’une certaine complicité dans l’exploitation des pays dépendants et comment, en même temps, ce fait affaiblit l’esprit de lutte des masses. Mais cette question sort du propos de ces notes.)
De toute façon, le chemin à parcourir est plein d’obstacles et apparemment, seul un individu possédant les qualités nécessaires peut les franchir pour arriver au ut. La récompense se laisse voir au loin, mais le chemin est solitaire. De plus, c’est la loi de la jungle : seul l’échec des autres permet la réussite.
Je vais essayer maintenant de définir l’individu, acteur de ce drame étrange et passionnant qu’est la construction du socialisme, dans sa double existence d’être unique et de membre de la communauté.
Je crois que le plus simple est de reconnaître sa qualité d’être incomplet, de produit inachevé. Les tares de l’ancienne société se perpétuent dans la conscience individuelle et il faut faire un travail incessant pour le faire disparaître. Le processus est double. D’un coté, c’est la société qui agit avec son éducation directe et indirecte. De l’autre, c’est l’individu qui se soumet à un processus conscient d’auto-éducation.
La nouvelle société en transformation doit combattre très durement le passé. Celui-ci se fait sentir non seulement dans la conscience individuelle, où pèsent les résidus d’une éducation systématique orientée vers l’isolement de l’individu, mais aussi dans le caractère même de cette période de transition où persistent les rapports marchands. La marchandise est la cellule économique de la société capitaliste. Tant qu’elle existera, ses effets se feront sentir dans l’organisation de la production et, par conséquent, dans la conscience.

On court alors le risque que les arbres cachent la forêt. En poursuivant la chimère de réaliser le socialisme à l’aide des armes ébréchées que nous a léguées le capitalisme, on risque d’aboutir à une impasse.
Comme je l’ai déjà dit, dans les moments de péril extrême, il est facile de faire agir les stimulants moraux. Mais pour maintenir leur vigueur, il faut développer une conscience où les valeurs acquièrent une nouvelle signification. La société dans son ensemble doit devenir une gigantesque école.
Pour nous, l’éducation directe a une importance beaucoup plus grande. L’explication est convaincante parce qu’elle est vraie.

Dans cette période de construction du socialisme, nous pouvons assister à la naissance de l’homme nouveau. Son image n’est pas encore tout à fait fixée. Elle ne pourra jamais l’être étant donné que ce processus est parallèle au développement de nouvelles structures économiques.
En dehors de ceux que l’insuffisance de leur éducation pousse vers un chemin solitaire, vers la satisfaction égoïste de leurs ambitions, il y a ceux qui, même à l’intérieur du nouveau cadre d’évolution collective, ont tendance à avancer isolés de la masse qu’ils accompagnent. L’important c’est que l’homme acquièrent chaque jours un une plus grande conscience de la nécessité de leur incorporation dans la société et, en même temps, de leurs importance comme moteur de celle-ci.

Le chemin est long et plein de difficultés. Quelquefois, nous nous engageons dans une impasse et nous devons reculer. D’autres fois, nous avançons trop vite et nous nous séparons des masses. En certaines occasions, nous allons trop lentement et nous sentons l’haleine toute proche de ceux qui nous talonnent. Dans notre ambition de révolutionnaire,nous essayons d’aller aussi vite que possible en frayant le chemin. Mais nous savons que nous devons tirer notre substance des masses et que celles-ci ne pourront avancer plus rapidement que si nous les encourageons par notre exemple.

Malgré la carence d’institutions, ce qui doit être surmontée graduellement, les masses font maintenant l’histoire comme un ensemble conscient d’individus qui luttent pour une même cause. Sous le socialisme, l’homme est plus complet malgré son apparente standardisation. Malgré l’absence d’un mécanisme parfaitement adapté, sa possibilité de s’exprimer et de peser dans l’appareil social est infiniment plus grande.
Il est encore nécessaire d’accentuer sa participation consciente, individuelle et collective, à tous les mécanismes de direction et de production et de la lier à l’éducation technique et idéologique, pour qu’il sente combien ces processus sont étroitement interdépendants et leur progression parallèle. Ainsi, les chaînes de l’aliénation une fois brisées, il atteindra la conscience totale de son être social, sa pleine réalisation en tant que créature humaine.
Ceci se traduira concrètement par la reconquête de sa nature propre dans le travail libéré et par l’expression de sa condition humaine dans la culture et l’art.
Pour permettre à l’homme de se développer de la première de ces manières, le travail doit changer de nature. L’homme marchandise doit cesser d’exister et il faut mettre en place un système qui verse une quote-part pour l’accomplissement du devoir social. Les moyens de production appartiennent à la société et la machine n’est que la tranchée où s’accomplit le devoir.

Le socialisme est jeune, il a ses erreurs. Nous, révolutionnaires, manquons souvent les connaissances et de l’audace intellectuelle nécessaires pour faire face à la tâche de développer l’homme nouveau. Les méthodes conventionnelles sont marquées du sceau de la société qui les a créés.
Il manque le développement d’un mécanisme idéologique et culturel qui permette la recherche et le déracinement de la mauvaise herbe qui se multiplie si facilement sur le terrain fertile de la subvention étatique.
C’est l’homme du 21ème siècle que nous devons créer, même si ce n’est encore qu’une aspiration subjective et non systématisée. C’est précisément l’un des points fondamentaux de notre étude et de notre travail.
Les grandes masses se développent. Les idées nouvelles atteignent un élan adéquat au sein de la société. Et les possibilités matérielles de développement intégral de tous ses membres rendent le travail beaucoup plus fructueux. Le présent est fait de luttes. L’avenir nous appartient.
Notre tâche est d’empêcher la génération actuelle déchirée par ses conflits de se pervertir et de pervertir les nouvelles générations. Nous ne devons pas créer des salariés soumis à la pensée officielle ni des « boursiers » vivant à l’abri du budget d’Etat et exerçant une liberté entre guillemets. Les révolutionnaires qui chanteront l’homme nouveau avec l’authentique voix du peuple viendront. C’est un processus qui demande du temps.

Il ne s’agit pas du nombre de kilos de viande que l’on mange, ni du nombre de fois où l’on peut aller à la plage, ni du nombre d’articles que l’on peut s’acheter avec les salaires actuels. Il s’agit précisément qui l’individu se sente plus riche intérieurement et beaucoup plus responsable.

Permettez moi de dire, au risque d apparaître ridicule que le vrai révolutionnaire est guidé par de grands sentiments d’amour.

Permettez moi de tirer quelques conclusions.
Nous autres socialistes, nous sommes plus libres parce que nous sommes plus complets. Nous sommes plus complets parce que nous sommes plus libres.
Le squelette de notre pleine liberté est prêt. Il ne lui manque plus que la chair et les vêtements. Nous les créerons.
Notre liberté et notre pain quotidien ont la couleur du sang et sont gonflés de sacrifices.
Notre sacrifice est conscient. C’est le prix de la liberté que nous construisons.
Le chemin est long et en partie inconnu. Nous connaissons nos limites. Nous ferons l’homme du 21ème siècle - nous-mêmes.
Nous nous forgerons dans l’action quotidienne en créant l’homme nouveau et une technique nouvelle.
Si cette lettre balbutiante éclaire quelque chose, elle aura rempli son objectif.
Recevez notre salut rituel comme une poignée de main ou un « Ave Maria Purisima »
La patrie ou la mort.

Ernesto Che Guevara



Che est aussi Africain
Par
Thomas Sankara
Edition Pathfinder

Ce discours à été prononcé le 8 octobre 1987 par Thomas Sankara, le président du Burkina Faso, lors de l’inauguration d’une exposition photographique sur Ernesto Che Guevara.. Exactement une semaine plus tard, un coup d’Etat a coûté la vie à Sankara et renversé le gouvernement révolutionnaire qu’il dirigeait depuis le 4 août 1983.

Ce matin, de façon modeste, nous sommes venus ouvrir cette exposition qui tente de tracer la vie et l’œuvre de Che. En même temps, aujourd’hui nous voulons dire au monde entier que Che Guevara pour nous n’est pas mort. Car partout dans le monde existent des foyers où les hommes luttent pour plus de liberté, plus de dignité, plus de justice, plus de bonheur. Partout dans le monde, les hommes luttent contre l’oppression, la domination, contre le colonialisme, contre le néocolonialisme et l’impérialisme, contre l’exploitation de classe.

Che Guevara a été fauché par des balles, des balles impérialistes sous les cieux de Bolivie. Et nous disons que Che Guevara, pour nous, n’est pas mort.

Che Guevara, argentin de par son passeport, est devenu cubain d’adoption par le sang et la sueur qu’il a versés pour le peuple cubain. Et surtout, il est devenu citoyen du monde libre, le monde libre qui est ce monde qu’ensemble nous sommes en train de bâtir. C’est pourquoi nous disons que Che Guevara est aussi africain et burkinabé.

Le Che est un homme, mais un homme qui a su nous montrer et nous éduquer dans l’idée que nous pouvons oser avoir confiance en nous et avoir confiance en nos capacités. Le Che est parmi nous, ensemble.
Je voudrai donc dire : qu’est ce le Che ? Le Che pour nous, c’est d’abord la conviction, la conviction révolutionnaire, la foi révolutionnaire dans ce que tu fais, la conviction que la victoire nous appartient, que la lutte est notre recours.
Le Che, c’est aussi l’humanisme. L’humanisme cette générosité qui s’exprime, ce don de soi qui a fait du Che non seulement un combattant argentin, cubain, internationaliste, mais aussi un homme, avec toute la chaleur.
Le Che est aussi et surtout l’exigence. Exigence de celui-la qui a eu la chance de naître dans une famille aisée mais qui a su dire non à ces tentations, qui a su tourner le dos aux facilités, pour au contraire s’affirmer comme un homme qui fait cause commune avec la misère des autres. L’exigence du Che, voila ce qui doit nous inspirer le plus.

C’était beaucoup plus l’esprit du Che que les balles ont visé, plutôt que son image. Sa photo est partout dans le monde. Sa photo est partout dans les esprits et sa silhouette est l’une des plus familière. Faisons donc en sorte que nous puissions mieux connaître le Che.
Approchons donc le Che. Approchons-le, non pas comme nous le ferions d’un dieu, non pas comme nous le ferions de cette idée, de cette image au dessus des hommes, mais faisons le avec le sentiment que nous allons vers un frère qui nous parle et à qui nous pouvons également parler. Faisons en sorte que les révolutionnaires s’inspirent de l’esprit du Che, pour être eux aussi internationalistes, pour savoir eux aussi bâtir avec les autres hommes la foi, la foi dans la lutte pour la transformation de la société, contre l’impérialisme, contre le capitalisme.

Enfin souvenons nous du Che simplement comme ce romantisme éternel, cette jeunesse si fraîche et si vivifiante, et en même temps cette lucidité, cette sagesse, ce dévouement que seuls les hommes profonds, les hommes de cœur peuvent avoir. Le Che, c’était la jeunesse des 17 ans, mais le Che, c’était également la sagesse des 77 ans. Cette alliance judicieuse est celle la que nous devons avoir en permanence. Le Che, c’était le cœur qui parlait. C’était aussi le bras vigoureux et intrépide qui agissait.

Camarades, je voudrais enfin me réjouir que nous ayons, ici à Ouagadougou, immortalisé les idées de Che par cette rue que nous avons baptisée Che Guevara.
Chaque fois que nous penserons au Che, nous tenterons de lui ressembler et de faire revivre l’homme, le combattant. Et surtout chaque fois que nous aurons l’idée d’agir comme lui dans l’abnégation, dans le refus des biens bourgeois qui tentent de nous aliéner, dans le refus aussi des facilités mais dans l’éducation et la discipline rigoureuse, de l’éthique révolutionnaire - chaque fois que nous aurons tenté d’agir ainsi, nous aurons mieux servi les idées de Che, nous les aurons mieux répandues.
La patrie ou la mort, nous vaincrons !

Thomas Sankara.