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Le sort du Festival d’Avignon reste en suspens

Publie le vendredi 4 juillet 2003 par Open-Publishing
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in : http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3246--326381-,00.html


Le sort du Festival d’Avignon reste en suspens
LE MONDE | 03.07.03 | 14h27

Dans la Cité des papes, un forum a rassemblé 450 professionnels venus
de toute la France. Il a mis au jour une contestation qui dépasse
largement le refus de l’accord sur l’indemnisation-chômage.
Avignon (Vaucluse) de nos envoyées spéciales

Le Festival d’Avignon aura-t-il lieu ? On peut en douter. L’ambiance
est tendue, et la situation sur le fil du rasoir. Au cours du forum
organisé au cloître des Célestins mercredi 2 juillet, à l’initiative
des intermittents du festival, un vent de révolte soufflait.

Il dépassait largement la question des accords du 27 juin qui
rénovent le régime d’indemnisation-chômage des intermittents du
spectacle.

Il fut question de grève et d’annulation du festival, mais aussi de
retraites, d’éducation, de recherche... On entendit même réclamer la
libération de José Bové et en appeler à l’insurrection. Ce que
résumait ainsi un intervenant : "Le mois de juillet est un bon mois
pour reprendre la Bastille."

Ils étaient 450, des intermittents d’Avignon, des membres de
collectifs venus de toute la France, des directeurs de théâtre, des
syndicalistes, des artistes et des techniciens. Presque tous unis
derrière le slogan "No culture, no future".

Presque tous réfractaires aux deux voix opposées qui se firent
entendre haut et clair : celles d’Ariane Mnouchkine et de Patrice
Chéreau, venus défendre l’idée que l’annulation du Festival d’Avignon
était suicidaire. "J’ai le devoir de vous dire que j’aurais aimé
autre chose que cette autodestruction, que ce bûcher que vous êtes en
train d’élever", dit Ariane Mnouchkine, invitée avec la nouvelle
création du Théâtre du Soleil, Le Dernier Caravansérail : "On doit
pouvoir se parler. Nous sommes en lutte contre le pouvoir. Faisons
attention à ne pas donner l’image d’une profession qui s’entre-
déchire." Patrice Chéreau a, de nouveau, fait remarquer qu’il n’était
pas "fondamentalement choqué" par l’accord (Le Monde du 3 juillet).
"Il préserve le statut des intermittents, qui était menacé. Il y a eu
une négociation, il y a des pertes et des avancées."

On entendit alors dans le public, à propos d’Ariane Mnouchkine :
"C’est maman qui parle"- ce à quoi elle répondit : "Oui, j’en ai
l’âge." Patrice Chéreau a été d’autant plus sifflé qu’il s’est
attaqué de front à Michel Gautherin, délégué général du Syndicat
français des artistes interprètes (SFA-CGT), très virulent dans sa
mise en cause des accords, que la CGT a refusé de signer : "Des gens
vont tomber. Les plus petits seront morts. Nous avons un pistolet sur
la tempe" - propos que Patrice Chéreau a qualifiés de "démagogiques".

"PRESSIONS MULTIPLES"

La coordination du forum avait prévu un protocole d’intervention, qui
fut très vite bousculé par l’arrivée de Jan Fabre, le chorégraphe
flamand qui répète Je suis sangdans la Cour d’honneur : "Nous
laissons la parole à Jan Fabre, qui doit travailler", précisa une
organisatrice. "Il est dangereux d’annuler le Festival, dit l’homme
de Gand, parce que c’est une voix qui défend la beauté, une plate-
forme offerte aux techniciens et aux artistes pour faire entendre
cette voix."

Et voilà que déboule à la tribune Djamal, qui se qualifie
d’"investisseur" et affirme parler au nom des commerçants d’Avignon :
"Nous sommes concernés au premier chef par le Festival d’Avignon"
("Non, au deuxième", dit-on dans les gradins)... "Oui, au deuxième ou
au troisième. Nous soutenons les actions des intermittents. Ils
coûtent cher, mais ils rapportent du pognon."

Un membre du collectif Culture en danger vient de Montpellier pour
apporter son soutien. Il évoque "les pressions multiples" dont les
grévistes ont fait l’objet de la part des directeurs des festivals
annulés (en particulier à Montpellier et à Marseille) : "Ils estiment
qu’on se trompe de cible, mais, pour nous, la seule méthode, c’est de
faire la grève des spectacles." Il est heureux de lire la lettre
signée par neuf directeurs de théâtre du Languedoc-Roussillon, dont
Jean-Claude Fall, à la tête des Treize Vents, de Montpellier : "Nous
comprenons que les intermittents n’ont pas d’autre moyen pour se
faire entendre, et nous les soutenons."

Un représentant du Collectif du 25-février, très actif à Avignon et
dans la région, porte plus loin l’enjeu de la grève. "Le mouvement
dépasse le cadre corporatiste pour s’intéresser à la société en
général. Le dossier est entre les mains du gouvernement. Quand Luc
Ferry n’est pas à la hauteur, il envoie Sarkozy. Quand Aillagon n’est
pas à la hauteur, il envoie Super-Sarkozy" - lequel viendra
effectivement à Avignon vendredi 4 juillet. "Il faut initier un
mouvement plus large", enchaîne un représentant du collectif de Basse-
Normandie, qui précise que "de nombreux collectifs n’obéissent à
aucun mot d’ordre syndical". Il poursuit : "Notre condition est celle
de nombreux salariés. Il faut trouver le moyen d’entrer en lutte
contre ce gouvernement néolibéral à forte tendance autoritaire, voire
totalitaire, et prouver à Raffarin que la rue peut gouverner."

MANIFESTATION LE 8 JUILLET

Pour organiser la lutte, la coordination des Arts de la rue a ouvert
un site Internet qui propose "un kit de la grève, avec tout ce qu’il
faut pour former un bon petit militant", dont des tracts tout prêts
et des listes à faire signer au public. Il appelle à "une
manifestation géante" le mardi 8 juillet à Avignon. Dans ce forum,
qui a pris une allure de défouloir, M. Gautherin affirme : "Ce ne
seront ni les intermittents ni les professionnels qui feront péter le
Festival, mais la décision cynique du gouvernement et du ministre de
la culture."

Visiblement fatiguée, Appoline Quintard, la directrice du festival de
Marseille, passe en coup de vent pour rappeler qu’elle a été
contrainte d’annuler le festival, parce que "aucune possibilité de
dialogue ne -lui- a été offerte par l’équipe technique avec qui -elle-
travaille depuis des années".

Patrice Poyet, le directeur de Danse à Aix, qui devrait commencer le
19 juillet, renvoie la balle aux intermittents en leur lançant une
injonction : "Je vous demande de vous radicaliser. Assumez de prendre
le public en otage. C’est à vous d’annuler les festivals. Et d’en
prendre la responsabilité."

Qu’en pensent les artistes invités dans le "in" ? Eric Lacascade, qui
revient avec Platonov, et Stanislas Nordey, qui crée une pièce de
Martin Crimp, sont sur la même ligne, qu’ils expriment de manière
différente : "Les chefs de projet n’ont pas vraiment le choix face à
la montée de ce désespoir et de cette violence", dit le metteur en
scène de Tchekhov. Le 16 juillet, date de la première dans la Cour
d’honneur, il décidera avec son équipe de poursuivre ou non la grève.
Pour Stanislas Nordey, "l’attitude de ceux qui se battent aujourd’hui
n’est pas suicidaire. C’est le geste sain de gens en danger de mort".
Valère Novarina juge au contraire "peu judicieux de saborder le
Festival".

C’est aussi l’avis du chorégraphe Angelin Preljocaj : "Si le Festival
est annulé, il n’y aura plus personne pour écouter ce qu’on a à dire.
Annihiler le Festival, c’est annihiler l’action. Il faut savoir
organiser la pression, mais, quand on négocie avec une grenade à la
main, il faut faire gaffe à ce qu’elle ne nous pète pas à la figure."
Sera-t-il entendu ?

Brigitte Salino et Nicole Vulser

Deux directeurs, deux attitudes

Bernard Faivre d’Arcier, le directeur du Festival, ne s’est pas
exprimé au cours du forum, auquel il a assisté "pour prendre la
température". Il a envoyé un courrier au président de la République,
au premier ministre et au ministre de la culture et de la
communication pour les enjoindre de "faire un geste fort, symbolique,
en direction des intermittents". Alain Léonard, le directeur
d’Avignon-Public-Off, l’association qui gère les 595 compagnies
prévues cette année, a organisé une assemblée générale qui s’est
tenue dans la foulée du forum. "Rien n’a été décidé. Nous n’avons
voté ni pour ni contre la grève."

Seuls ont été arrêtés le principe de la gratuité de tous les
spectacles du "off", le mercredi 9 juillet, et celui d’une
manifestation place de l’Horloge, tous les jours à partir du jeudi 3
juillet. "Tout le monde sera vêtu de noir et bâillonné, pour montrer
que la parole des artistes est censurée."

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