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Le travail des intermittents doit être reconnu.
Un mouvement « interluttant »
Par Ariel NATHAN
mardi 05 août 2003
Stop ! Arrêtez le massacre ! Nous ne sommes pas des inter ni des mi-temps, nous avons des métiers : comédiens, chorégraphes, réalisateurs, saxophonistes, ingénieurs du son, clowns...
Dans le grand choc des cultures qui s’est produit cet été, la guerre des mots a son importance. Ce sont bien des comédiens et des artistes qui ont pris la décision de ne pas jouer en Avignon et qui l’ont fait la mort dans l’âme. Ce choc a permis de lever le voile sur le fonctionnement social et économique d’un système en crise mais a trouvé ses limites en créant une unité factice sur la défense d’un statut social particulier.
Pour ma part, je veux cesser de participer à cette triche, assumée par tout un secteur d’activité qui consiste à économiser les coûts réels de nos films ou des spectacles grâce au fameux « statut ». Si l’accord du 26 juin est un mauvais accord, c’est qu’il continue à organiser cette triche en s’attaquant aux plus faibles, en excluant du système de protection sociale ceux et celles qui sont les plus fragiles, protégeant les « permitents » intégrés à un système de réduction des coûts du travail par la flexibilité totale.
Nous vivons dans une société qui fabrique cinq millions de chômeurs et de précaires et je crois simplement que nous faisons fausse route en nous cramponnant à un régime spécifique. Comment le justifier par rapport à des ouvriers saisonniers qui travaillent dans la volaille ? et par rapport à mes amis photographes, plasticiens, peintres, journalistes à la pige ? Comment, au nom d’une situation d’artistes autoproclamée, pouvons-nous défendre un statut d’indemnisation chômage à part ?
Autant revendiquer un statut d’employés d’Etat (peut-être serait-ce plus clair pour certains d’entre nous quand 90 % de notre travail est subventionné par l’Etat sous forme de subventions et d’Assedic). Autant revenir à l’ex-ORTF, quand réalisateurs et techniciens disposaient de cartes professionnelles, avaient un seul employeur. Chacun conviendra qu’il est impossible de revenir en arrière, mais il est possible de corriger des anomalies en réintégrant une partie des intermittents dans l’audiovisuel public et en mettant fin aux contrats de convenance des sociétés de prestation.
Les artistes que nous sommes sont aussi des travailleurs comme les autres et des sociologues ont montré que le modèle du travailleur libre, performant et précaire fait partie intégrante de la métamorphose du capitalisme (1). Il serait même devenu un laboratoire modèle pour d’autres professions.
Dans une société marchande, la valeur de notre travail est marchande, qu’on le veuille ou non, et la question doit être posée aux employeurs du spectacle vivant et de l’audiovisuel : payez-nous au bon prix car nous avons des qualifications reconnues qui font vivre des centaines de festivals, qui alimentent des milliers d’heures de programmes.
Oui, un bon film coûte cher, mais il attire du monde, est acheté par des chaînes de TV ou des distributeurs de cinéma. Oui, un film expérimental qui attire peu de monde coûte cher aussi et devra être aidé, et ce sera un choix de politique culturelle, pas un choix d’intermittence. Oui, un jeu TV débile qui attire encore plus de monde coûte cher et c’est encore moins au régime chômage de participer à ce désastre de l’esprit.
Ce que nous devons demander c’est tout simplement la reconnaissance de notre travail, de tout notre travail. Et il nous faut penser à de nouveaux mécanismes de solidarité qui amortissent les chocs inévitables dans le domaine de la culture. Inventons des jeux du loto « spécial spectacle vivant » qui financeraient des mutuelles d’artistes.
Augmentons la redevance audiovisuelle, négocions de nouvelles responsabilités du service public en matière de création et de sous-traitance de cette création dans le secteur de la production indépendante.
Mais, s’il vous plaît, plus de régime particulier d’intermittents ! Défendre l’exception culturelle n’est pas défendre l’exception sociale !
Pas d’alignement vers le bas, mais plutôt un élargissement de ce régime particulier à tous les salariés : la question est posée d’un salaire minimum pour tous. Déjà, des secteurs entiers de la société sont devenus « intermittents », saisonniers, intérimaires ou exclus de tout système d’indemnisation. Un salaire minimum pour tous (pas un RMI ou un RMA) en échange de trois mois de travail par an permettrait à tous de créer des activités libres dans le domaine associatif, permettrait à tous de travailler plus selon son envie et sa formation.
Je pense qu’ainsi nous pourrions être mieux compris et nous engager dans un mouvement commun des « interluttants », de tous ceux qui refusent le piège des mots corporatistes. Ainsi, nous pourrions retrouver le public avec des élans de vie et des émotions à partager, et faire perdre au camp d’en face son pari sur la peur et la gestion comptable de la création culturelle.
(1) Portrait de l’artiste en travailleur, Pierre-Michel Menger, Seuil, 2003.