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« Le travail pour tous » au niveau local

Publie le samedi 31 juillet 2004 par Open-Publishing

Selon une association, les indemnisations chômage pourraient financer de nouveaux emplois.

Par Sonya FAURE

Ils étaient six bénévoles, des retraités surtout, à courir, pendant deux ans, les chambres syndicales, les très petites entreprises ou les exploitations agricoles de la communauté de communes du Val-de-Cher-Saint-Aignan (Loir-et-Cher). Deux ans à lister les besoins en emplois du coin : 3 ouvriers viticoles, 1 bibliothécaire, 1 orthophoniste... « On n’avait pas les effectifs de General Motors, mais on a réussi à prouver qu’il n’y avait pas de fatalité sur le chômage. Selon nos calculs, 451 emplois pourraient être créés d’ici 2006 dans notre zone, alors qu’on y compte 605 demandeurs d’emploi », affirme Benoît Cribier, ex-responsable du personnel de Poulain et membre de l’association Un travail pour chacun (UTC) (1).

UTC a été créée en 1994 par Jacques Nikonoff, aujourd’hui président d’Attac. Son but : prouver que « le travail pour tous serait aussi facile à mettre en place que l’école pour tous ». L’association réunit des énarques, des ouvriers retraités, des responsables syndicaux... En 1998, elle publie Chômage : nous accusons !, où elle estime que le chômage coûte environ 12 % du PIB de l’époque. « 1 100 milliards de francs, passés dans l’indemnisation chômage, le RMI, l’ASS, les manques à gagner en impôt, les cotisations sociales... Le "plein emploi" coûterait moins cher que le chômage », rappelle Jean Bidegaray, médecin à la retraite. Pour vérifier ces hypothèses, au niveau local, UTC signe en 2002 une convention avec le secrétariat d’Etat à l’Economie solidaire de Guy Hascoët. Quatre bassins d’emploi sont choisis pour mener des études. Sur au moins trois d’entre eux, « on pourrait ramener le taux de chômage de 10 % à un peu plus de 3 %». UTC prône une « activation des dépenses passives » versées aux chômeurs : transformer les indemnisations en financements pour de nouveaux emplois ; baisser les impôts aux entreprises qui augmentent leurs effectifs ; créer des emplois dans le service non-marchand ; former les chômeurs... Exemple dans le val de Cher : « Le chômage y coûte 11,5 millions par an, soit 28 109 euros par chômeur, soutient Benoît Cribier. Nous voudrions réorienter ces dépenses, en développant par exemple l’économie solidaire : un chômeur reçoit la promesse d’embauche d’une association qui n’a pas les moyens de le payer. L’Etat, l’Assedic, la CAF verseraient l’argent que ce sans-emploi leur "coûte" à un fonds d’investissement pour l’emploi qui subventionnerait son emploi dans l’association. » Selon René Jibault, qui s’est occupé des simulations dans la banlieue de Rouen, le fonds pourrait payer la totalité du salaire d’un ex-chômeur à une entreprise. « Reste à voir sous quelle forme : il n’est pas question de subventionner un emploi gratuit à une entreprise faisant du profit. »

Sur le papier, l’idée est plaisante. Mais les besoins en emploi correspondront-ils aux compétences des chômeurs de la région ? Une entreprise voudra-t-elle encore embaucher au prix « normal » quand l’Assedic subventionnera, indirectement, un emploi à sa concurrente ? « L’activation des dépenses passives est déjà à la base du revenu minimum d’activité ou du nouveau contrat d’activité proposé par le gouvernement Raffarin. L’originalité d’UTC est de personnaliser ce transfert, mais cela peut avoir un effet inégalitaire : un cadre récemment au chômage touchera plus de l’Assedic qu’un ouvrier, chômeur de longue durée : il aura donc plus à apporter à son employeur », tempère Pierre Cahuc, économiste au Centre de recherche en économie et statistique et auteur du livre le Chômage, fatalité ou nécessité ? (2). UTC a une vision plutôt statique du chômage. Or des salariés y entrent et sortent continuellement. « Si à chaque fois que l’un d’eux trouve du travail il conserve la même aide que lorsqu’il était sans emploi, ça revient à augmenter toujours plus le budget public », poursuit Pierre Cahuc. Dans la banlieue de Rouen, UTC mettra en place dès septembre un comité territorial pour l’emploi pour passer d’un modèle mathématique à une action concrète, avec le soutien de Laurent Fabius, de la région et du maire de Rouen. « Avant tout, il nous faut obtenir une dérogation de l’Etat qui permette de transférer les indemnités de l’Unedic ou le RMI vers les comités locaux », prévient Bidegaray. L’association a interpellé le ministère de l’Emploi, comme le Parti socialiste. Sans obtenir de réponse concrète. « On nous prend encore pour des utopistes... » (1) UTC, boîte postale 19 607, 75326 Paris cedex 07 (2) Le Chômage, fatalité ou nécessité ?, Pierre Cahuc et André Zylberberg, éditions Flammarion.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=227593&AG