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Les Genevois vont décider du sort de leurs chômeurs

Publie le lundi 25 octobre 2004 par Open-Publishing

La droite légifère, la gauche lance un référendum. Emplois temporaires en sursis.

de Jerome Faas et Fedele Mendicino

Les urnes décideront de l’avenir des emplois temporaires (ET). Vendredi à minuit, la majorité de droite du Grand Conseil adoptait la révision de la Loi cantonale sur le chômage. Le lendemain matin, la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) et l’Alternative annonçaient le lancement d’un référendum. S’il aboutit, ce qui représente une formalité, le peuple votera au printemps 2005, vraisemblablement le 5 juin, quatre mois avant les élections cantonales.

Le sort des chômeurs se transforme en enjeu électoral majeur. Dans ces conditions, Mario Cavaleri, le président du PDC, craint « que la gauche s’engage dans une campagne émotionnelle ». Lui faisant écho, Laurence Fehlmann-Rielle, son homologue du PS, se déclare « outrée et révoltée. Vendredi soir, les élus qui avaient encore un petit peu de cœur ont été muselés ».

Réduction de six mois des emplois temporaires

La révision de la loi réduit de six mois la durée des ET. A ce jour, les chômeurs ont droit à deux années d’indemnités fédérales (512 jours). Ils peuvent ensuite entamer un emploi temporaire d’une année. Ce mécanisme leur permet de relancer leur droit à deux années supplémentaires d’allocations. L’Entente et l’UDC proposent de réduire la durée des ET pour les moins de 55 ans. Dès lors, impossible pour eux de réactiver leur droit à de nouvelles indemnités. La droite préconise de se rabattre sur les allocations de retour en emploi (ARE) pour les assurés entre 25 et 55 ans. Le salaire de ces ARE serait financé pour moitié par l’Etat durant six mois (40% aujourd’hui).

Actuellement, quelque 1600 chômeurs bénéficient des ET et environ 160 des ARE.

« Ce projet précarise tous les salariés, s’emporte Rémy Pagani, élu de l’AdG. La durée d’indemnisation maximale passe de cinq à deux ans. » A ses yeux, le choix est simple : « Le peuple désire-t-il la loi de la jungle ou un filet social ? »

Le PS craint des déficits

« La gauche ne possède pas le monopole de la protection des travailleurs », rétorque le libéral Christian Lüscher. « La droite et les patrons sont les mieux placés pour savoir comment créer des emplois. »

Les allocations de retour en emploi privilégiées à droite

L’Alternative prête à l’Entente de sombres desseins. « Les chômeurs rejetés à l’assistance, le déficit de l’Etat s’aggravera. L’excuse sera alors toute trouvée pour tailler dans les budgets », prévoit Laurence Fehlmann-Rielle. L’avenir de certaines unités administratives inquiète au plus haut point Georges Tissot, vice-président de la CGAS. « Une trentaine d’ET travaillent au service de facturation de l’hôpital. Il ne dispose pas du budget pour les engager mais ne peut se passer d’eux. »

La droite, elle, préfère privilégier les ARE. Elle estime que les ET ont prouvé leur inefficacité. Cette analyse rejoint en partie les conclusions du rapport d’Yves Flückiger, professeur d’Economie politique à l’Université de Genève : « Les ET étaient destinés à favoriser la réinsertion et prolonger la durée d’indemnisation. » A ses yeux, le premier but n’est pas atteint. « Le chômeur est souvent stigmatisé par les employeurs. Un emploi de douze mois dans une administration n’est pas assez valorisé. »

L’avis de l’expert

Pour les ARE, le discours de l’expert est différent. « Une entreprise qui emploie un chômeur voit une partie de ses charges salariales imputées à l’Etat. Durant six mois, elle dépasse ses préjugés en testant la personne qu’elle peut ensuite engager. » A l’origine de cet outil, introduit en 1996, figure l’ancien ministre de l’économie Jean-Philippe Maitre : « Les effets sont encore insuffisants en matière de réinsertion, admet le démocrate-chrétien. Il manque la mobilisation de l’Etat et des partenaires sociaux. » Un effort d’information et de sensibilisation lui semble plus que jamais indispensable. « Mais pour autant que le poste soit de même nature, le chômeur doit se montrer plus ouvert aux propositions d’emploi. »
« Gardons les emplois temporaires »

Des demandes d’emploi, il en a écrit des centaines. Des entretiens, il en a soupé. Mais aujourd’hui, Nicolas Rod, 29 ans, a l’impression d’avoir mangé son pain noir. Engagé depuis un mois et demi à l’Université de Genève, ce biologiste reconverti à l’informatique occupe un emploi temporaire (ET) qui lui permet d’acquérir ce qui lui a souvent manqué : l’expérience. « C’est un cercle vicieux, résume-t-il. Faute de pratique, les employeurs classaient mon dossier et je suis resté deux ans au chômage. » Une période, « faite de hauts et de bas », durant laquelle il suivra des cours de programmation. « A l’issue de cette formation, payée par l’Etat, je pensais que j’avais plus de chance de trouver un job. » Mais ses espoirs seront déçus, « toujours à cause du manque d’expérience ».

L’été dernier, Nicolas Rod a épuisé sa patience et ses indemnités : « Je me disais que je n’étais peut-être pas à la hauteur. Puis le bureau de chômage m’a mis en contact avec l’Uni. Me voilà en train de plancher sur un projet de mise à jour du site de l’Uni. » Ironie du sort, le jeune chômeur avait tenté sa chance, quelques mois plus tôt, auprès du même service informatique de l’Université. Sans succès. « Mais cette fois, ça a marché. J’espère qu’à l’issue de mon mandat, mes connaissances me permettront de trouver du travail. »

Quoi qu’il en soit, le jeune homme ne comprend pas que la droite veuille raboter les emplois temporaires. « Il faut les maintenir et même les proposer plus rapidement. Grâce à ce type d’occupation, j’ai retrouvé le moral et la confiance. » Ce discours n’est pas l’apanage des chômeurs. Nous avons contacté un chef de service de l’administration cantonale tenant à garder l’anonymat. Depuis peu, ce dernier emploie une gérante de fortune quinquagénaire... en tant que réceptionniste. « Elle a galéré pendant deux ans au chômage, explique le fonctionnaire. Même si elle travaille en dessous de ses capacités, elle revit. Je ne sais pas si elle retrouvera du travail à la fin de son mandat ici, mais au moins elle prolonge ainsi sa période d’indemnisation. C’est quand même mieux que de l’envoyer à l’assistance publique, non ? » F. M.

http://www.tdg.ch/tghome/toute_info/geneve_et_region/chomeurs__25_10_.html