Accueil > Les chômeurs valent mieux que des clichés
de ERIC BUDRY
La majorité de droite du Grand Conseil genevois a osé. Elle a mis fin hier soir à un « acquis social », une spécificité genevoise qui plus est. Elle permettait à un chômeur de demeurer cinq ans dans le système des indemnités chômage : deux ans payés par Berne, une année d’emploi temporaire (ET) financée par le canton, et à nouveau deux ans d’indemnités fédérales relancées par les douze mois d’ET. En réduisant la durée de ces derniers, la droite, soutenue par le Conseil d’Etat, casse ce mécanisme et transforme beaucoup plus rapidement les chômeurs en « fin de droit ».
La droite a osé, mais elle devra défendre son choix devant le peuple. Car tant les syndicats que les partis de gauche ont prévenu que référendum il y aura. Et il faut s’attendre à une campagne musclée, qui ne sera pas exempte de dérapages verbaux similaires à ceux entendus au Grand Conseil. D’un côté l’angélisme de quelques-uns à gauche, pour qui le chômeur est par essence une victime impuissante du système, de l’autre l’idée nauséabonde de certains hommes de droite que le chômeur est forcément un feignant et un profiteur.
Complexe, le problème mérite une analyse plus fine qu’une succession de clichés. Objectivement, Genève a d’énormes difficultés avec son chômage. En septembre, le canton comptabilisait 15 816 chômeurs (taux de 7,2% en progression de 0,1%), record national absolu. Parallèlement, l’économie crée un nombre considérable de postes de travail (8,1% de nouveaux jobs entre 1999 et 2002) et le nombre de frontaliers explose. C’est le paradoxe genevois.
A droite, certains expliquent ce paradoxe par le « confort » excessif que procurerait le statut de chômeurs. Puisque l’on peut prendre le risque de ne pas accepter n’importe quel travail, profitons-en ! Un choix qui est un piège car - et là tout le monde est d’accord - plus est longue la période de chômage, plus il devient difficile d’en sortir. Officiellement, c’est la raison avancée pour en finir avec le régime des emplois temporaires.
Mais les détracteurs de la nouvelle loi ont beau jeu de montrer que l’écart entre le taux de chômage genevois et le taux suisse était tout aussi grand avant la création des emplois temporaires il y a dix ans. Cet écart s’expliquerait bien plus par d’autres spécificités : moyenne d’âge élevée des chômeurs et forte concurrence sur le marché de l’emploi par les frontaliers.
La gauche reconnaît par ailleurs que les ET sont actuellement trop peu formateurs, mais elle ne voit pas en quoi le nouveau système sera plus performant. Et c’est bien là que le bât blesse. S’il était envisageable de supprimer les ET pour les remplacer par un modèle crédible, on voit mal les allocations de retour en emploi (l’Etat paie une partie du salaire durant un an) se multiplier suffisamment pour compenser la disparition quasi totale des 1600 emplois temporaires existant aujourd’hui.
Si la loi est acceptée, le taux de chômage genevois diminuera... en repoussant hors des statistiques tous ceux qui arriveront en fin de droit. Cela s’appelle de la cosmétique et n’améliorera en rien la prise en charge réelle du chômage.
http://www.tdg.ch/tghome/toute_info/opinion/edito__23_10_.html