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Les danseuses ne réclament rien, par peur de perdre leur carte de séjour
Publie le lundi 8 décembre 2003 par Open-PublishingLe Moulin-Rouge les préfère muettes et étrangères
Par Judith RUEFF
Le conflit social au Lido révèle des pratiques générales dans le monde
du cabaret. A côté des grands noms, une centaine de petites salles proposent
ce genre de spectacle dans la capitale, sans aucune garantie quant aux
conditions de travail des salariés. « Nous les encourageons à faire signer
des contrats aux danseurs », indique simplement la déléguée générale de la
chambre syndicale des cabarets, qui compte 700 adhérents. Et au célébrissime
Moulin-Rouge ? Apparemment, tout va bien dans la maison du pied de la butte
Montmartre. La nouvelle revue marche fort, le chiffre d’affaires progresse.
Pourtant, le Moulin - qui appartient, comme le Lido, à la famille Clérico -
a connu, lui aussi, des convulsions sociales à la fin des années 90. Le
conflit entre la direction, les artistes et les techniciens s’est soldé, en
2000, par un accord d’entreprise passé avec les salariés. Deux délégués
syndicaux sont partis contre espèces sonnantes et trébuchantes. Et depuis,
les danseuses se taisent.
« Elles ont peur du chantage au non-renouvellement de contrats », explique
Michel Mironoff, machiniste de la CGT. Comme au Lido jusqu’à cette année, de
nombreuses étrangères sont employées avec des contrats courts. Les plus
jeunes s’en accommodent très bien, elles tournent d’un cabaret à l’autre.
D’autres restent plusieurs années et s’installent dans la précarité. « La
majorité sont des Australiennes et des Russes. Elles n’osent pas demander un
CDI, raconte une danseuse sous couvert d’anonymat. Elles savent que si elles
sont virées, elles n’auront plus ni visa ni carte de séjour. Comme elles ne
connaissent pas la loi, la direction leur explique que l’embauche "ça n’est
pas pour elles". » « Les contrats dépendent des accords internationaux,
justifie la direction. Pour les membres de l’Union européenne, on peut
renouveler deux fois maximum, pour les autres, autant que l’on souhaite. »
Une artiste confie aussi qu’« il faut des années pour obtenir la moindre
amélioration ». Même pour des questions de sécurité. « Par exemple, deux
filles sont posées sur une tour Eiffel qui se balance au-dessus du public :
on demande qu’elles soient attachées, mais on n’a jamais de réponse. » La
direction estime, elle, qu’il n’y a aucun danger.
Pour un cachet de 99 euros par soirée, il faut danser le French Cancan deux
fois (à 21 h, et 23 h 30), avec un seul jour de repos par semaine. Soit
douze représentations hebdomadaires. Celles qui sont bien vues peuvent
augmenter leur salaire avec des prestations télé ou des salons. Pas de
treizième mois, ni de jours fériés ou récupérés. Seuls trois jours sont
payés double (Noël, jour de l’An et 1er mai), et une prime de 600 euros
versée en fin d’année.
Plusieurs danseuses se sont syndiquées à la CGT, mais sans le dire sur leur
lieu de travail, par peur de représailles. « J’ai adhéré pour m’informer sur
mes droits et me protéger en cas de problème », explique l’une d’elles.
D’après Michel Mironoff, les volontaires ne sont pas légion pour devenir
représentant syndical. Interrogée, la direction affirme de son côté que « le
dialogue social est très ouvert ».