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L’humanité des débats
Les enfants soldats du néolibéralisme
Par Michel Sparagano, professeur de philosophie.
Y-a-t’il des stéréotypes politiques universels de l’éducation ?
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Pas très grand, dans les douze ans, noir, un garçon avec une mitrailleuse pointée par terre parce que trop lourde à porter, voilà pour nous l’image de l’enfant soldat rapportée, le plus souvent d’Afrique, par une télévision qui n’en est pas avare.
Comment en suis-je arrivé à faire le lien avec ce reportage télévisé où l’on expérimentait aux États-Unis un nouvel enseignement dans une école primaire ? On y voyait une dame assez élégante, cadre sup dans une banque, venir expliquer à des enfants de huit, dix ans que leur petit cochon est un peu une banque et que ce qu’il y a dedans est une épargne à faire fructifier ! S’ensuivait un cours sur ce qu’est un placement, des intérêts. Je me suis dit alors qu’il y a des terres qui se labourent très tôt.
Nul doute que ces enfants sauront très vite que le monde est un marché où les relations sont, d’abord, commerciales. Ils prépareront, peut-être, ensuite de grandes écoles où on leur confirmera que le monde est une jungle et la compétition la norme. Aider un camarade sera alors le signe évident que l’on ne mérite pas d’occuper les quelques places qui sont comptées. On retrouvera ces membres de la future élite en train d’arracher les pages des livres pouvant être utiles à leurs concurrents (camarade étant trop connoté), dans les bibliothèques de leur lycée (je n’invente pas). D’autres formateurs prendront le relais de la dame très chic du début et n’auront pas trop de mal à les persuader que la politique est un panier de crabes. Le « tous pourris » s’imposera comme un signe de grande maturité citoyenne et ces glorieux produits d’une éducation sélective s’avanceront dans la vie avec cette belle certitude que, si les problèmes sont collectifs, les solutions sont, évidemment, individuelles. Ils ricaneront de ces populistes qui flattent le peuple en lui faisant croire que tout citoyen est un expert de la politique, puisqu’il est un expert de sa propre vie. Car ils sauront, eux, que la politique est une affaire de spécialistes. Ne leur aura-t-on pas délivré des diplômes en « sciences politiques » ? On pourrait leur objecter que leur expertise ne concerne que la gestion de ce qui est et non l’imagination de ce qui pourrait être et que la politique n’est une science que parce qu’on l’a réduite à une gestion technicienne de la polis (la cité) en occultant tout ce qui concerne l’intuition des valeurs, des principes fondateurs d’un projet collectif (on leur aura épargné la lecture des Seconds analytiques d’Aristote qui soulignait il y a près de 2 500 ans qu’il n’y a pas de science des principes). Mais on peut penser qu’à ce moment-là ils ne seront plus des enfants et, conscients de leurs responsabilités, ils entreront, comme on dit, « dans la carrière ».
Comment en suis-je arrivé à faire le lien entre ces jeunes gens raffinés et le petit Africain de nos reportages ?
« Enfant soldat » est, je crois bien, la réponse à la question. On me dira que les choses ne sont pas comparables et qu’il y en a un qui tire de vraies balles. C’est exact, mais qui les lui vendra ? Et puis, on peut tuer sans mitrailleuse. Il faut une solide formation pour opposer aux Africains qui meurent du sida et qui menacent de se fabriquer des médicaments génériques que ce serait une entorse aux règles du commerce et au sacro-saint principe de la propriété commerciale (cf. l’opposition entre l’Afrique du Sud et l’industrie pharmaceutique nord-américaine).
À chaque soldat ses principes.