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Les esclaves noires du sexe

Publie le samedi 29 octobre 2005 par Open-Publishing

Les Filières africaines de la prostitution sera diffusé le 29 octobre à 22 heures sur Public Sénat, accessible sur la Télévision numérique terrestre (TNT), le câble et le satellite et sera suivi d’un débat.

de Anne Roy

"Et le prince charmant s’est transformé en crapaud." D’une voix quasi atone, une jeune fille dont on ne connaît ni le nom ni le visage raconte son histoire, atroce. Elle a rejoint un amant rencontré sur Internet qui lui a promis amour et mariage en France. Au lieu de quoi, son visa arrivé à expiration, elle a plongé dans l’enfer de la prostitution, dans la plus grande solitude, tout en continuant à s’inventer une existence de rêve pour sa famille.

Une autre raconte comment elle s’est prostituée pour rembourser les dettes faramineuses d’un fiancé flambeur. Ce sont deux des témoignages qu’ont choisis les journalistes Romaric Atchourou et Olivier Enogo pour leur film, les Filières africaines de la prostitution. Leur but : montrer une réalité partagée depuis environ cinq ans par un nombre croissant de jeunes filles. Leur enquête révèle l’ampleur du phénomène et de filières difficiles à percer.

Parfois mineures, les jeunes filles sont venues de pays d’Afrique dont elles taisent le nom, attirées par un rêve de papier glacé : l’Europe. Certaines ont rejoint une tante, d’autres ont été attirées par une agence matrimoniale qui a promis le paradis. Et dans tous les cas, c’est une rencontre d’infortune qui a mené au même résultat : la prostitution et, dans la majorité des cas, sans papiers, dans les conditions les plus précaires et les plus horribles.

La réalité de ces souffrances

Les journalistes ont voulu saisir la particularité de ces destinées tragiques, nourries par le désir de partir et entretenues par la peur, la précarité et la pression de ceux qui vivent « là-bas », qui se sont sacrifiés pour que leur enfant puisse partir ou qui ont besoin de leur argent pour faire vivre leur famille. Et qui ne connaissent pas toujours, du moins pas dans les détails, la réalité de ces souffrances. « Pour une fille qui va rentrer et se construire une villa, combien d’autres vont vivre un destin horrible ? Nous voulions montrer cette réalité-là », explique Olivier Enogo.

Pendant deux ans, il a récolté des témoignages, rencontré des prostituées, des associations qui travaillent auprès d’elles en France et dans leurs pays d’origine, des juristes et des membres de l’Office central de la répression de la traite des êtres humains (OCRETH). Une femme, Amély-James Koh Bela, a guidé et accompagné cette enquête : depuis plus de dix ans, elle consacre sa vie à connaître et faire connaître ce phénomène dramatique autant par son ampleur que par sa teneur.

Les filières sont souvent familiales

Les caractéristiques de la prostitution d’origine africaine compliquent la tâche de ceux qui veulent l’appréhender. Les filières sont petites, souvent familiales. « Ce ne sont pas des réseaux très grands ou très importants comme on en connaît avec l’Europe de l’Est, confirme Gérard Besser, président de l’Amicale du nid, une association qui vient en aide aux prostituées. Et depuis la loi dite sécurité intérieure, avec la présence de brigades spécialisées sur les lieux traditionnels, la prostitution se fait de plus en plus dans des lieux fermés : des bars montants ou des squats. Il y a aussi des petites annonces dans les journaux spécialisés. Les groupes se sont dispersés dans un rayon de cent kilomètres autour de Paris et sur les axes routiers en dehors des grandes villes de province. Ce qui rend d’autant plus difficile notre travail. »

Des filles en esclavage

Une autre dimension vient brouiller les pistes. Avant leur départ ou à leur arrivée, « qui se fait souvent par avion, avec des visas de tourisme », « les filles sont l’objet d’un maraboutage de telle sorte qu’elles subissent cet esclavage sans pouvoir psychologiquement envisager de s’en sortir », complète Gérard Besser.

Les associations qui interviennent dans le document, tout comme l’OCRETH, font toutes référence à cette particularité. Les mamas qui font office de proxénètes et prennent en charge les filles, ou les organisateurs, récupèrent auprès d’elles des cheveux, des ongles ou du sang de menstrues et se livrent à des cérémonies d’envoûtement censées sceller leur destinée. Les jeunes filles n’imaginent plus pouvoir se plaindre à l’extérieur. Et à ce jour, l’Amicale du Nid ne relève « qu’un seul cas, une jeune Nigériane, qui a osé dénoncer sa filière ». Olivier Enogo et Amély-James Koh Bela mentionnent les intimidations constantes, la disparition de prostituées qui avaient bravé l’interdit ou encore la prise, parfois sous contrainte, de drogue, comme autant d’éléments qui renforcent la dépendance étroite avec les mamas.

Des relations non protégées

Tous soulignent l’extraordinaire précarité de ces jeunes filles, contraintes de s’exposer à des pratiques d’autant plus dangereuses et violentes. « Elles sont frappées par leurs clients, sommées d’accepter des relations non protégées et sont soumises à des obligations de rentabilité », expose le président de l’Amicale du nid. Les journalistes insistent sur la récurrence de la zoophilie et du sado-masochisme. « Les jeunes filles n’y sont absolument pas préparées, elles ignorent tout de ces pratiques, le choc est d’autant plus violent pour elles », insiste Olivier Enogo. Ces conditions terribles et leur statut de clandestine sur le territoire font de ces jeunes prostituées des victimes au sens fort du terme. Des victimes à protéger, à suivre et à assister. Et non à expulser comme c’est le cas la plupart du temps quand elles se font arrêter.

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