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Les gauches et le sectarisme sans fin
par Jorge Capelán
Publie le samedi 4 février 2012 par Jorge Capelán - Open-Publishing1 commentaire

Dans son article “Les gauches et la fin du capitalisme” publié le vendredi 13 janvier par le journal “ La Jornada” du Mexique, l’écrivain Raul Zibechi émet la thèse selon laquelle, “ la bataille pour un monde nouveau sera bien plus longue que ce que dureront les gouvernements progressistes latino-américains”. Selon Zibechi, à un certain point, ces gouvernements seront même anéantis violemment par les propres sujets sociaux.
Il va de soi que nous ne pouvons être d’accord avec les conclusions de l’auteur. Lisons in extenso le dernier paragraphe de son article : “ L’unité de la gauche peut-être positive. Mais, la bataille pour un monde nouveau sera bien plus longue que ce que dureront les gouvernements progressistes latino-américains et surtout, elle se décomposera en diverses zones de confrontation tachées de sang et de boue. »
Avant que l’on nous accuse de tenir des propos tendancieux, nous notons qu’au début de son article, l’auteur soutient que : "Le capitalisme (…) doit être défait par les forces antagoniques au système, fussent-elles les mouvements de bases et communautaires, les partis politiques plus ou moins hiérarchisés, et même les gouvernements démontrant une volonté anticapitaliste". Cependant, comme nous le verrons, le reste de son argumentation glisse vers le sectarisme.
Afin d’écarter toute confusion possible quant aux propos de Zibechi concernant la nature de “ces diverses zones de confrontation tachées de sang et de boue", nous insistons sur le fait que l’auteur ne nous parle pas d’une confrontation entre les mouvements sociaux et les oligarchies nationales ou l’impérialisme mais bien d ’une confrontation entre ces mouvements sociaux et les gouvernements comme ceux de Cristina Fernandez, de Rafael Correa ou de Daniel Ortega. A ce propos, dans cette autre extrait de son article, Zibechi explique :
"Comme le signale Immanuel Wallerstein, Il est vrai (…) que l’unité de la gauche peut contribuer à faciliter la naissance d’un monde nouveau tout en allégeant les douleurs de l’accouchement. Mais force est de constater que, dans cette région du globe, ces douleurs n’ont pas diminué avec les victoires électorales de la gauche". L’auteur poursuit en citant les cas des personnes accusées de terrorisme et de sabotage en Équateur alors qu’il s’agissait, selon lui, de personnes qui tentaient de s’opposer à l’exploitation minière à ciel ouvert. Il fait également référence à l’assassinat récent de 3 militants du Frente Darío Santillán en Argentine, ainsi qu’à ces centaines de milliers de déplacés au Brésil victimes de la spéculation provoquée par l’organisation de la coupe du monde de football. « La liste est longue et ne cesse de croître » ajoute Zibechi.
Indépendamment des circonstances variées ayant donné naissance à ces événements ainsi qu’aux réussites concrètes obtenue par les gouvernements de gauche latino-américains tant au niveau social que politique, il y a un ou deux faits relevant que Zibechi ignore dans son analyse.
Le premier est que, si il y a bien quelque chose que les oligarchies continentales et les secteurs les plus bellicistes aux USA et à l’OTAN désiraient, c’est qu’on leur serve sur un plateau, la tête de ces différents mandataires progressistes. Il n’est point nécessaire de nous étendre en détail sur les câbles filtrés par Wikileaks révélant la « curiosité » du département d’État US concernant l’état de santé de la présidente Cristina Fernandez , ni sur la guerre médiatique sans pitié que mènent les grands groupes de presse se cachant derrière la SIP ( Société Inter-américaine de Presse) contre les leaders progressistes, ou sur la campagne orchestrée depuis des années par de réseaux terroristes continentaux comme UnoAmerica à l’encontre des organisations participantes au Forum Social de São Paulo, ou encore sur l’appui logistique nourrit des projets de déstabilisations des gouvernements progressistes venant d’Europe et des USA, sans parler des coups d’État, frustrés ou non, montés contre le Venezuela, la Bolivie, L’Équateur, le Honduras, etc... Si Les gouvernements de gauche en Amérique Latine n’étaient pas une menace directe contre les groupes capitalistes les plus puissants à l’intérieur et à l’extérieur de notre région, pourquoi tant de ténacité à l’heure de tenter de les renverser ?
Le second fait relevant que Zibechi oublie de prendre en considération est que les opprimés sont les premières victimes de l’exploitation et de la violence exercée par les oligarchies et par l’impérialisme dans la région. Malgré la « longue liste » de cas (supposés ou réels) de répressions (plus ou moins) attribuables aux gouvernements progressistes d’Amérique Latine à l’encontre de mouvements sociaux (supposés ou réels), Zibechi ne peut omettre des faits tels que la « guerre contre la narcotrafic » qui a fait plus de 50 mille morts au Mexique, les suicides massifs des indigènes de ce même pays dus à « la tristesse de n’avoir pas assez à manger », la militarisation des communautés mapuche et la répression sauvage des étudiants au Chili ou bien les quantités de blessés et de détenus dans les expulsions manu militari devenus fréquents dans les quartiers de Bogotá. Ces événements sont la routine subie par les classes populaires de notre continent depuis des siècles. La lecture des « veines ouvertes de l’Amérique Latine » nous le démontre clairement.
Zibechi poursuit : « Bien qu’il existe des inspirations communes et des objectifs généraux partagés, les différentes vitesses qui marquent la transition vers le post-capitalisme et les différences notables entre les sujets anti-systéme, empêchent toute généralisation. »
L’auteur affirme ici d’une façon apparemment anodine qu’on ne peut généraliser pour ensuite établir une dichotomie manichéenne entre des soi-disant gauches aux pouvoir et d’autres en dehors de celui-ci, ce qui, toujours selon l’auteur, dégénérerait tôt ou tard en « diverses zones de confrontation tachées de sang et de boue ». Il est d’un manichéisme tragique que de vouloir tracer une ligne entre ceux qui proposent une révolution à partir « d’en bas » et ceux qui apparemment voudraient la faire « d’en haut ». Ces gauches , actuellement au pouvoir en Amérique latine viennent, entre autres, de ces mêmes mouvement sociaux qui, par le passé, se sont rebellé contre le néolibéralisme en manifestant, en occupant,en faisant gréve et en affrontant les appareils répressifs.
Pour Zibechi, « l’élément central de réflexion est que les gauches, plus ou moins unies, sont arrivé à la limite de leur potentiel et ce, indépendamment de l’évaluation que l’on pourrait faire de leur bilan. Les huit gouvernements sud-américains que l’on peut considérer comme étant de gauche, ont amélioré la vie des gens et diminué leurs souffrances mais n’ont pas avancé dans la construction de sociétés nouvelles. Il s’agit donc de constater des faits ainsi que des limites structurelles qui indiquent que sur cette voie, on n’obtiendra rien de plus de ce qui a déjà été obtenu ». D’un coté, l’auteur affirme que la construction d’une société post-capitaliste est une projet de longue haleine, et de l’autre, il condamne certains gouvernements qui n’ont que quelques années d’exercice du pouvoir car ils n’ont « pas avancé dans la construction de sociétés nouvelles. »
L’auteur mise sur ces « ciments ou semences dans les relations sociales capables de se substituer au capitalisme » tels ces « millions de personnes vivant et travaillant dans des communautés indigénes en rebelion, dans des campements de paysans sans terre, dans des usines recupérées par les ouvriers, dans des quartiers en autogestion, tous ces gens qui participent dans des milliers d’initiatives nées de la resitance au néolibéralisme pour se convertir en espaces alternatifs au mode de production dominant ».
Par une tour de passe-passe dans le développement social, ces mouvements, en recevant massivement des titres de propriétés des mains du gouvernement sandiniste, dans le cas du Nicaragua, et en jouissant de la reconnaissance de leur droits économiques et politiques, se transformeraient en marionnettes du grouvernement, privées de toute capacité « anti-systéme ». De toute évidence, cette perspective critique est aussi malhonnête que celle de cet européen qui reprochait aux zapatistes de vendre et de consommer du Coca-Cola dans leurs « Caracoles » (lieux de l’auto-gouvernement dans les communautés zapatistes).
Zibechi manipule la théorie des systèmes-monde pour finalement en arriver à réduire le débat à une opposition entre « ciments ou semences dans les relations sociales capables de se substituer au capitalisme » et des gouvernements progressites « ayant atteint leurs limites structurelles ».
L’auteur suggère subtilement que pour aller plus loin, il n’y aurait pas d’autre choix que de faire tomber ces gouvernements. Mais comment pourraient ces « ciments et semences » survivre et se développer dans un environnement marqué par la cohabitation à long terme avec le capitalisme, comme le reconnaît l’auteur, si il n y a pas de volonté de consolider les projets nationaux et continentaux ? Qui peut nier qu’il s’agit d’un processus long, plein de contradictions, avec des avancées et des reculs, des victoires et des défaites ?
Selon Mariátegui, la construction du socialisme ne peut être « ni un calque, ni copie mais bien une création héroique » . Création héroique, en effet ! Dans les « diverses zones de confrontation tachées de sang et de boue », mais aussi dans les salles de classes, les centres de santé, les usines, les parlements, les familles, les temples, les avions de guerre, les salles de concert, les laboratoires, les ministéres, les parcs et les jungles. Depuis la base, par en haut, sur les côtés, à long terme, à court terme, à moyen terme. Et ce, précisement parce que, comme l’écrit le même Zibechi, le capitalisme ne s’effondrera pas de lui même, il doit être détruit consciemment par les sujets sociaux. Les niveaux requis de compréhension politique du moment historique actuel et de son développement augmentent au fur et à mesure que l’on passe de l’étape de la dénonciation et de la protestation à l’étape de la construction.
Reste encore à prouver que les gouvernements progressistes, si vilipendiés par Zibechi, ont déjà donné le meilleur d’eux-mêmes. Ce qui est sûr, c ’est que la volonté, démontrée par certains, d’exacerber les contradictions naturelles de ces processus historiques, n’a pas de limite.
Traduction de l´espagnol : Yerko Ivan
Messages
1. Les gauches et le sectarisme sans fin, 5 février 2012, 23:12, par Batman Gilou
L’article cité peut être critiqué. Il foit l’être. Il semble même que ce soit une ouverture à un débat. Il est certain qu’il l’ouvre. Les deux premiers arguments en son opposition ne tiennent pas. Aucun lien aveec l’article. Très généraux, (répétitifs). Entre autres, celui de la poursuite par les USA, leurs alliés, etc.de l’élimination des gouvernements "de gauche", reconnue partout et par tous, ne démontre pas, pas du tout, qu’il n’y aurait pas de contradictions, de diférences de niveau, (discutons du terme), entre ces gouvernements.
Le débat de fond ; qu’il nous faut, à tous, avoir : oui il y a eu des progrès ; oui ils sont disparates ; oui ils restent fragiles. Ont-ils atteint, chacune leurs limites, sont-ils tellement lointains qu’ils ne peuvent que s’anéantir mutuellement (évidemment USA and Co en seront ravis) ? Faut-il un autre esprit de lutte ? Est-il construit, est-il à construire ? J’ai mon opinion, argumentée, je la verserai s’il le faut au débat. Merci paradoxal : tout le monde ne lit pas La Jornada, maintenant cet article dépasse son audience.