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Les intégristes libéraux : Six ordonnances scélérates

Publie le jeudi 15 septembre 2005 par Open-Publishing
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de Gérard Filoche

Les intégristes libéraux, le "contrat nouvelle embauche" et l’explosion qui vient :

"70 % des contrats sont des CDD et la moitié de ces contrats ne durent pas plus d’un mois (...) Entre ces contrats qui sont une forme aiguë de précarité et le contrat que nous proposons, il y a un fossé. Donc, c’est un progrès tout à fait considérable", affirme M. de Villepin pour justifier son nouveau « Cne » contrat de nouvelle embauche.

Une plus grande précarité à plus bas salaire :

Oui hélas, déjà trop de contrats en forme de Cdd servent illégalement de période d’essai, et maintiennent une précarité inacceptable. Mais si 70 % des contrats à l’embauche sont sous Cdd pourquoi en inventer un autre encore plus précaire ?

En fait, parce que, du point de vue des employeurs les plus rétrogrades, les contrats sous Cdd, même d’un mois (et ils ne peuvent durer plus de 18 mois au total) sont à TERME FIXE ! L’employeur est au minimum obligé de garder le salarié... jusqu’à ce terme sauf cas de force majeure ou de faute du salarié, mais alors il faut qu’il procède à la rupture du contrat de façon régulière (une lettre d’entretien préalable, une lettre de licenciement dûment motivée). Dans ce cas, un recours reste possible de la part du salarié (qui peut demander d’être payé jusqu’au TERME prévu). Et le salarié peut, en cas de Cdd successifs demander une « requalification » en Cdi...

Rien de tout cela avec le « Cne » : le salarié pourra être « viré » à n’importe quel moment pendant deux ans, jusqu’au 729° jour, sans motif, sans procédure autre que l’envoi d’une simple lettre recommandée. Donc, à tout moment, l’insécurité de l’emploi règne : la précarité est plus grande évidemment que dans les 70 % de cas de Cdd cités par Villepin. Au lieu d’un contrat à durée fixe, c’est un contrat aléatoire. Au lieu d’un Cdi, c’est un contrat dont la rupture est sans motif...

Avec le Cdd, s’il est de six mois, un contrat est de six mois, point c’est tout, au moins le salarié est-il « sûr » du « terme » (renouvelable cependant une fois dans certains conditions pourvu que cela ne serve pas à occuper un poste permanent de l’entreprise...).

Avec le Cdi, passé la période d’essai limitée à un mois (trois mois pour les cadres), il faut, pour mettre fin au contrat, suivre une procédure d’ailleurs simpliste : une lettre pour un entretien préalable, l’entretien, puis une lettre de licenciement dûment motivée...

Avec le Cne le salarié s’endormira chaque soir pendant deux ans sans savoir s’il aura du boulot jusqu’au lendemain soir... le plus important du Cne de Villepin, c’est que la rupture du contrat n’a pas à être justifiée pas à être motivée, et qu’il n’y a pas de recours possible...

Fausses garanties, reculs en fait :

M. de Villepin prétend qu’il y aurait des contreparties spéciales : un préavis de deux semaines sera accordé au salarié qui justifie d’une ancienneté d’un à six mois. Il atteindra un mois pour une durée d’activité de six mois à deux ans. C’était déjà en général le cas, sauf mieux dans les conventions collectives.
Il nous est dit aussi que l’employeur devra s’acquitter d’une indemnité de rupture égale à 8 % du montant total de la rémunération brute du salarié, exonérée d’impôt et de cotisations sociales. Dans le cas d’un Cdd, cette « indemnité de précarité d’emploi » était de 10 % sur le salaire brut inclus les cotisations sociales.

Il s’agit donc d’une baisse substantielle des petits salaires des précaires concernés lors de la rupture du contrat. Non seulement le salarié peut être viré sans motif, mais cela coûte moins cher à l’employeur qu’un Cdd.
Il est dit aussi qu’une contribution de 2 % de la rémunération brute du salarié sera également versée aux Assedic, pour financer le reclassement du salarié. Pour « éviter les fraudes » (sic), l’entreprise devra observer un délai de carence de trois mois, entre la rupture du contrat et la nouvelle embauche d’un même salarié. On soulignera qu’un tel délai de carence, à peu de chose près existait entre deux Cdd... (le temps qui séparait deux contrats devait être égal au tiers du temps du premier contrat).

En matière d’indemnisation chômage, même Jean-Louis Borloo avait annoncé que la durée d’activité nécessaire pour obtenir une « allocation forfaitaire » serait réduite à une période de quatre mois d’activité (au lieu de six actuellement). Mais le journal Les Echos annonce : « En cas de rupture du CNE, les salariés qui ont travaillé moins de quatre mois ne disposeront d’aucune allocation chômage. S’ils ont travaillé de quatre à six mois, ils toucheront de l’État une indemnité forfaitaire de 16,40 euros par jour ». La durée de cette indemnisation est limitée à un mois. Il faudra avoir atteint une durée d’activité en CNE de six mois à deux ans pour prétendre à l’indemnisation classique de l’Unedic.

Donc, il n’y a aucune contrepartie au licenciable sans motif.

Extension envisagée aux autres entreprises :

Le Medef, qui prône depuis longtemps un assouplissement des procédures de licenciement veut que le contrat nouvelle embauche soit étendu à l’ensemble des entreprises mais M de Villepin l’a maintenu aux seules entreprises de moins de 20 salariés tout en ouvrant la possibilité ultérieure de l’étendre.
Or cela fait quand même un champ immense : ce sont 2,4 millions d’entreprises qui sont concernées (1,2 million n’ont aucun salarié ; 1,1 million ont de 1 à 10 salariés ; 106.000 ont entre 11 et 20 salariés) sur 3,5 millions d’entreprises théoriques en France.

Le Fmi d’ailleurs, appuie le Medef : « Le Cne sera d’autant plus efficace dans la réduction du chômage qu’il sera moins limité dans sa durée et son champ d’application et qu’il conduira à intégrer les contrats de travail préexistants en un seul ».

Jouer sur les instincts les plus bas :

On nous dit, côté gouvernement, que la « période d’adaptation professionnelle de 24 mois », au cours de laquelle le contrat pourrait être rompu, semble devoir offrir davantage de souplesse et une relative « sécurité juridique » aux employeurs : qu’est-ce à dire sinon que cela offre aux employeurs l’arbitraire le plus total, la possibilité de virer sans motif, d’abuser sans être jamais sanctionné ?

Le fond c’est que M de Villepin croit que pour favoriser l’emploi, il faut donner des pouvoirs absolus à l’employeur, il fait appel à ses plus bas instincts, lui donnant carte blanche pour tout abus.

Ainsi, un employeur pourra licencier impunément pour un motif illicite : maladie, grève, opinion, acte de la vie privée, etc. Pendant deux ans si vous êtes en Cne, ne soyez pas malades, n’ayez pas un frère syndicaliste, ne comptez pas vos heures, ne refusez rien au patron, ne vous retirez pas d’une situation de danger, si vous êtes femme ne soyez pas enceinte...

Villepin contre l’Oit, contre la Charte sociale européenne :

Cela est contraire à la constitution française qui affirme que les salariés sont représentés par leurs délégués, à la Convention n°158 de l’Oit et l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui posent l’obligation de justifier d’un motif de licenciement. Ainsi comme le dit la Cgt, le gouvernement supprime l’exercice des droits de la défense face à une menace de licenciement abusif, il interdit un contrôle effectif par un juge et prive le salarié de toute indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, il remet en cause des principes fondamentaux issus de la Déclaration des droits de l’homme et maintes fois réaffirmés par le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’Etat.

Faciliter le licenciement des plus de 50 ans :

Dernier point : « Les seniors ne sont quant à eux pas oubliés », nous dit-on, puisque la contribution Delalande est supprimée. Laquelle taxait les entreprises licenciant un salarié âgé de plus de 50 ans : cela visait à freiner les abus si fréquents consistant à licencier un « senior » pour prendre un jeune à moindre coût. On nous dit que c’est pour encourager l’emploi : gageons du contraire, cela va augmenter et faciliter le coût des licenciements des plus de 50 ans.

Ajoutons quelque chose : le fait d’allonger la durée du travail sur la vie, en maintenant les « seniors » au travail, va accroître le chômage des jeunes...
De façon générale, d’ailleurs, on ne voit pas ce qui va créer de l’emploi dans l’ensemble de ce dispositif : en fait, il vise à donner des gages « pourris » aux petits patrons (et par voie de conséquence aux donneurs d’ordre des grandes entreprises qui « externalisent »).

Car les petites entreprises dépendent des donneurs d’ordre, pour les grandes entreprises, il leur suffit de passer des contrats draconiens avec des « petites entreprises » à leur solde pour recueillir les fruits de ces reculs du droit.

Cinq autres ordonnances, tout pour l’employeur, tout contre les salariés :

Outre l’ordonnance sur le CNE, qui supprime tout droit en matière de licenciement pour les entreprises de moins de vingt salariés, sont publiés au JO cinq autres ordonnances.

Moins d’élus du personnel :

Enfin, prétendument pour aider les chefs d’entreprise à « surmonter le seuil des 10 salariés », (sic) l’Etat prendra en charge le surcoût de cotisations sociales liées au passage de 9 à 10 salariés et ce, jusqu’au vingtième. Montant de l’économie pour l’employeur : 5 000 euros en moyenne par an par salarié...
En ce qui concerne l’embauche les jeunes de moins de 25 ans, il nous est dit que leur présence dans l’entreprise n’entrera plus dans le décompte des seuils d’effectifs de 10 et 50 salariés. Or des élections de délégué du personnel ne sont prévues qu’à partir de 11 salariés : cela revient à diminuer encore les possibilités d’avoir des DP dans 1,2 million d’entreprises où il y en a déjà très peu...

Celle qui prévoit la suppression des salariés de moins de 26 ans dans le calcul des seuils sociaux (de 10, 20, 50 salariés et allégent les obligations des entreprises en matière de représentation du personnel) n’a rien à voir avec l’emploi : elle est uniquement antisyndicale !
Et comme la loi Dutreil porte par ailleurs les élections de DP/CE tous les 4 ans au lieu de tous les 2 ans, la distanciation entre élus et salariés se creusera, et il y aura moins de délégués (la moyenne de vie d’un délégué est actuellement de 1 an 1/2).

Le but de tout ça est le même : empêcher le salarié de faire valoir ses droits. Donner l’impression au petit employeur qu’il pourra embaucher impunément sans « risquer de syndicat », sans être contraint de respecter la loi, sans être obligé de discuter avec ses subordonnés. C’est un encouragement à l’exploitation maxima. Aux heures supplémentaires impayées.
Pourtant ce qui caractérise un contrat de travail c’est la « subordination » : il n’y a pas égalité entre le salarié et l’employeur, le premier est déjà fondamentalement subordonné au second. Le droit du travail, le droit syndical ne sont que des contreparties à cette subordination (qui ne remettent pas en cause celle-ci). Les ordonnances Villepin rognent ces contreparties, pour rendre la subordination plus forte... En fait tout cela, c’est un recul de l’état de droit dans l’entreprise.

Les quatre autres ordonnances concernent « la simplification des démarches administratives » « l’embauche dans les entreprises de moins de 5 salariés » : soit moins de contrôle et l’encouragement du travail dit « au noir »

Non droit total dans les entreprises de moins de 5 salariés :

En fait c’est l’extension du « chèque emploi service » : pas de « DPAE », (« déclaration préalable à l’embauche ») pas de contrat, pas de convention collective, pas de Code du travail, l’embauche d’heure à heure, le « loueur de bras » du 19° siècle est revenu. « Quand je veux tu bosses, quand je ne veux plus, t’as plus de boulot ».

On nous dit que c’est « contre le travail illégal » : c’est le contraire ! Le travail illégal dissimulé, va se développer, tout contrôle devenant impossible : « vous m’interrogez sur cette personne qui travaille chez moi ? je ne l’ai pas déclaré, normal, j’allais justement envoyer le chèque emploi service »... qui tient lieu d’unique « déclaration ».

Cela concerne les « entreprises de moins de 5 salariés : c’est-à-dire 1,2 million d’entreprises dites « individuelles » qui, jusqu’à présent n’ont aucun salarié, et probablement autour de 5 à 700 000 autres entreprises qui ont déjà au moins un salarié.

C’est déjà dans les petites entreprises de moins de 10 salariés qu’il y a le plus de temps partiel (un sur trois), le plus de Cdd, le plus d’intérim, le plus de turn over, le plus d’accidents du travail, le plus de maladies professionnelles, les plus mauvaises conditions de travail, les plus bas salaires, les plus longues durées du travail, le plus d’heures supplémentaires impayées, le moins de convention collective, le moins de défense syndicale, pas d’élus du personnel, et c’est là que M de Villepin choisit d’ajouter davantage de non droit.

Ordonnances pour casser les « seuils sociaux » :

C’était réclamé par les rapports de Virville, Camdessus, par le Medef, l’Afep, Ethic, M Seilliére et Mme Parisot.

Une des ordonnances prévoit « l’octroi d’un crédit d’impôt pour les jeunes travaillant dans des professions qui peinent à recruter ». Dans le bâtiment, la restauration, l’agriculture, c’est vrai, il y a difficulté de recrutement. Pourquoi ? parce que le travail y est trop dur, trop long et trop mal payé. Les majors du bâtiment, l’agro-alimentaire, les cafés-hôtels-restaurants vont encore accroître leurs profits au détriment des conditions de travail de leurs sous-traitants : si on veut y orienter les jeunes, au contraire il faudrait les payer mieux, améliorer les conditions de travail, donner du prestige et de l’intérêt au métier.

Là, on va encore donner l’argent à M. André Daguin, patron ultra réactionnaire de l’hôtellerie, sans créer d’emploi. (cf citation ci contre).

Il est prévu « la neutralisation du coût financier lié au franchissement du seuil de 10 salariés » : même chose que le seuil des délégués du personnel et des droits syndicaux, cela va aider à embaucher « sans droits » en donnant de l’argent public donc des impôts tirés des salariés...

Enfin il est prévu la création d’un dispositif d’insertion pour les jeunes sur le modèle du service militaire adapté : Mme Alliot-Marie s’est fait une « pub » télévisée d’enfer sur ce sujet, mais il est question pour l’heure de 250 jeunes en septembre, et peut-être de 20 000 d’ici trois ans, histoire de les attirer à l’armée qui peine à recruter (pour la future guerre contre l’Iran ?).

Reste « la suppression des limites d’âge dans la fonction publique » : bien forcée, la moyenne d’activité d’un fonctionnaire est de 33 ans dans sa vie. Pas parce qu’il est fainéant, est-il besoin de le dire, mais parce que la majorité des fonctionnaires sont cadres et font des études jusqu’à 25 ou 26 ou 27 ans, et qu’il ne reste que 33 ans d’active jusqu’à 60 ans. Comme la barre pour atteindre une retraite à taux plein a été mise à 40 annuités de cotisations, il faut bien lever la barrière d’âge fixée à 60 et à 65 ans et permettre de travailler jusqu’à 67 ans...

Villepin ne s’intéresse qu’aux petites entreprises mais de la pire des façons : car les petites viennent trop souvent de l’externalisation artificielle des grosses, et que les donneurs d’ordre contournent déjà seuils sociaux et conventions collectives par ce procédé. En fait pour rétablir de l’ordre public social et de l’emploi, il faudrait faire l’inverse et réguler la sous-traitance ! (cf contribution « Alternative socialiste »)

Il faudrait au contraire de ce que fait de Villepin, rétablir du droit : car c’est le droit du travail qui crée du droit au travail.

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