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Les lois ad personam : seule activité du Parlement berlusconien
Publie le vendredi 30 septembre 2005 par Open-Publishing
Un projet de loi sur la prescription suscite de fortes réserves en Italie
de Jean-Jacques Bozonnet
Pour l’Association nationale des magistrats (ANM), qui regroupe la quasi-totalité des 9 000 juges italiens, la loi que les députés s’apprêtent à voter s’assimile à "une sorte d’amnistie généralisée pour un grand nombre de délits" . Le texte, en dernière lecture à la Chambre depuis le 26 septembre, prévoit un durcissement des peines pour la petite criminalité, et plus particulièrement les récidivistes, mais à l’inverse, il raccourcit les délais de la prescription pour certains délits financiers comme l’usure ou la corruption.
L’opposition dénonce une loi "sauve-Previti", du nom de l’ancien avocat de la Fininvest et ancien ministre de la défense de Silvio Berlusconi. Si la loi était adoptée, elle bénéficierait à Cesare Previti, 70 ans, sous le coup de deux lourdes condamnations en première instance, l’une à cinq ans de prison, l’autre à onze ans, toutes deux pour corruption de magistrats.
La profession judiciaire s’inquiète des conséquences de cette nouvelle loi "ad personem" sur le système judiciaire italien. Selon l’un des dirigeants de l’ANM, Nello Rossi, juge à la Cour de cassation, "entre 40 000 et 70 000 procédures risquent d’être abandonnées pour cause de prescription en appel" . Malgré les demandes insistantes de l’opposition, le garde des sceaux, Roberto Castelli, avoue n’être pas en mesure de produire des données chiffrées sur l’impact de la future loi. La prescription est un élément central de la justice italienne, réputée pour son extrême lenteur, ce qui lui vaut d’être régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme : "Un juge n’est jamais sûr d’aller au bout d’un procès" , explique un spécialiste, précisant par exemple que 80 % des affaires de l’opération "Mains propres" finiront par être prescrites.
FAUX BILANS
En dix ans de vie politique, Silvio Berlusconi a été souvent confronté aux tribunaux, pour des affaires de corruption, faux en bilan et financement illicite de parti politique. Plusieurs fois condamné en première instance, y compris à de la prison ferme, il a toujours échappé aux sanctions en appel et en cassation, souvent grâce à la prescription. Il a été à nouveau acquitté, lundi 26 septembre par le tribunal de Milan, dans une affaire de faux bilans, dite All Iberian, concernant son groupe Fininvest. D’énormes transferts de fonds occultes entre 1989 et 1996, ayant servi à la constitution d’une caisse noire, ont été déclarés prescrits en vertu d’une loi sur les faux bilans que le gouvernement Berlusconi a fait voter en 2002. Ce texte, le premier de la législature, a réduit de sept à quatre ans et demi les délais de prescription pour ce type d’infractions. Interpellée par le parquet de Milan sur le cas All Iberian, la Cour européenne de justice de Luxembourg a estimé, en l’occurrence, que le droit européen ne pouvait s’imposer à la loi italienne.
Le gouvernement souhaiterait que la future loi soit adoptée le plus vite possible, car elle devra encore passer au crible de la présidence de la République, voire de la Cour constitutionnelle. C’est en effet le chef de l’Etat qui promulgue les lois, et Carlo Azeglio Ciampi a déjà refusé deux fois de signer des textes qui lui étaient présentés, ne les jugeant pas assez conformes à la Constitution.
Il s’agissait de la loi Gasparri sur l’audiovisuel et de la loi Castelli sur la réforme de l’organisation judiciaire. Le gouvernement avait dû revoir sa copie et la présenter à nouveau devant les assemblées. Cette fois, la majorité a pris ses précautions en modifiant les passages les plus litigieux lors de la présentation du texte au Sénat. Simultanément à la "sauve-Previti", une autre loi achève son parcours parlementaire : celle qui enlève au ministère public la possibilité de faire appel quand un prévenu a été acquitté en première instance. Elle a été proposée par un député de Forza Italia, Gaetano Pecorella, qui se trouve être aussi l’un des avocats d’"il Cavaliere".