Accueil > Les mille et un maux de la presse française
cf le temps (suisse), sylvian besson
On m’a interviewé ce matin, pour la énième fois, sur les rapports entre les journalistes français et Sarkozy. Mais un déjeuner avec un collègue parisien, actuellement en quête d’une rédaction accueillante, m’a persuadé que le principal problème ne se situe pas là. Il est fait, au contraire, de milles et unes petites règles internes, mesquines, qui rendent la presse française beaucoup plus souffreteuse, émoussée et médiocre qu’elle ne devrait l’être.
Le règne des chapelles politiques : Croyez-le ou non, mais dans de certains titres, la distribution des places et des sujets obéit à des critères dignes d’un congrès du Parti socialiste. Par exemple, le Nouvel Observateur a la réputation d’attribuer les postes en fonction du positionnement de chacun par-rapport aux différents courants du PS. Un ami chef de service, qui avaient eu le malheur d’afficher quelques sympathies pour Dominique de Villepin, est au placard depuis deux ans.
Le refus des sujets difficiles : Affaires sensibles, investigation pouvant toucher à des amis du pouvoir (là, on retombe sur Sarkozy) ? Exclu d’y toucher dans de nombreux titres - à commencer par le Journal du Dimanche et Paris-Match. La simple réputation de fouineur, amateur de ce genre de sujets, suffit à vous casser lors de l’entretien d’embauche.
La tyrannie des petits chefs : Là, on a l’embarras du choix, mais le Parisien semble réputé pour la mesquinerie de certains cadres à l’utilité incertaine, dont le seul plaisir est de couper les articles de leurs subordonnés, quand ils ne les font pas simplement sauter sous des prétextes fumeux.
Copinage et piston : Embauches et promotions restent largement guidées par les recommandations des directeurs. Vous êtes l’ami d’untel, dont la tête ne leur revient pas ? Votre CV finira à la poubelle. Se défaire de la réputation de "copain de..." peut prendre des années. Il paraît que le Canard enchaîné a la rancune tenace.
Les journalistes payés à ne rien faire : Au Monde, au Figaro, à Libération, ils sont encore nombreux à n’écrire qu’une fois toutes les trois semaines - quand ils écrivent. Conséquences des "placardisations" politiques ou pistonnesques évoquées plus haut, les rédactions sont pleines de journalistes sous-employés. Il faut dire que virer quelqu’un est pratiquement impossible : lorsque Libération a essayé, la journaliste concernée, Madame C., s’est lancée dans une grève de la faim qui lui a valu un confortable matelas d’indemnités.
L’ambiance détestable : "Alors là-bas, c’est l’horreur !" Que n’ai-je entendu ce genre de jugement au sujet de rédactions prestigieuses - celle du Monde revient régulièrement. Pour ne parler que de ce que je connais, une partie non négligeable de la journée, à Libération, se passe en engueulades, cassages de sucre mutuels et vitupération contre "ces chefs qui ne comprennent rien". Alors, la prochaine fois que vous entendrez un journaliste français dire que "la presse va mal", vous saurez pourquoi.