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Les " privilégiés " vous saluent bien

Publie le vendredi 8 août 2003 par Open-Publishing

in : http://www.humanite.fr/journal/2003-08-06/2003-08-06-376753


Les " privilégiés " vous saluent bien

La journée nationale d’actions des intermittents du spectacle a été
marquée par de nombreuses actions symboliques. Le Conseil supérieur
de l’emploi, réuni mardi, a rendu un avis " consultatif " favorable à
l’accord minoritaire signé le 26 juin dernier. La CGT va porter
l’affaire devant les tribunaux.

En cette période de torpeur estivale que constitue le début du mois
d’août, les artistes et techniciens intermittents du spectacle ne
s’accordent pas de trêve. Le 4 août étant une date symbolique par
excellence en France, et le baron Seillière osant traiter ces manants
de privilégiés, ces derniers, syndiqués et non syndiqués, ont choisi
d’occuper les directions régionales de l’action culturelle, lieux
représentatifs de la puissance publique dans le domaine. L’humour
n’était pas exclu de ces actions. Ainsi à Nantes, le collectif formé
par le Mouvement des professionnels du spectacle vivant et de
l’audiovisuel de Loire-Atlantique en lutte, les associations Actions-
Ouest et Aspros et l’Union régionale de la fédération CGT spectacle
raconte la chose dans un communiqué. " Nous avons donc organisé notre
commémoration devant la DRAC, tenue de soirée, petits fours,
mousseux, affiches sur le thème du privilège. Une façon ironique de
dénoncer les soi-disant privilèges dont bénéficions. Nous avons
quitté les lieux à 18 heures environ. " Une cinquantaine
d’intermittents sont venus là, rappelant que " le gouvernement
appelle au dialogue social ", et avec la curiosité de vérifier " si
les différentes annonces faites par le premier ministre et le
ministre de la Culture ont enfin été suivies de directives et
d’enveloppes financières ". L’accueil se passe de commentaires. " La
DRAC était fermée et le directeur, M. Jacob, nous a fait savoir que
nous n’étions plus les bienvenus, qu’il ne nous laisserait plus
occuper l’établissement, ni pénétrer en groupe. Il consent tout de
même à nous recevoir par petites délégations de 2 ou 3. " Et comme il
n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre, malgré la porte
close, les artistes et techniciens en lutte rappellent très
précisément pourquoi ils ne baissent pas les armes. " Nous exigeons
le retrait de ce protocole injuste et pervers, qui va entraîner la
disparition de 30 000 professionnels, parmi les plus précaires
d’entre nous, et ce pour la première année seulement ; qui ne va
permettre qu’à quelques privilégiés de pouvoir continuer à vivre de
leurs métiers ; qui, ne réglera en rien le problème des abus que
pratiquent certains employeurs ; qui, de par son mécanisme pervers et
aléatoire, ne tient pas compte de la spécificité de nos professions
(discontinuité de l’emploi, des salaires.) ; qui va entraîner des
conséquences dramatiques sur la diversité de l’offre culturelle
française, si chère à notre président. Nous exigeons l’ouverture
immédiate de nouvelles négociations. Nous exigeons le retrait de ce
protocole injuste et pervers. "

Coorganisées par la coordination nationale regroupant quelque 35
départements, créée à Caen la semaine passée, les occupations ont
ainsi vu une trentaine d’intermittents, selon les organisateurs,
occupaient les locaux de la DRAC de Basse-Normandie. Ils souhaitaient
que les responsables de ce service déconcentré de l’État transmettent
au ministère de la Culture une lettre remettant en cause les
positions de Jean-Jacques Aillagon sur la réforme. Selon le collectif
rennais, une vingtaine d’intermittents arpentaient les salles de la
DRAC de Bretagne à Rennes, demandant à l’un de ses responsables
l’envoi au ministère de la Culture d’un fax de soutien à leur
mouvement. À Lyon, ils étaient une centaine de membres de la
coordination lyonnaise Spectacle en lutte. Une délégation a pu
rencontrer le directeur de la DRAC Abraham Bengio, pour lui faire
part de la mobilisation. Elle a posé en préalable à toute rencontre
avec le ministre de la Culture le retrait des accords sur les annexes
VIII et X de l’UNEDIC, signés par le MEDEF et trois syndicats
minoritaires. En Poitou-Charentes, ils étaient 70. Au total plus de
la moitié des directions régionales du territoire ont reçu pareilles
visites " symboliques ". Côté cinéma, on n’est pas en reste, puisque,
après les cinéastes, plus de 1 500 monteurs, techniciens et artistes
ont signé un appel, lancé par les Monteurs associés, interpellant
gouvernement et président de la République, demandant de " surseoir "
à l’application du texte et précisant que " nous pensons que la
professionnalisation d’un secteur ne peut se réduire à l’exclusion
d’une partie de celles et de ceux qui le composent. Nous pensons que
la question du financement de la culture est posée depuis nombre
d’années et qu’il faut avoir le courage politique d’y apporter des
réponses ".

Mousseux et tenues de soirée auront aussi été de rigueur hier à
Clermont-Ferrand, par exemple, où les intermittents sont allés à la
rencontre du public pour un apéro festif et revendicatif, à
l’occasion de la journée nationale d’action organisée le jour de la
réunion du Conseil supérieur sur l’emploi. Cette instance qui ne rend
qu’un avis consultatif a épousé la position gouvernementale, elle-
même collée aux desiderata du MEDEF (voir ci-après). La CGT spectacle
a décidé de porter l’affaire devant les tribunaux. C’est que la
légalité de l’avenant à l’accord du 26 juin, élaboré le 8 juillet
dernier, est plus que sujet à caution. Jack Ralite, sénateur et
animateur des états généraux de la culture, a saisi le premier
ministre sur ce point dès le 28 juillet dernier. Dans son courrier,
il souligne les incohérences des " retouches " ainsi apportées à un
accord réputé " intouchable " par ses signataires et ses partisans
et, surtout, une " aberration " dans la nouvelle mouture du texte qui
concerne les modalités de calcul des indemnités. Jack Ralite
demandait donc au premier ministre de " ne pas agréer l’accord "
estimant que le gouvernement " n’a pas été " jusqu’au bout de ses
possibilités ". Comment en effet agréer un texte qui en un mois
laisse apparaître, plus il est étudié, de défauts, d’incohérences,
d’inapplicabilité, bref de risques de recours devant la juridiction
administrative, sans oublier de dire que les intermittents, non
seulement vulnérabilisés par le contenu général de l’accord, sont
encore plus fragilisés par son traitement. Il faut sortir de cet acte
d’injustice et de ce " maillon faible " de la gestion du dossier des
intermittents concluait l’auteur.

Côté gouvernement, Jean-Pierre Raffarin a dû monter au créneau, par
le biais d’un point de vue publié par le Monde daté de ce mercredi.
Affichant sa volonté de poursuivre la procédure d’agrément du
protocole d’accord sur l’assurance-chômage du 26 juin, signé par le
MEDEF et trois syndicats minoritaires, le premier ministre évoque une
" lutte contre les abus " et reprend à son compte la proposition de
son ministre de la Culture d’une " loi d’orientation du spectacle
vivant " et d’un " débat national " qui sera organisé à la rentrée
avec les artistes, les professionnels et les collectivités publiques.
Pas de loi sur la culture, donc, et mystère sur la place, entre
autres, des organisations représentatives ou créées par les
intéressés eux-mêmes cet été. Mais d’ici l’automne...

Michel Guilloux