Accueil > Lettre à Bernard Latarjet
Paris, le 16 décembre 2003
Monsieur,
Par votre lettre du 27 novembre dernier, vous avez invité le Syndeac à
une rencontre dans le cadre du « Débat national sur l’avenir du
spectacle vivant » que le ministre de la Culture vous a confié. Ces
derniers mois, lors de nos échanges téléphoniques, j’ai pu vous dire
dans quel cadre le Syndeac souhaitait que ce débat nécessaire ait lieu.
Une rencontre avec le bureau national du Syndeac vous a confirmé notre
position générale sur la crise que notre secteur professionnel traverse
et sur les conditions dans lesquelles vous menez votre mission.
Le conseil national du Syndeac considère qu’il ne peut aujourd’hui
répondre à votre invitation. Il convient de replacer la démarche du
ministère de la Culture et la conduite de votre mission dans son
contexte. La signature d’un protocole d’accord sur le régime
d’indemnisation des intermittents (annexes 8 et 10) en juin dernier a
provoqué une crise sociale sans précédent dans notre secteur, qui a
conduit notamment à l’annulation d’un nombre important de
manifestations et festivals de la période estivale. Cette crise sociale
a révélé au grand jour les profondes interrogations que nous portons
depuis longtemps sur l’avenir du spectacle vivant dans notre pays. Le
texte signé le 26 juin met gravement en cause le devenir de nos
salariés intermittents et par conséquent fragilise notre économie déjà
tendue, en particulier celle de la création et celle des compagnies
dramatiques, chorégraphiques et musicales.L’application de ce texte
aboutira à une réforme mécanique, à une élimination comptable
d’allocataires, vide de sens, sans qu’aucune des questions que vous
soulevez dans votre projet ne soit traitée.
Dès le mois de juillet, Monsieur le ministre de la Culture réunissait
des personnalités et des organisations pour réfléchir à une issue au
conflit. Le Syndeac demandait alors, comme d’autres, la réunion urgente
d’un tour de table, un « Valois de la culture » avant l’instauration
rapide d’un débat national sur le spectacle vivant. Un geste politique
d’ouverture du dialogue s’avérait indispensable. L’agrément donné en
août par le gouvernement à l’accord du mois de juin a sonné comme une
fin de non-recevoir. Pourtant, le Syndeac avait demandé très clairement
qu’une analyse contradictoire des financements publics en direction du
spectacle vivant soit menée avant toute réforme du système
d’indemnisation des annexes 8 et 10. Il soulignait également les
archa•smes du fonctionnement du paritarisme au sein de l’Unedic, où se
négocie un accord sans aucun représentant des employeurs
d’intermittents, et plus largement, en l’absence de tout représentant
de l’économie sociale. Conscient qu’on ne peut réformer notre réseau et
ses financements hors d’un contexte politique plus général, le Syndeac
demandait également l’instauration d’un cadre législatif pour encadrer
le mouvement de la décentralisation, et redéfinir les responsabilités
de l’État, celles des collectivités territoriales, et les missions de
nos établissements artistiques. En mai dernier, nous invitions
d’ailleurs les formations politiques à en débattre à l’Assemblée
nationale. A cette volonté de dialogue et de débat, le gouvernement a
répondu par une fermeture permanente du dialogue social et vous a
confié cependant la responsabilité d’un dialogue professionnel.
Le Syndeac considère que l’on ne peut construire sereinement un débat
professionnel sur les ruines d’un dialogue social et qu’en toile de
fond de votre mission, la responsabilité du gouvernement est engagée.
La difficulté à nourrir ce dialogue semble d’ailleurs contraindre votre
mission, puisque n’apparaÎt aucune ouverture de débat. La forme de
votre démarche appelle quelques remarques : elle conduira à la
rédaction d’un rapport alors que nous demandons un débat ; elle exclut
les artistes de la composition de la commission alors que nous
réaffirmons la place essentielle des artistes dans les politiques
publiques et dans leur définition ; elle consulte dans le même temps
des personnalités et des organisations représentatives sans qu’aucune
garantie de refonte du dialogue social ne nous soit donnée.
Par ailleurs, elle se déroule dans un contexte budgétaire pour
l’exercice 2004 qui ne tient pas les promesses de mesures pour l’emploi
annoncées par le président de la République et le ministre de la
Culture.
Ces éléments expliquent la réponse négative que je vous fais au nom du
conseil national et des adhérents du Syndeac réunis en assemblée
générale le 15 décembre 2003. Soyez assuré qu’il n’y a dans notre
position aucune défiance personnelle à votre égard ni à l’égard des
membres de votre commission.
Le Syndeac poursuit son travail syndical et entend mener avec d’autres
organisations syndicales et professionnelles une réflexion en 2004, sur
un mode contradictoire et ouvert. Bien entendu, je vous ferai part de
nos initiatives publiques auxquelles vous serez convié.
Je vous prie de croire, Monsieur, à l’assurance de mon estime et de mes
sentiments amicaux.
Stéphane Fiévet
Président