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Lettre au préfet du Nord, Jean Michel Bérard
Publie le vendredi 17 octobre 2008 par Open-Publishing1 commentaire
Depuis quelques jours, un ami est enfermé au Centre de Rétention de Lesquin (cf. RAPPORT CIMADE). Toutes ses démarches ont reçu une fin de non recevoir et les autorités ne veulent pas reconnaître son statut de réfugié. Actuellement dans une très mauvaise posture, j’ai décidé d’écrire au préfet. Je envie de croire - sans doute naïvement - que le sentiment d’empathie existe...
Monsieur le préfet Bérard,
Vos services de police maintiennent actuellement en détention le dénommé xxxxxx, de nationalité guinéenne, qui est un ami pour moi depuis près de deux ans. Je ne discuterai pas avec vous les raisons de cette détention qui, au même titre qu’un grand nombre de mesures prises à l’égard des sans papiers et migrants, contreviennent de façon flagrante aux conventions de Genève et à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, ainsi qu’à un certain nombre d’autres conventions adoptées en matière de protection des déplacés et exilés. Cependant, je voudrais, en tant que "citoyen et électeur potentiel", soulever la question de l’éthique qui, dans le cas particulier de mon ami, mais également dans celui de la plupart des sans papiers, est plus que légitime. Mon ami porte les stigmates des violences subies de la part de policiers corrompus de son pays sur tout son corps. Il a fui son pays face aux menaces de mort que ces personnes ont proférées à son encontre et se trouve sous le coup d’un mandat d’arrêt de leur part. Vous êtes libre d’ignorer le rapport 2008 d’Amnesty International et ceux de Human Rights Watch pointant les exactions commises quotidiennement par les forces de sécurité guinéennes. Vous êtes libre également de traiter le dossier de mon ami du bout des doigts, sans prendre la peine de le rencontrer, de voir ses yeux pleurer lorsqu’il raconte les circonstances de son départ. Vous êtes libre enfin d’agir en bureaucrate pour ne pas regarder dans les yeux les horreurs subies par nombre de migrants que vous « éloignez » du territoire européen. Cependant, en tant que « citoyen régulier », je vous interdis d’envoyer à la mort des personnes qui pensaient trouver chez nous cet humanisme que nous sommes en train d’anéantir par notre gestion prophylactique de l’immigration. A renvoyer chez eux des hommes et des femmes qui sont menacés de mort, vous trempez vos mains dans le même sang que celui qui nous salit depuis le début de l’histoire coloniale ! Je ne veux pas apprendre que mon ami est mort comme des milliers d’autres parce qu’il n’avait pas droit comme nous aux articles 3 et 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. L’Europe forteresse n’est pas l’idéal des fondateurs de l’Europe. L’Europe en vase clos, qui choisit ses étrangers selon ses intérêts économiques n’est pas l’Europe que de nombreux européens souhaitent. Ne vous faites pas le bras armé de politiques élitistes qui creusent le fossé entre l’Europe et le Monde.
Mon ami ne sera jamais en mesure de vous apporter le certificat prouvant qu’il a été laissé pour mort dans des poubelles après avoir été battu par trois soldats à coups de crosse. Est-ce une raison pour le renvoyer dans son pays ? Vous ferez-vous complice de la barbarie ? A chaque fois que vous « éloignez » de cette façon, c’est toujours plus de colère et de peine que vous provoquez parmi nous. Je ne souhaite pas devenir votre ennemi parce que vous avez contribué à tuer mon ami. Je ne veux pas que l’inconséquence de nos dirigeants alimente encore et toujours le cycle éternel des « conflits de civilisations ». N’aspirez-vous donc pas à la paix sociale, à ce que les frontières intérieures et extérieures deviennent caduques et à ce que l’article 13 de la DUDH cesse d’être un droit exclusif au bénéfice des nantis ? Ne lisez-vous pas ces sociologues, ces philosophes, ces politologues et même ces économistes qui préconisent l’ouverture des frontières et déconstruisent de façon scientifique le mythe des invasions ? Ne voudriez-vous pas enfin sortir du dogmatisme sécuritaire et pseudo pragmatiste qui produit la peur : peur de l’autre, peur de la précarité, peur du terrorisme, peur du communisme, peur de l’avenir… La seule chose dont vous ne semblez pas avoir peur, c’est la persévérance, voire la recrudescence des mouvements identitaires, nationalistes et xénophobes qui se nourissent de cette manne sécuritaire. Pourtant, ce sont bien eux le danger, bien plus que d’éventuelles « hordes d’étrangers » susceptibles de mettre notre « espace vital » européen en danger. L’Europe EST un creuset de civilisations, c’est cette multiplicité qui fait son « identité » !
C’est plus qu’une demande, c’est une injonction que je vous adresse : cessez d’expulser vers le reste du Monde des hommes et des femmes qui croient en notre humanité ! Cessez de répandre les germes de la colère, de la peine, de l’humiliation, de la haine, qui sont à elles seules le terreau du terrorisme que vous redoutez tant ! Soyez réellement pragmatique, détachez-vous des discours propagandistes officiels et contribuez à ce que l’Europe change de politique. Ce n’est pas moi qui vous le demande, ce sont les millions d’européens et les millions d’humains qui peuplent cette planète et dont le ras-le-bol risque de faire sauter la marmite un beau matin où on ne s’y attendra pas.
Libérez mon ami, mon frère xxxxxx, ainsi que tous les hommes qui n’ont rien à faire derrière les barreaux d’une prison. La société n’a pas à se protéger de ces gens-là…
Ne transformez pas ma peine en colère. Je ne souhaite pas être en colère une fois de plus.
Veuillez agréer, monsieur, l’expression de mes sentiments distingués,
Texte original sur www.dissidence-nordiste.org
Messages
1. Lettre au préfet du Nord, Jean Michel Bérard, 17 octobre 2008, 21:38, par Patrice Bardet
remarquable, ce texte envoyé au Préfet du Nord !
C’est la bataille contre barbarie ordinaire d’un régime qui se rapproche à grand pas de Vichy, dans une grande indifférence
Le sort intolérable réservé aux migrants, réfugiés politiques ou économiques est l’illustration de la société actuelle, fragmentée, dominée par les puissants
Mais il manque la dimension économique, au delà du cas particulier.
Ce régime au Service du Capitalisme, met en place, obstinément, méthodiquement, la division de la classe ouvrière : il lui faut un "bouc émissaire"
– les Sans Pap’
– les chômeurs
– les malades
– les retraités
– etc...
Il reste à nous organiser, pour résister ensemble, et balayer ce système économique qui broie femmes, hommes et enfants
La réponse passe par le Communisme